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Patrimoine

Protection de l’entrepreneur individuel

Patrimoine - Fiscalité

La loi 2022-172 du 14 février 2022 met en place un régime unique et protecteur de l’entrepreneur individuel, dont le principe est la séparation des patrimoines et le cantonnement des droits du créancier professionnel au seul patrimoine professionnel.

L’entrepreneur individuel avant la loi du 14 février 2022

Avant la loi du 14 février 2022, il existait principalement deux mécanismes pour protéger le patrimoine de l’entrepreneur individuel : 

  • L’Entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) ;
  • L’article 526-1 du code de commerce qui disposait que « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire. La domiciliation de la personne dans son local d’habitation en application de l’article L. 123-10 du présent code ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire. »

En d’autres mots, tous les entrepreneurs individuels, propriétaires de leur résidence principale, étaient assurés que ce bien échappait aux poursuites de leurs créanciers professionnels.

FOCUS DIVORCE

Dans un arrêt du 18 mai 2022, rendu sous l’empire de l’ancienne loi, la Cour de Cassation précise qu’il résulte de la combinaison des articles L. 526-1 du code de commerce et 255 3 4 du code civil que, lorsque, au cours de la procédure de divorce, le juge aux affaires familiales ordonne la résidence séparée des époux et attribue au conjoint de l’entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l’entrepreneur, à l’égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n’est plus située dans l’immeuble appartenant aux deux époux, dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu’il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissable par les créanciers professionnels.

Le régime existant n’assurait pas une protection suffisante du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel et le législateur a voulu y remédier.

Apport de la réforme du 14 février 2022

La patrimoine personnel par défaut insaisissable par les créanciers professionnels

Le législateur a adopté la loi n°2022-172 du 14 février 2022, entrée en vigueur le 15 mai 2022, créant un statut quasiment identique à celui de l’EIRL. Ce statut s’applique désormais à tous les nouveaux entrepreneurs individuels.

La principale nouveauté de cette loi réside dans le fait que le patrimoine personnel de l’entrepreneur devient par défaut insaisissable par les créanciers professionnels. Auparavant, seule la résidence principale était protégée par défaut.

Une nouvelle section a été ajoutée au chapitre VI du titre II du livre V du code de commerce, consacré à l’entrepreneur individuel.

Définition du patrimoine professionnel

Le patrimoine utile à l’activité

L’article 1526-22 du code de commerce définit le patrimoine professionnel de la façon suivante : « Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel».

L’emploi du terme « utilité » est imprécis, mais semble renvoyer à l’ensemble des biens qui peuvent être utiles à l’activité, sans pour autant lui être exclusivement dédiés.

En effet, un bien ou un droit peut être utile sans être nécessaire à l’exercice de l’activité. À l’inverse c’était le critère de la nécessité qui avait été retenu pour le patrimoine affecté de l’EIRL. La notion du nouveau régime légal est donc plus large.

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, par l’ajout au code de commerce d’un article R. 526-26, vient apporter des précisions quant à la notion d’utilité : « Pour l’application du deuxième alinéa de l’article L. 526-22, les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

1° Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
2° Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
4° Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
5° Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

II.- Lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. »

FOCUS RÉGIME MATRIMONIAL

Le législateur entend traiter l’articulation entre les règles qu’il vient d’établir quant à l’affectation de certains éléments dans l’un ou l’autre des deux patrimoines de l’entrepreneur avec celles qui résultent de leur statut au regard du régime matrimonial dont relève, le cas échéant, ledit entrepreneur.

L’article L526-26 du code de commerce précise que « la section trois du code de commerce, intitulée « Du statut de l’entrepreneur individuel », « s’entend sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs et en disposer ». Cette disposition tranche avec celle qui concerne le statut de l’EIRL, qui précise les obligations liées au régime matrimonial de l’entrepreneur optant pour ce statut.

Il apparaît inconcevable que l’un des époux décide de procéder à une affectation dans le patrimoine professionnel d’éléments relevant de la qualification de biens communs ou indivis, sans aucune information ou autorisation vis-à-vis de son conjoint. De même, l’acte par lequel le conjoint entrepreneur procède à la renonciation à la division des patrimoines au profit d’un créancier (sur cette question, v. infra) aura un impact sur le patrimoine personnel commun des deux conjoints, qui justifierait l’accord de celui qui n’est pas entrepreneur individuel.

La réforme n’est donc pas satisfaisante sur ce point et il conviendra aux époux d’être vigilants.

Une division en deux du patrimoine : un patrimoine professionnel unique et un patrimoine personnel

❶ L’article 526-22 du code de commerce poursuit : « Sous réserve du livre VI du présent code, ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel. ».

« L’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes.

Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. Sous réserve du livre VI du présent code, ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel.

La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal.

Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25.

Les dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales sont nées à l’occasion de son exercice professionnel.

Seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel. Toutefois, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. En outre, les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.

La charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier. Sans préjudice de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l’entrepreneur individuel, sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 du présent code.

Les conditions d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’Etat.

