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Droit des successions

Portée de l’option pour l’une des quotités disponibles spéciales entre époux

Cass. civ. 1ère, 13 juill. 2022, n°21-10.226

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

L’option du conjoint survivant, bénéficiaire d’une donation entre époux et d’un legs universel, pour l’une des quotités disponibles spéciales de l’article 1094-1 du Code civil n’est pas exclusive de la réduction en valeur.

En effet, ce choix ne permet pas de considérer que le conjoint survivant renonce à la vocation universelle que lui confère son legs. Cette libéralité est donc soumise à réduction en cas d’atteinte à la réserve.

Rappel du contexte légal

Rappel des droits successoraux

Dans une succession, le conjoint survivant a une vocation légale qui dépend de la catégorie d’héritiers avec lesquels il vient en concours.

Lorsque le défunt laisse des descendants pour lui succéder, et à défaut de disposition contraire, il convient de distinguer deux situations (article 757 du Code civil) :

  • Si tous les enfants du défunt sont issus du couple, le conjoint dispose d’une option entre : 
    • la pleine propriété d’un quart de la succession ou,
    • l’usufruit des biens existants.  
  • Si le défunt laisse un ou plusieurs enfants non issus du conjoint survivant, ce dernier a seulement vocation au quart en propriété des biens existants (afin d’éviter un démembrement de propriété entre le conjoint survivant et ses beaux-enfants).  

« Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».

Quotité disponible spéciale entre époux

Pour ajouter des droits, l’époux peut disposer de ses biens au profit de son conjoint survivant dans les limites suivantes (article 1094-1 du code civil) : 

  • La quotité disponible ordinaire en pleine propriété (soit : ½ des biens si l’époux a un enfant, le 1/3 s’il a deux enfants et le ¼ s’il a trois enfants et plus) ;
  • Le ¼ des biens existant en pleine propriété ET les ¾ en usufruit ;
  • La totalité en usufruit.

« Pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.

Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles. »

Arrêt de la Cour de cassation

Rappel des faits

Un époux, marié sous le régime de la séparation de biens, décède en laissant un enfant d’une première union et son conjoint, bénéficiaire de plusieurs libéralités ; une donation entre époux avec choix entre les trois quotités disponibles spéciales, un legs à titre particulier et un legs universel.  

Aux termes de l’acte de notoriété, le conjoint déclare opter pour la quotité disponible d’un quart en propriété et trois quarts en usufruit sans autre précision.

Lors du règlement de la succession, le fils considère que le legs universel excède la quotité disponible mixte et porte atteinte à sa réserve.  

Il demande en conséquence le versement d’une indemnité de réduction. De son côté, le conjoint estime que l’option réalisée s’applique à l’ensemble des libéralités qu’il a reçues, de sorte qu’il a lui-même « réduit » la libéralité à l’une des quotités permises par la loi et non attentatoire à la réserve successorale. 

Ce raisonnement est accepté par les juges du fond, mais pas par la Cour de cassation, qui censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 924 du Code civil 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en rappelant que l’option pour l’une des branches de la quotité disponible spéciale n’est pas assimilable à une réduction de la libéralité conjugale.

Une fois que le conjoint survivant a exercé son choix sur le fondement de l’article 1094-1 du Code civil, il reste donc à imputer la libéralité litigieuse sur la quotité disponible choisie afin de vérifier qu’elle ne l’excède pas. Or, un legs de toute la succession est nécessairement de nature à outrepasser la quotité disponible spéciale

« Pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.

Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles. »

Portée de l’arrêt

Le présent arrêt fournit l’occasion de rappeler brièvement le sens qu’il convient de donner à l’article 1094-1 du Code civil.

Une option liquidative

Dans une première acceptation, les quotités disponibles spéciales sont d’abord des outils de liquidation. Elles représentent de façon théorique le maximum que le conjoint peut recevoir sans réduction et permettent de déterminer la réserve des enfants face à lui. Elles permettent ainsi de vérifier que les libéralités consenties au conjoint ne sont pas excessives. 

Le choix de la quotité offre l’avantage de sélectionner les « secteurs d’imputation » de la libéralité mais ne déterminent pas « l’objet de la libéralité ».  

Ainsi, lorsque l’époux survivant exerce cette option pour l’une ou l’autre des quotités disponibles spéciale il choisit simplement un terme de comparaison, un seuil au-delà duquel les libéralités reçues devront supporter la réduction, en valeur ou, s’il le souhaite, en nature (à la seule initiative du conjoint survivant pour ce dernier point).

Une option d’émolument

Dans une seconde acception, et sous l’influence de la pratique notariale, les quotités disponibles spéciales entre époux sont devenues l’objet même de certaines libéralités (notamment les célèbres donations « au dernier vivant »). Cette fois, lorsque le conjoint opte pour l’une des trois quotités disponibles, c’est pour appréhender directement dans la succession l’émolument qu’elle représente, avec cet intérêt (au moins supposé) de le faire coïncider avec l’un des maximums autorisés par la loi et ainsi d’éviter une action en réduction (et le conflit qu’elle peut engendrer).

Lorsque le disposant a également réalisé des donations entre vifs, il n’y a plus de corrélation nécessaire entre la quotité disponible « théorique » qu’il choisit et les biens successoraux susceptibles de lui être transmis (il faut alors distinguer, pour déterminer concrètement ce qui lui revient, entre la masse de calcul et la masse d’exercice de la libéralité).

Confusion à éviter entre les deux notions

En premier lieu, si le conjoint choisit une « option d’émolument » il n’est pas dispensé de réaliser une « option liquidative ». 

En second lieu, toutes les libéralités consenties au conjoint ne comportent pas forcément une option d’émolument. 

En l’espèce, le legs universel, contrairement à la donation entre époux, ne comportait pas une « option d’émolument » pour l’une des quotités disponibles spéciales. Par conséquent, le legs universel était excessif par rapport à la quotité disponible choisie et se trouvait bien réductible.  

La stratégie menée par les héritiers nous interroge puisque le conjoint survivant aurait tout simplement pu renoncer à son legs pour se contenter de la donation entre époux ou encore user de la faculté de cantonner son émolument afin de le soustraire à toute réduction.  

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