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Droit des successions

Succession : Évaluation lors de la réunion fictive des donations de sommes d’argent

Cass. civ. 1ère, 17 oct. 2019, n°18-22.810

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Le donataire d’une somme d’argent, issue d’un actif successoral, qui remploie cette somme en achetant la nue-propriété d’un bien, sera tenu sur la somme du bien en pleine propriété pour les opérations de réduction.

La réserve héréditaire est un des fondements directeurs du droit des successions français. Il permet d’assurer aux héritiers réservataires (les enfants, et éventuellement leurs propres enfants par représentation) une part minimum du patrimoine du défunt plus ou moins importante en fonction du nombre d’héritiers réservataires. 

Rappel du principe de la réserve héréditaire

L’article 912 du code civil dispose que la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution, libre de charges, à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.

« La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ».

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités.

C’est l’article 913 du code civil qui fixe la proportion de la réserve en fonction du nombre d’héritiers réservataires : 

  • si le défunt ne laisse à son décès qu’un enfant : la réserve est du tiers, 
  • s’il laisse deux enfants : le quart,
  • s’il en laisse trois ou un plus grand nombre : la réserve successorale est alors du quart de son patrimoine.

« Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant ; le tiers, s’il laisse deux enfants ; le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre.

L’enfant qui renonce à la succession n’est compris dans le nombre d’enfants laissés par le défunt que s’il est représenté ou s’il est tenu au rapport d’une libéralité en application des dispositions de l’article 845. »

L’enfant qui renonce à la succession n’est compris dans le nombre d’enfants laissés par le défunt que s’il est représenté ou s’il est tenu au rapport d’une libéralité en application des dispositions de l’article 845 du Code de procédure civile.

« Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi.

Il peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

Les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l’affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi. »

La combinaison de ces dispositions aboutit à la conséquence suivante : lorsque le de cujus a fait des libéralités si importantes qu’elles empiètent sur la réserve globale des héritiers ; ceux-ci peuvent solliciter la réduction des libéralités consenties afin de « reconstituer leur réserve ». En pratique, ils demandent donc à ceux qui ont « trop » reçus de rendre tout ou partie de la libéralité reçue en fonction de l’étendue de l’atteinte à leur réserve successorale.

Détermination de l’atteinte à la réserve et opérations de réunion fictive

Dans le cadre du règlement des successions, le contrôle du respect de la réserve des héritiers passe par un compte précis des mouvements de valeur intervenus dans le patrimoine du de cujus de son vivant afin de comptabiliser les éventuelles donations consenties.

Ce mécanisme de comptabilisation est appelée « réunion fictive des donations antérieures ».

La réunion fictive consiste à faire figurer dans l’actif de la succession l’ensemble des donations réalisées avant le décès afin de déterminer la masse de calcul des droits des parties.

Cette masse est différente de la masse d’exercice qui n’est composée que des biens existant au jour du décès dans le patrimoine du défunt. 

L’article 922 du même code dispose plus précisément sur ce point que « La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.

Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l’époque de l’aliénation. S’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation.

On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu’il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer. ».

Aucune distinction n’est faite dans l’article 922 du code civil quant au type de donation concernée par la réduction. Il peut donc s’agir d’une donation de somme d’argent, d’un bien immobilier en pleine-propriété ou encore démembrée, etc.

Précision par la Cour de cassation

Dans un arrêt du 17 octobre 2019 n°18-22.810, la Cour de cassation eut l’occasion de préciser les opérations de rapport et lever le doute sur le traitement des donations de sommes d’argent.

Dans ce cas d’espèce, le défunt avait légué (par testament donc) son patrimoine à son petit-fils alors qu’il laissait pour lui succéder deux enfants. Il avait au préalable fait donation d’une somme d’argent à un de ses enfants, qui l’avait employée afin d’acquérir la nue-propriété d’un bien immobilier, précision étant faite que l’acquéreur de l’usufruit était le donateur (soit le défunt lui-même).

Dans le cadre des opérations de vérification du respect de la réserve des héritiers, le bénéficiaire de la donation s’était opposé à l’intégration de celle-ci dans la masse de calcul lors de la réunion fictive des donations antérieures.

Il arguait notamment du fait qu’il n’avait pas acquis un bien mais un droit réel (la nue-propriété), et que la donation ne pouvait être réintégrée que pour sa valeur nominale (c’est-à-dire pour le montant de la somme d’argent reçue). Les juges du fond (tribunal judiciaire et Cour d’appel) vont faire droit à sa demande.

La Cour de cassation va censurer les juges du fond, indiquant « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que A… N… avait employé la somme d’argent donnée par sa mère à l’acquisition de la nue-propriété d’un bien immobilier, ce dont il résultait que c’est la valeur de ce bien au jour de l’ouverture de la succession, d’après son état à l’époque de son acquisition, qui devait être réunie fictivement à la masse de calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible, en vue de déterminer une éventuelle réduction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; ».

En d’autres termes, le donataire a employé la somme d’argent pour l’achat de la nue-propriété et c’est la valeur du bien en pleine propriété dont il doit être tenu compte dans le cadre des opérations de rapport. La Haute juridiction justifie son propos en rappelant qu’en cas de subrogation c’est bel et bien le bien subrogé à la somme d’argent qui doit être considéré afin d’envisager une éventuelle réduction.

Cette solution peut paraître sévère, dans la mesure où le montant de la réunion fictive sera le même que si l’héritier avait bénéficié de la donation du bien en pleine propriété in fine. Cependant, juridiquement elle est tout à fait opportune. Elle a pour conséquence qu’il convient de porter une attention tout à fait particulière à la réintégration de ces donations de sommes d’argent dans le cadre de la stratégie de transmission patrimoniale, la donation partage ayant dans cette perspective un intérêt tout particulier.

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