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Droit de la famille

Donation de gains et salaires communs et requalification d'une assurance-vie en donation

Cass. civ. 1ère, 20 nov. 2019

Unions (mariage / pacs / concubinage), Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

Le doute s’agissant de la donation par un époux commun en biens de gains et salaires économisés n’est plus permis : par un arrêt de principe la Cour de cassation soumet cette libéralité à un principe de cogestion (et donc à un accord des deux époux).

Les faits

Un époux marié sous le régime de la communauté universelle consent deux donations à sa maîtresse, en prélevant des fonds sur des comptes ouverts à son seul nom.

Il avait également désigné cette dernière comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie mixte, qu’elle accepte du vivant de l’époux souscripteur qui accepte lui-même sa démarche. Rappelons que dans ce cas, le souscripteur perd son droit à agir tant sur le nom du bénéficiaire que sur le capital investi.

Postérieurement au décès de son mari infidèle, l’épouse assigne la maitresse à fin de nullité des libéralités consenties à son insu, souhaitant obtenir le remboursement des sommes litigieuses.

La position des juges du fond

Les demandes d’annulation des donations directes sont accueillies par les juges du fond, qui requalifient également les contrats d’assurance-vie en libéralité.

La maitresse forme un pourvoi en cassation.

Le pourvoi en cassation

La demanderesse soutient en premier lieu que les donations directes portaient, au moins partiellement, sur les gains et salaires de l’époux donateur, expliquant que ces fonds sont soumis à la libre disposition de celui qui les perçoit, dès lors qu’il s’est acquitté de sa part des charges du mariage.

Dans un second moyen, la maitresse reproche aux juges du fond d’avoir considéré que l’acceptation par le souscripteur de l’acceptation du bénéficiaire signait de manière suffisante la volonté de se dépouiller de manière irrévocable (dès lors que le souscripteur se trouve privé de toute possibilité de rachat du fait de cette acceptation).

La position de la Cour de cassation

S’agissant des donations directes

La Cour de cassation rejette le moyen du pourvoi relatif aux donations directes en considérant que :

« Mais attendu que ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ; ».

La Haute juridiction met ainsi fin à un débat qui n’étaient pas totalement tranché relatif à l’articulation entre : 

  • L’article 223 du Code civil (« Chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges du mariage »), disposition qui consacre l’autonomie professionnelle des époux et leur permet d’utiliser librement leurs gains et salaires après s’être acquitté de leur part des charges du mariage. Certains auteurs de doctrine – majoritaires – considéraient ainsi que les gains et salaires répondaient en toutes hypothèses à une gestion exclusive de l’époux qui les a perçus.

Chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges du mariage.

  • Et l’article 1422 du même code (« Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté. Ils ne peuvent non plus, l’un sans l’autre, affecter l’un de ces biens à la garantie de la dette d’un tiers ») qui soumet les époux communs en biens à un principe de cogestion s’agissant de la donation de biens communs, catégorie dont les gains et salaires font partie.

Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté. Ils ne peuvent non plus, l’un sans l’autre, affecter l’un de ces biens à la garantie de la dette d’un tiers.

La Haute juridiction tranche cette articulation sans toutefois faire primer un texte sur l’autre mais en ayant recours à la notion d’ « économie » considérant que la règle de cogestion de l’article 1422 du Code civil s’applique aux gains et salaires à partir d’un certain seuil : celui où ils ont été économisés. 

Par une analyse a contrario de cet arrêt, les gains et salaires non-économisés peuvent être donnés par l’époux qui les a perçus sans le consentement de son conjoint, après avoir participé au règlement des charges du mariage.

Si l’arrêt est limpide sur les pouvoirs des époux sur les gains et salaires économisés, la Cour de cassation ne définit pas la notion d’économie, qui ne figure pas non plus au sein du Code civil. Des incertitudes subsistent donc : 

  • À partir de quel moment les gains et salaires doivent-ils être considérés comme économisés ?
  • Doivent-ils être placés sur un compte d’épargne producteur d’intérêts différent du compte courant destiné à régler les dépenses du quotidien ?
  • Combien de temps les fonds doivent-ils être placés pour que l’économie soit caractérisée ? 
  • S’il reste longtemps sur le compte courant, une économie peut-elle être retenue ?
  • Une disproportion peut-elle être retenue (exemple : si la donation porte sur deux mois de salaire) ?