NOTA : Conformément au I de l’article 19 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, ces dispositions entrent en vigueur à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi. Les articles L. 526-22 à L. 526-31 du code de commerce s’appliquent aux créances nées après l’entrée en vigueur de ladite loi ».

La réforme pose le principe de l’indivisibilité du patrimoine professionnel, ce qui n’était pas le cas sous le régime de l’EIRL (un entrepreneur pouvait distinguer son patrimoine professionnel en fonction des activités exercées).

La séparation des patrimoines professionnel et personnel s’effectue automatiquement, sans démarche préalable. Le texte précise en effet que les éléments du patrimoine de l’entrepreneur non compris dans le patrimoine professionnel constituent nécessairement son patrimoine personnel, non tenu des dettes professionnelles. Le législateur a ainsi souhaité apporter une protection supplémentaire aux entrepreneurs créant un statut unique, par défaut, permettant de séparer clairement le patrimoine professionnel du patrimoine personnel.

❷ Réciproquement, seul le patrimoine personnel sert de gage aux créanciers dont les dettes ne sont pas nées à l’occasion de l’exercice professionnel. Toutefois, lorsque le patrimoine personnel n’est pas suffisant pour désintéresser les créanciers personnels, ces derniers peuvent exercer leurs droits sur le patrimoine professionnel, mais seulement sur le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos.

Toutefois, si l’entrepreneur individuel a consenti des sûretés réelles sur ses biens personnels qui sont ensuite utilisés dans son activité professionnelle, les créanciers antérieurs conservent leur garantie sur ces biens.

Pour que le régime soit applicable, l’entrepreneur doit simplement rapporter la preuve de l’inclusion ou de l’exclusion de certains biens dans l’actif de l’entreprise.

❸ Les nouveaux textes prévoient que la responsabilité des créanciers peut être engagée en cas de réalisation de mesures d’exécution forcée ou conservatoires sur des éléments d’actifs qui ne faisaient manifestement pas partie de son droit de gage. Il convient donc pour eux d’être vigilants et de bonne foi.

❹ Lorsque l’activité de l’entrepreneur individuel cesse (terme de l’activité ou décès), les patrimoines personnel et professionnel sont à nouveau réunis. On suppose donc que les créanciers se retrouveront en concurrence sur un seul et unique patrimoine personnel.

❺ Pour les entreprises individuelles créées avant l’entrée en vigueur de la loi, la dissociation des patrimoines personnel et professionnel ne s’appliquera qu’aux nouvelles créances nées après le 15 mai 2022.

L’exception des sûretés prises sur le patrimoine personnel

L’article 526-25 du code de commerce permet à l’entrepreneur de consentir des sûretés sur son patrimoine personnel au profit des créanciers professionnels, sur demande écrite et précise (terme, montant déterminé ou déterminable) de ces derniers. 

L’entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la dérogation prévue au quatrième alinéa de l’article L. 526-22, pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. Cette renonciation doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret.

Cette renonciation ne peut intervenir avant l’échéance d’un délai de réflexion de sept jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation. Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature de la mention manuscrite énoncée par décret et uniquement de celle-ci, le délai de réflexion est réduit à trois jours francs.

NOTA : Conformément au I de l’article 19 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, ces dispositions entrent en vigueur à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi. Les articles L. 526-22 à L. 526-31 du code de commerce s’appliquent aux créances nées après l’entrée en vigueur de ladite loi.

Il s’agit là d’un mécanisme qui pourrait être utilisé (automatiquement) par les banques souhaitant garder la mainmise sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur en cas de demande de crédit.

Cette renonciation ne pourra intervenir « avant l’échéance d’un délai de réflexion de sept jours à compter de la réception de la demande de renonciation ».

Formalité simplifiée en cas de transfert du patrimoine professionnel

L’article 1er de la loi facilite la transmission de l’entreprise individuelle et son passage en société. Il prévoit ainsi que l’entrepreneur individuel peut vendre, donner ou apporter en société l’intégralité ou une partie seulement de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci.

L’entrepreneur peut transmettre son patrimoine professionnel. Mais tout transfert doit faire l’objet de mesure de publicité afin d’informer les créanciers et de le rendre opposable.

« L’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. Le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés ».

Les créanciers de l’entrepreneur disposent alors d’un droit d’opposition prévu à l’article 526-28 du code de commerce, qui n’interdit pas le transfert, mais leur permet d’obtenir d’un juge qu’il ordonne le remboursement de sa créance ou la constitution de garantie à son profit.

« Les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel, dans un délai fixé par décret ».

FOCUS INDIVISION

Si le patrimoine professionnel est un bien indivis, les règles de préemption profitant aux coindivisaires sont écartées (article 815-12 code civil : « l’indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis est redevable des produits nets de sa gestion. Il a droit à la rémunération de son activité dans les conditions fixées à l’amiable ou, à défaut, par décision de justice »).

Disparition de l’EIRL

Relevons que l’EIRL a vocation à disparaître. À compter de la publication de la loi, plus aucune EIRL ne peut être créée. Celles existant continuent d’exister pendant le temps de transition.

Par Sophie Rieussec et Nicolas Graftieaux

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