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Droit des successions

Réserve héréditaire et ordre public international

Rép. Min. n°7936, JOAN 21 nov. 2023

Droit international privé de la famille, Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

A l’occasion d’une question parlementaire relative aux règles applicables en matière de succession internationale, le gouvernement cherche à sacraliser de nouveau le caractère d’ordre public de la réserve héréditaire, à contre-sens de la jurisprudence de la Cour de cassation du 27 septembre 2017.

Le droit positif de la réserve héréditaire dans un contexte international

La réserve héréditaire dans le Règlement européen du 4 juillet 2012

Depuis le 17 août 2015, date d’entrée en vigueur du règlement européen « succession » n°650/2012 du 4 juillet 2012 le règlement d’une succession est soumis soit à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt (article 21§1), soit -sur option du défunt dans le cadre d’une professio juris-  à sa loi nationale (article 22§1). 

« Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. 

Une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. »

Le Règlement pose un principe commun aux deux hypothèses : la loi ainsi désignée s’appliquera à l’ensemble du patrimoine du défunt. C’est une approche unitaire que le texte entend faire prévaloir, il n’y a donc plus lieu de distinguer selon la nature mobilière ou immobilière du bien.

Rappelons également que le règlement étant d’application universelle, il permet au juge français de désigner une loi qui n’est pas celle d’un Etat membre de l’Union européenne.  

Le développement important des situations comprenant des éléments d’extranéité conduit à s’interroger sur le sort du mécanisme français de la réserve héréditaire dans un règlement successoral international.    

En droit français, la réserve est une quotité de la masse successorale, composée des biens laissés par le défunt et des donations qu’il a consenties tout au long de sa vie, dont certaines personnes (notamment les enfants) ne peuvent être privées sans leur accord.  

Au fil des ans, l’autorité de la réserve héréditaire s’est érodée dans un contexte international inspiré de la liberté anglo-saxonne. 

L’arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2017

Dans un arrêt du 27 septembre 2017 (Civ. 1ère, 27 sept. 2017 n°16-13.151), relative à une succession soumise à la loi américaine, la Cour de cassation a décidé que la réserve héréditaire ne relevait pas de l’ordre public successoral international.  

Elle considère ainsi que la loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire ne peut être écartée en France que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.

Le nouveau droit de prélèvement compensatoire dans les successions internationales de l’article 913 du code civil

Pour contrer les conséquences de l’application d’une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire, la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 a introduit un prélèvement codifié à l’article 913 alinéa 3 du Code civil visant à compenser l’absence de tout mécanisme réservataire protecteur des enfants.

« Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant ; le tiers, s’il laisse deux enfants ; le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre.

L’enfant qui renonce à la succession n’est compris dans le nombre d’enfants laissés par le défunt que s’il est représenté ou s’il est tenu au rapport d’une libéralité en application des dispositions de l’article 845. »

Depuis le 1er novembre 2021, ce texte prévoit d’écarter la loi étrangère au profit de la loi française sur la réserve successorale si deux séries de conditions sont réunies :

  • a. la loi étrangère applicable à la succession « ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants » (et non du conjoint survivant même lorsque la loi française le considère comme héritier réservataire) ;
  • b. et l’un des enfants au moins réside sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ou est ressortissant d’un tel État.

Difficulté d’application :

L’article 913 alinéa 3 heurte de front le Règlement européen : 

  • l’article 35 du Règlement n’autorise  l’éviction partielle de la loi applicable à la succession que si celle-ci est contraire à l’ordre public du for,
  • or, on sait, depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2017, que la réserve héréditaire n’a pas valeur de principe essentiel du droit français devant s’imposer dans l’ordre international.

Tentative de réaffirmation du caractère d’ordre public international de la réserve héréditaire

Un parlementaire a interrogé le gouvernement sur les règles applicables aux successions internationales en mettant en avant les difficultés d’application de l’article 913 du code civil décrites ci-dessus.

Les questions sont ainsi posées au Ministre des affaires étrangères : 

  • dans le cas d’un individu possédant une double nationalité, si celui-ci établit son testament dans son second pays à l’étranger, dont il possède la nationalité, est-il préservé de l’application de la loi française même s’il décédait en France ? 
  • la jurisprudence de la Cour de cassation du 27 décembre 2017 semble établir que la réserve héréditaire n’est pas un principe d’ordre public. Si ce même individu souhaite déshériter l’un de ses deux enfants et si la loi du pays dans lequel il l’a établi le permet, quelle difficulté cela pose-t-il dans sa situation ? 
  • enfin, y a-t-il une atteinte aux libertés individuelles dans le refus fait à un individu possédant la double nationalité de déshériter quelqu’un de sa famille ? 

Le Ministre des affaires étrangères répond :

L’objectif de l’article 913 alinéa 3 introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 est d’éviter que le défunt discrimine ses enfants issus de différentes unions, ou évince certains de ses enfants en raison de leur sexe, de l’ordre des naissances, de la nature de la filiation ou encore de la religion. 

Ainsi, en permettant aux enfants évincés d’une succession qui n’est pas régie par la loi française de récupérer une part successorale sur les biens situés en France, le législateur est revenu sur la jurisprudence de la Cour de cassation (1re Chambre civile, 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-13.151, Publié au bulletin) et a fait de la réserve héréditaire un principe d’ordre public international

e En conséquence, si cette disposition constitue une exception à l’application normale d’une règle de conflit de loi, elle entre toutefois, comme le souligne le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi du 9 décembre 2020, dans les prévisions de l’article 35 du Règlement Successions, qui prévoit la possibilité d’écarter les dispositions de la loi applicable au règlement de la succession si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public de l’Etat qui statue sur le règlement de la succession

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’article 913 alinéa 3 du code civil assure un juste équilibre entre, d’une part, la liberté du défunt de disposer de ses biens, et, d’autre part, la nécessaire protection des proches du défunt contre les discriminations dont ils pourraient être l’objet.

Conclusion :

Quoi que le but de l’article 913 alinéa 3 soit louable dans la tradition latiniste française de respect de la réserve héréditaire, l’introduction d’un morcellement des lois applicables à la succession par l’article 913 du code civil fait courir le risque d’un défaut de conventionalité.

La réponse parlementaire est un effort pour l’heure très insuffisant pour redonner de la cohérence à la situation juridique française de la réserve dans une succession internationale.

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