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Droit de la famille

Divorce prononcé à l’étranger et ordre public international

Cass. civ. 1ère, 17 mars 2021, FS-P, n°20-14.506

Divorce – Séparation de corps

Enseignement de l'arrêt

  • Enseignement n°1 de l’arrêt : La Cour de cassation relativise l’exception d’ordre public international en fonction de la qualité de l’époux qui demande l’exéquatur.
  • Enseignement n°2 de l’arrêt : Le divorce inégalitaire prévu par la loi étrangère peut être reconnu en France sous réserve du respect de certaines conditions.

Rappel du contexte légal

Deux normes doivent être rappelées pour la bonne compréhension de l’arrêt ici commenté :  

1- Par application de l’article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l’exequatur et à l’extradition, en matière civile, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions algériennes n’ont de plein droit l’autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent aucune disposition contraire à l’ordre public international.

2- Aux termes de l’article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

Apport de l’arrêt

Rappel de la procédure de divorce en Algérie

Il existe plusieurs types de dissolution du mariage en Algérie et notamment : 

Répudiation

Ce mode de dissolution du mariage est uniquement laissé à la discrétion du mari. 

Par application de l’article 48 du code algérien de la famille « le divorce est la dissolution du mariage (…) » et qu’il intervient par la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54 de la présente loi ».

La Cour de cassation s’est déjà prononcée sur la contrariété à l’ordre public international d’une répudiation prononcée en Algérie dès lors que les époux de nationalité algérienne sont domiciliés sur le territoire d’un État contractant, en refusant de déclarer exécutoire en France le jugement de divorce : 

« Qu’en statuant ainsi, alors que le jugement algérien, fondé sur le droit pour le mari de mettre fin de façon discrétionnaire au mariage, est contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l’ordre public international, dès lors que les époux de nationalité algérienne sont domiciliés sur le territoire d’un État contractant, même s’ils sont séparés, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, n° 17-16.102 : JurisData n° 2018-011938).

Divorce par khol’â

Cette forme de divorce résulte de la volonté unilatérale de l’épouse moyennant paiement d’une compensation financière à son époux. 

Article 54 du code de la famille algérien :

« L’épouse peut se séparer de son conjoint, sans l’accord de ce dernier, moyennant le versement d’une somme à titre de « khol’â » ; qu’en cas de désaccord sur la contrepartie, le juge ordonne le versement d’une somme dont le montant rie saurait dépasser la valeur de la dot de parité « sadaq el mithl » évaluée à la date du jugement ».

Rappel des faits

Mme F…, de nationalité française et algérienne. 

M. X…, de nationalité algérienne. 

Les époux se sont mariés en Algérie sans contrat de mariage. Ils ont fixé en Algérie leur premier domicile conjugal. Le couple s’est ensuite installé en France.

En 2009, Mme F… a acquis seule une maison d’habitation à Vénissieux.

Rappel de la procédure

Jugement de divorce algérien

Par jugement rendu le 4 juillet 2017, le tribunal de Hussein Dey a prononcé le divorce de Mme B… F… et M. G… X…, tous deux représentés à la procédure, en application des dispositions de l’article 54 du code de la famille et a fixé à la somme de 100 000 DA la contrepartie financière du divorce à l’initiative de l’épouse. 

Exécution du jugement algérien

Mme F… saisit le juge aux affaires familiales en France pour demander l’expulsion de M. X… de la maison de Vénissieux et le paiement de l’indemnité d’occupation en se fondant sur le jugement de divorce algérien et sur le caractère séparatiste du régime matrimonial légal algérien.

Position de la cour d’appel de Lyon

Par arrêt prononcé le 18 juillet 2019, la cour d’appel de Lyon déclare régulier et opposable le jugement de divorce algérien. Elle autorise en conséquence Mme F… à faire procéder à l’expulsion de son ex-époux et le condamne à payer une indemnité d’occupation jusqu’à son départ effectif du logement. 

M. X… a formé un pourvoi en cassation.

Position de la Cour de cassation

M. X… soutient que le jugement algérien est contraire à l’ordre public international en ce qu’il ne respecte pas les dispositions de l’article 5 du protocole de 22 novembre 1984 n°7 additionnel à la Convention Européenne des droits de l’homme qui dispose que « les époux jouissent de l’égalité de droits (..) durant le mariage et lors de sa dissolution ». Selon l’époux, la répudiation par l’époux, comme la Khol’â de l’épouse constituent des procédures de divorce inégalitaires et contraires aux intérêts de l’autre époux. Il estime que la Khol’â est tout autant contraire à l’ordre public que la répudiation de l’époux et ne peut en conséquence produire d’effet en France.

En d’autres termes, l’époux assimile les effets du jugement de répudiation à ceux de Khol’â quant à la reconnaissance en France. 

Absence d’assimilation entre les deux formes de divorce

La cour de cassation a rejeté le pourvoi et approuvé la cour d’appel en ce que toute assimilation du divorce par compensation prévu à l’article 54 du code de la famille algérien à la répudiation prévue à l’article 48 du même code doit être écartée, dès lors que le premier, prononcé à l’initiative de l’épouse, est subordonné au paiement d’une somme d’argent, tandis que la seconde procède de la seule volonté de l’époux, lequel ne peut être tenu à une réparation pécuniaire qu’en cas de reconnaissance par le juge d’un abus de droit.

Portée relative de l’ordre public international

La Cour de cassation a jugé que « lorsqu’une décision de divorce a été prononcée à l’étranger en application d’une loi qui n’accorde pas à l’un des époux, en raison de son appartenance à l’un ou l’autre sexe, une égalité d’accès au divorce, sa reconnaissance ne heurte pas l’ordre public international, dès lors qu’elle est invoquée par celui des époux à l’égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n’a pas été entachée de fraude et que l’autre époux a pu faire valoir ses droits ».

En d’autres termes, la Cour de cassation relativise l’exception de l’ordre public international en fonction de la qualité de l’époux qui demande l’exéquatur.  

Le divorce inégalitaire prévu par la loi étrangère peut être reconnu en France si :

  • il est invoqué par celui des époux à l’égard duquel sont prévues les règles les moins favorables ;
  • il n’a pas été entachée de fraude ;
  • l’autre époux a pu faire valoir ses droits.

La Cour de cassation a considéré qu’en l’espèce, l’épouse était dans une situation défavorable par rapport à son époux. Ainsi, qu’il est précisé par les auteurs, la situation aurait été appréciée sous l’angle global du droit du divorce algérien, « avec le sous-entendu selon lequel ce droit est, de manière générale, globalement moins favorable à l’épouse compte tenu de la possibilité ouverte au mari de rompre unilatéralement le mariage ».  

Dans la même logique, nous pouvons imaginer que l’épouse répudiée, partie moins favorable, a le droit d’obtenir l’exequatur du jugement de divorce en France si elle en fait une demande et cela malgré le caractère inégalitaire du divorce.

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