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Droit de la famille

La règle « aliments ne s’arréragent pas » appliquée à la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant

Précisions jurisprudentielles sur la règle « aliments ne s’arréragent pas »

Enfants - Autorité parentale (résidence, pensions, etc.)

Enseignement de l'arrêt

  • L’adage selon lequel les aliments ne s’arréragent pas est inapplicable à la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant ;
  • En outre, si la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant a été fixée par un titre exécutoire, l’exécution peut être poursuivie pendant 10 ans.

Rappel du contexte légal

La double présomption posée par la règle « aliments ne s’arréragent pas »

La règle selon laquelle les aliments ne s’arréragent pas n’est pas posée par le code civil. Elle est d’origine purement jurisprudentielle. Selon cette règle, les obligations alimentaires qui n’ont pas été réclamés et décidés en justice ne peuvent plus l’être. On peut également lire que les aliments sont non capitalisables.

On retrouve par exemple un très vieil arrêt de la chambre des requêtes en date du 30 janvier 1933 qui explique : 

« Si les aliments ne s’arréragent pas, c’est parce que le créancier qui n’a pas réclamé les termes échus peut être considéré comme s’étant trouvé à l’abri du besoin et ayant renoncé à un payement qui n’était pas indispensable à sa subsistance. Mais ces présomptions cèdent à la preuve contraire » (Req. 30 janv. 1933, Couchon, DH 1933. 114 ; S. 1933. 1. 104.) »

Si les aliments échus ne peuvent plus être poursuivis, c’est donc que l’on considère que le créancier de ces aliments aurait dû les réclamer en temps et en heures. S’il ne le fait pas, la jurisprudence considère alors que ces aliments ne lui étaient pas nécessaires pour subvenir à ses besoins et qu’il a renoncé implicitement au bénéfice de ces aliments. 

Certains auteurs expliquent cette règle de manière plus technique en se basant notamment sur le fait que les aliments sont par principe fluctuant car ils peuvent faire l’objet d’une modification en fonction de la situation du créancier, des besoins du débiteur, ou encore de l’inflation. Dans cette logique c’est pour limiter l’impact de ces variations que la règle « aliments ne s’arréragent pas » a été créée. 

D’autres soulignent que présumer de la renonciation à un droit aux aliments est doublement contestable, d’abord du point de vue de l’ordre public qui rend ce droit insusceptible de renonciation, ensuite suivant le principe selon lequel une renonciation ne se présume pas.

Une double présomption renversable

Les présomptions posées par la règle « aliments ne s’arréragent pas » ne sont toutefois pas irréfragables. Pour ne pas appliquer cette règle, il convient alors pour le créancier de prouver qu’il n’a pas pu subvenir à ses besoins du fait du non-paiement des aliments et qu’il n’a pas renoncé à son droit aux aliments. Il doit, par exemple, démontrer qu’il a dû s’endetter à cause du défaut du débiteur et qu’il a bien réclamé l’aliment au débiteur.

C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent :

« ALORS, EN DEUXIÈME LIEU, QUE la règle « aliments ne s’arréragent pas », fondée sur l’absence de besoin ou sur la présomption selon laquelle le créancier a renoncé à la pension alimentaire, s’efface devant la preuve de ce que le créancier d’aliments n’est en réalité pas resté inactif et a agi à l’encontre du prétendu débiteur d’aliments durant la période considérée » (Cass Civ 1ère, 4 octobre 2017, n°16-15.815) »

Application de la règle à la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant

Au-delà des cas où la présomption est renversée, la jurisprudence considère que certaines obligations alimentaires sont purement et simplement exclues de la règle selon laquelle les aliments ne s’arréragent pas. 

C’est le cas de l’obligation d’entretien et d’éducation des enfants qui pèse sur les parents. 

La jurisprudence a affirmé cette exclusion dès les années 80 : 

«  La règle « aliments n’arréragent pas », fondée sur l’absence de besoin ou sur la présomption selon laquelle le créancier a renoncé à la pension alimentaire est sans application lorsque cette pension a été accordée au titre de la contribution de l’autre époux à l’entretien et à l’éducation des enfants mineurs issus du mariage. » (Cass, Civ 2ème, 29 octobre 1980, n°79-15.301)

La Cour de cassation l’a réaffirmée plus récemment en précisant également la prescription à retenir lorsque la règle est inapplicable  : 

« Attendu que, si la règle « alimentsne s’arréragent pas » ne s’applique pas à l’obligation d’entretien, l’action en paiement d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant est soumise à la prescription quinquennale prévue par le premier de ces textes » (Cass. 1re civ., 25 mai 2016, n° 15-17.993) »

C’est donc l’article 2224 du code civil qui régit le délai de prescription applicable à la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Attention, toutefois, si la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant a été fixée par un titre exécutoire, alors l’exécution peut être poursuivie pendant dix ans. 

En effet, l’article L 111-4 du code de procédure civile d’exécution prévoit que : 

« L’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.
Le délai mentionné à l’article 2232 du code civil n’est pas applicable dans le cas prévu au premier alinéa. »

Et l’article L 111-3 1° à 3° du même code dispose : 

« Seuls constituent des titres exécutoires :

1° Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;

2° Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;

3° Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;

4° Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;

4° bis Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce ou à leur séparation de corps par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;

5° Le titre délivré par l’commissaire de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;

6° Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement ;

7° Les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente. »

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