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Droit de la famille

L’absence de lien biologique n’empêche pas l’établissement de la filiation paternelle par la possession d’état

Avis Cass. civ. 1ère, 23 nov. 2022, n° 22-70.013

Enfants – Filiation et adoption

Enseignement de l'arrêt

L’absence de lien biologique entre le parent et l’enfant ne fait pas en soi obstacle à l’établissement de la filiation par possession d’état.

Rappel du contexte légal

Les différents modes d’établissement de la filiation

L’article 310-1 du code civil dispose : 

« La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété ainsi que, dans les conditions prévues au chapitre V du présent titre, par la reconnaissance conjointe.

Elle peut aussi l’être par jugement dans les conditions prévues au chapitre III du présent titre. »

La loi prévoit donc plusieurs manières d’établir la filiation d’un enfant. 

Elle est établie par l’effet de la loi lorsque l’enfant est conçu ou né pendant le mariage, la loi présumant alors la paternité du mari. Cette présomption est toutefois écartée lorsque l’acte de naissance ne désigne par le mari comme père ou bien lorsque l’enfant est né plus de 300 jours après l’introduction d’une demande en divorce. 

Lorsque le couple n’est pas marié, le père peut procéder à une reconnaissance volontaire avant ou après la naissance. Il doit alors uniquement justifier de son identité et de son domicile ou de sa résidence.

Enfin, si la filiation n’a pas été établie par une de ces méthodes, il reste la possibilité d’une possession d’état constatée par acte de notoriété. 

L’établissement de la filiation par possession d’état

Le code civil prévoit plusieurs conditions à l’établissement de la filiation par le biais de la possession d’état. 

L’article 311-1 du code civil dispose : 

« La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.

Les principaux de ces faits sont :

1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu’elle-même les a traités comme son ou ses parents ;

2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ;

3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ;

4° Qu’elle est considérée comme telle par l’autorité publique ;

5° Qu’elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue »

Et l’article 311-2 dispose : 

« La possession d’état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. »

L’article 317 du code civil dispose : 

« Chacun des parents ou l’enfant peut demander à un notaire que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire.

L’acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1. L’acte de notoriété est signé par le notaire et par les témoins.

La délivrance de l’acte de notoriété ne peut être demandée que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d’état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu, y compris lorsque celui-ci est décédé avant la déclaration de naissance.

La filiation établie par la possession d’état constatée dans l’acte de notoriété est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant. »

Pour établir sa filiation par la possession d’état, il faut donc faire établir un acte de notoriété attestant que l’enfant a été traité par la personne à l’origine de la demande comme son propre enfant, que cette personne a participé à son éducation, son entretien et qu’elle est considérée par la société comme étant son parent.

Cet acte de notoriété doit être dressé dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d’état ou du décès du parent prétendu, permettant de constater la réalité sociale du lien de parenté. Une demande formulée plus de cinq ans après alors l’acte de notoriété ne correspondrait plus à aucune réalité.

Mais puisque la possession d’état est supposée révéler un lien de filiation déjà existant entre l’enfant et le parent prétendu, il s’est posé la question de savoir si elle doit également révéler une réalité biologique. Autrement dit, l’absence de lien biologique entre l’enfant et le parent prétendu est il un obstacle à l’établissement d’un acte de notoriété démontrant la possession d’état ?

Apport de l’arrêt : l’absence de lien biologique n’est pas un obstacle

C’est la question qu’a posé le Tribunal Judiciaire de Mulhouse à la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans les termes suivants : 

« Dans la mesure où l’article 311-1 du code civil prévoit que la réunion suffisante de faits caractérisant la possession d’état est censée « révéler » le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir, une filiation à l’égard d’un demandeur dont il est constant qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant peut-elle être établie dans le cadre de l’action en constatation de la possession d’état prévue à l’article 330 du code civil ? ».

En effet, puisque l’acte de notoriété permettant l’établissement de la filiation par la possession d’état est supposé démontrer une filiation déjà existante mais qui n’aurait simplement pas encore été reconnu juridiquement, on pourrait penser que l’absence avérée de lien biologique empêche purement et simplement l’établissement de la filiation puisque cela prouverait que le parent prétendu n’est pas le parent de l’enfant. 

Cependant, la Cour de cassation va, à l’inverse, considérer que l’absence de lien biologique n’est pas un obstacle à l’établissement de la filiation par possession d’état : 

« 10. La possession d’état constitue un mode d’établissement de la filiation prévu au titre VII du livre premier du code civil. Fondée sur l’apparence d’une réalité biologique, elle correspond à une réalité affective, matérielle et sociale.

11. La circonstance que le demandeur à l’action en constatation de la possession d’état ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention.

12. Il appartient au juge, en considération des éléments de l’espèce, d’apprécier si les conditions de la possession d’état posées par les articles 311-1 et 311-2 précités sont remplies. »

Ce faisant, elle s’écarte du principe de la réalité biologique pour se rapprocher de celui de la réalité sociale. La Cour parle de « l’apparence d’une réalité biologique ». Il faut donc comprendre que les différents critères de la possession d’état n’ont pas pour objectif d’établir la filiation avec le parent biologique, mais avec celui qui remplit concrètement ce rôle. 

Par ailleurs, il faut noter que la Cour de cassation ne fait qu’interpréter strictement le texte de la loi qui n’exige pas que la possession d’état corresponde à la réalité biologique.

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Publié le 03 Jan 2023

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