Enfin, la solution de la Cour de cassation interroge sur le sort des gains et salaires économisés vis-à-vis du droit de gage des créanciers ? Pour mémoire, aux termes de l’article 1414 du Code civil, le créancier d’un époux ne peut exercer ses poursuites sur les gains et salaires du conjoint de son débiteur, sauf en cas de dette ménagère solidaire. En complément, l’article suivant prévoit qu’en cas de cautionnement ou d’emprunt, sans solidarité contractuelle, souscrit par un époux sans le consentement de l’autre, le créancier ne peut exercer ses poursuites sur aucun bien commun, sauf les revenus (en ce compris les gains et salaires et les revenus des biens propres) de l’époux qui a souscrit la dette. Les dettes propres de chacun des époux suivent le même régime (articles 1410 et 1411 du même code). Doit-on différencier entre gains et salaires non-économisés et économisés pour délimiter le droit de gage général des créanciers ?

S’agissant du contrat d’assurance-vie

Rappel du droit positif

Pour rappel, l’article L. 132-23 du code des assurances ménage au souscripteur de certains contrats d’assurance-vie une faculté de rachat. Dans ce cas, le souscripteur conserve une certaine maîtrise sur son contrat d’assurance, instrument de prévoyance et de capitalisation.

Les assurances temporaires en cas de décès ainsi que les rentes viagères immédiates ou en cours de service ne peuvent comporter ni réduction ni rachat. Les assurances de capitaux de survie et de rente de survie, les assurances en cas de vie sans contre-assurance et les rentes viagères différées sans contre-assurance ne peuvent comporter de rachat.

Les contrats d’assurance en cas de vie dont les prestations sont liées à la cessation d’activité professionnelle, y compris les contrats qui relèvent du régime de retraite complémentaire institué par la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique, ne comportent pas de possibilité de rachat. Les contrats qui relèvent du régime de retraite complémentaire institué par la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique peuvent prévoir, à la date de liquidation des droits individuels intervenant à partir de la date de cessation d’activité professionnelle, une possibilité de rachat dans la limite de 20 % de la valeur des droits individuels résultant de ces contrats. La convention d’assurance de groupe dénommée  » complémentaire retraite des hospitaliers  » peut également prévoir, à la date de liquidation des droits individuels intervenant à partir de la date de cessation d’activité professionnelle, une possibilité de rachat dans la limite de 20 % de la valeur des droits individuels garantis par la convention à la date de liquidation. Si une possibilité de rachat lui est ouverte, l’affilié reçoit, lorsqu’il demande la liquidation de ses droits, une information détaillant les options soumises à son choix, dont le contenu est fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie. Toutefois, ces contrats doivent prévoir une faculté de rachat intervenant lorsque se produisent l’un ou plusieurs des événements suivants :

-expiration des droits de l’assuré aux allocations chômage accordées consécutivement à une perte involontaire d’emploi, ou le fait pour un assuré qui a exercé des fonctions d’administrateur, de membre du directoire ou de membre de conseil de surveillance, et n’a pas liquidé sa pension dans un régime obligatoire d’assurance vieillesse, de ne pas être titulaire d’un contrat de travail ou d’un mandat social depuis deux ans au moins à compter du non-renouvellement de son mandat social ou de sa révocation ;

-cessation d’activité non salariée de l’assuré à la suite d’un jugement de liquidation judiciaire en application des dispositions du livre VI du code de commerce ou toute situation justifiant ce rachat selon le président du tribunal de commerce auprès duquel est instituée une procédure de conciliation telle que visée à l’article L. 611-4 du code de commerce, qui en effectue la demande avec l’accord de l’assuré ;

-invalidité de l’assuré correspondant au classement dans les deuxième ou troisième catégories prévues à l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ;

-décès du conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;

-situation de surendettement de l’assuré définie à l’article L. 330-1 du code de la consommation, sur demande adressée à l’assureur, soit par le président de la commission de surendettement des particuliers, soit par le juge lorsque le déblocage des droits individuels résultant de ces contrats paraît nécessaire à l’apurement du passif de l’intéressé.

