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Droit du patrimoine

Détention des clés d’un bien immobilier indivis rime avec paiement d’une indemnité d’occupation

Cass. civ. 1ère, 20 septembre 2023, n°21-23.877

Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

  • Le détenteur des clés d’un bien indivis est redevable d’une indemnité d’occupation. 
  • Le détenteur des clés d’un bien indivis qui ne souhaite pas jouir du bien doit prévoir une convention entre indivisaire ou rendre lesdites clés.

L’indemnité d’occupation due en cas de jouissance privative d’un bien indivis

Rappel sur le principe de l’indemnité d’occupation

Lorsque plusieurs personnes sont propriétaires d’un même bien, elles en sont indivisaires. 

Or, selon l’article 815-9 du code civil, « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires » , de sorte que si un indivisaire use ou jouit seul du bien indivis, cela n’est pas compatible avec les droits de ses coindivisaires de jouir de la chose. L’article 815-9 du code civil prévoit alors qu’il est alors redevable d’une indemnité d’occupation.

Cette indemnité d’occupation a vocation à compenser la perte de fruits (le « manque à gagner ») que constitue – pour l’indivision – cette occupation du bien à titre gratuit.

Trois conditions doivent donc être réunies pour qu’une personne soit redevable d’une indemnité d’occupation : 

  • un bien en indivision
  • l’usage privatif par un indivisaire,
  • que l’indivisaire ne puisse pas se prévaloir d’un titre l’exemptant de ce paiement. 

Le lien entre détention des clés et jouissance privative d’un bien

En l’espèce, deux époux décèdent les 17 novembre 2001 et 16 mai 2004, en laissant pour leur succéder leurs deux enfants. 

Ces derniers sont en difficulté dans le cadre des opérations de comptes, liquidation et partage des deux successions et ne s’entendent notamment pas à propos de la question de l’indemnité d’occupation due par l’un d’eux.

Par arrêt du 5 août 2021, la Cour d’appel de Nîmes rejette la demande formée par l’héritière tendant au versement d’une telle indemnité, considérant que le fait que l’immeuble n’ait pas été reloué n’implique pas que le cohéritier ait usé privativement des lieux après le congé notifié par locataire. La Cour a donc estimé que le seul fait que les locataires lui aient restitué les clés ne justifiait pas le versement d’une indemnité d’occupation.

L’héritière considère donc à l’inverse que, depuis le départ des locataires, son frère détient seul les clés de la maison qu’il a donc seul la libre disposition du bien indivis, ce qui est selon elle constitutif d’une jouissance privative et exclusive, raison pour laquelle il est redevable d’une indemnité d’occupation

Cette dernière forme un pourvoi en cassation : le fait, pour un indivisaire, de détenir seul les clés d’un bien immobilier, alors même qu’il ne l’a pas demandé, justifie-t-il le versement d’une indemnité d’occupation sur le fondement de l’article 815-9 du code civil ?

Les conséquences strictes de la détention des clés d’un immeuble indivis

L’indemnité d’occupation due par le détenteur des clés d’un immeuble indivis

Sur le fondement de l’article 815-9 alinéa 2 du code civil, selon lequel « L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. », la Cour de cassation, aux termes de son arrêt du 20 septembre 2023, rappelle que la jouissance privative d’un immeuble indivis résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les coindivisaires d’user de la chose et précise que la détention des clés, puisqu’elle permet à un indivisaire d’avoir seul la libre disposition d’un bien indivis, est constitutive d’une jouissance privative et exclusive. 

De sorte que, le cohéritier disposant seul des clés du bien immobilier, la Cour d’appel ne pouvait pas rejeter la demande tendant au versement d’une indemnité d’occupation.

Peu importe donc les circonstances dans lesquelles l’héritier s’est retrouvé détenteur des clés et peu importe notamment le fait qu’il n’ait pas souhaité récupérer les clés mais qu’un tiers les lui ait remises, comme en l’espèce.

La nécessité de se départir des clés d’un immeuble indivis

Même s’il paraît strict, cet arrêt est la suite logique des précédentes décisions de la Cour de cassation qui avait déjà pu casser des décisions de Cour d’appel en considérant que le fait pour un indivisaire de détenir les clés de la porte d’entrée d’un immeuble, en ce que ça lui permet d’avoir seul la libre disposition du bien indivis, est constitutif d’une jouissance privative et exclusive donnant lieu au versement d’une indemnité d’occupation (Civ. 1, 31 mars 2016, n°15-10748).

Regrettons toutefois qu’il empêche toute étude casuistique des situations alors qu’il existe des situations dans lesquelles le détenteur des clés d’un bien indivis ne jouit pas de la chose mais est simplement dépositaire desdites clés. 

Les avocats d’un indivisaire (époux ou héritier par exemple) qui se retrouverait seul détenteur de clés d’un immeuble indivis parce que les anciens locataires leur ont remis les clés, parce qu’il n’existe qu’un seul jeu de clés qu’ils ont récupéré au moment du décès ou parce qu’ils ont obtenu judiciairement le droit de jouir du bien mais qu’ils souhaitent le quitter, doivent donc lui conseiller de remettre ces clés au notaire en charge de la succession ou, en cas de divorce, à en exiger le séquestre chez un notaire par exemple. 

De cette façon, l’indivisaire n’est plus détenteur des clés et ne risque plus de verser une indemnité d’occupation.

Autre possibilité de se libérer de l’obligation de verser une indemnité d’occupation : conclure une convention entre indivisaires pour prévoir l’absence d’une telle indemnité ou prévoir un contrat de bail. L’existence d’un tel titre exclut alors le paiement d’une indemnité.

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