Les droits individuels résultant des contrats d’assurance de groupe en cas de vie dont les prestations sont liées à la cessation d’activité professionnelle, y compris les contrats qui relèvent du régime de retraite complémentaire institué par la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique, sont transférables, dans des conditions fixées par décret.

Lorsque le contrat d’assurance de groupe en cas de vie est ouvert sous la forme d’un plan d’épargne retraite mentionné à l’article L. 224-1 du code monétaire et financier, les dispositions du présent article s’appliquent sous réserve de celles du chapitre IV du titre II du livre II du code monétaire et financier.

Pour les autres assurances sur la vie et pour les opérations de capitalisation, l’assureur ne peut refuser la réduction ou le rachat. Toutefois, le contrat peut stipuler que les engagements relevant du chapitre IV ne sont pas rachetables durant une période qui ne peut excéder une durée fixée par décret en Conseil d’Etat, sauf lorsque se produisent l’un ou plusieurs des événements mentionnés aux troisième à septième alinéas.

L’assureur peut d’office substituer le rachat à la réduction si la valeur de rachat est inférieure à un montant fixé par décret.

Depuis la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, cette disposition précise que l’acceptation du bénéficiaire empêche le souscripteur d’exercer librement sa faculté de rachat, qu’il ne pourra désormais mettre en œuvre qu’avec l’accord du bénéficiaire.

Avant la loi du du 17 décembre 2007 : par un arrêt rendu en chambre mixte le 22 février 2008, la Cour de cassation a énoncé la solution inverse par application du droit antérieur (Cass., ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934) :

« lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit ».

En résumé, sous l’empire des textes anciens, la seule acceptation par le tiers bénéficiaire ne suffisait pas à priver le souscripteur de sa faculté de rachat. Il convenait pour qu’il en soit privé, qu’il y renonce expressément (Cass. civ. 2ème, 3 nov. 2011, n° 10-25.364 ; Cass. civ 2ème, 4 nov. 2010, n° 09-70.606).

La détermination de la faculté de rachat dans l’appréciation de la requalification

La faculté de rachat du contrat d’assurance vie constitue traditionnellement l’un des critères importants de leur potentielle requalification en donation. Rappelons en effet qu’un contrat d’assurance-vie « peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable » (Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769 ; Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269).

La qualification de donation indirecte aboutit à soumettre la libéralité aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès, en écartant l’application des articles L. 321-12 et L. 321-13 du code des assurances.

Confirmation de la Haute juridiction

Dans l’arrêt commenté, soumis au droit applicable avant la loi du 17 décembre 2017, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence initiée en 2008 en énonçant que :  

« Vu l’article L. 132-9 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, et l’article L. 132-21 du même code, ensemble l’article 894 du code civil,

Attendu, selon ces textes, qu’en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ;

Attendu que, pour requalifier en donations indirectes les contrats d’assurance sur la vie que V… P… a souscrit en désignant Mme W… L… comme bénéficiaire, l’arrêt énonce, d’abord, qu’un tel contrat peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable et que tel est le cas lorsque celui-ci a consenti à l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire dans la mesure où, en une telle hypothèse, il est alors privé de toute possibilité de rachat ; qu’il relève, ensuite, que, le 28 septembre 2004, Mme W… L… et V… P… ont signé une lettre par laquelle ils demandaient à l’assureur d’enregistrer l’accord de Mme W… L…, bénéficiaire acceptante des contrats d’assurance ; qu’il en déduit, enfin, que celui-ci ayant ainsi consenti à cette acceptation, il s’est dépouillé irrévocablement de sorte que les contrats doivent être requalifiés en donation indirecte ;

Qu’en statuant ainsi, sans constater une renonciation expresse de V… P… à l’exercice de son droit de rachat garanti par le contrat, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; ».

La cour d’appel ne pouvait donc retenir l’existence d’une libéralité sans constater une renonciation expresse du souscripteur à l’exercice de son droit de rachat laquelle ne pouvait être déduite de la seule acceptation par le bénéficiaire dans la mesure où le contrat n’était pas soumis à la loi du 17 décembre 2017.

Pour récapituler : 

  • Avant la réforme de 2007 : l’acceptation était sans incidence sur la faculté de rachat, à défaut de renonciation expresse du souscripteur à cette faculté ;
  • A compter de la réforme de 2007 : l’acceptation neutralise par principe la faculté de rachat, sauf accord du bénéficiaire.

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