Jurisprudences
Succession – Indivision sur la nue-propriété et demande judiciaire en partage
Cass. civ. 1ere, 15 janv. 2025, n°22-24.672
Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions
Enseignement de l'arrêt
L’existence d’une indivision portant sur la nue-propriété n’empêche pas de solliciter le partage de cette nue-propriété de manière judiciaire, y compris en présence d’un conjoint survivant usufruitier.
Rappel du cadre légal
Deux régimes relatifs à la propriété sont possibles en droit français : ils peuvent exister de manière indépendante ou se superposer.
Le régime de l’indivision
L’indivision désigne la situation juridique dans laquelle plusieurs personnes détiennent ensemble des droits de même nature sur un ou plusieurs biens, sans division matérielle de ces droits.
Chaque indivisaire dispose d’un droit d’usage, de jouissance et d’administration sur le bien indivis, sous réserve des droits concurrents des autres. Les décisions – en fonction de leur nature – peuvent être prises par un indivisaire ou plusieurs indivisaires selon des majorités précisées par la loi.
L’indivision est une situation temporaire à laquelle chaque indivisaire peut mettre fin à tout moment sur le fondement de l’article 815 du Code civil (sauf décision de justice ou convention d’indivision qui ne peut être que temporaire et qui reporterait le moment où l’indivision peut prendre fin).
Le démembrement de propriété
Le démembrement de propriété est une opération juridique qui consiste à diviser la propriété en deux droits distincts : l’usufruit et la nue-propriété. Chacune des parties possède des droits et des obligations propres à la nature de leurs droits.
L’usufruit est toujours temporaire : il s’éteint au décès de l’usufruitier ou à la fin du terme fixé. C’est à ce moment-là que la pleine propriété revient au nu-propriétaire. L’usufruit et la nue-propriété sont des droits parallèles, qui « se côtoient et s’ignorent ».
Pendant la durée du démembrement, l’usufruitier ne peut contraindre le nu-propriétaire à vendre le bien et inversement. Tant que l’une des parties souhaite maintenir le démembrement, il n’est pas possible d’en sortir.
Ces deux régimes peuvent se superposer :
- il peut exister plusieurs usufruitiers qui seraient donc en indivision sur ledit usufruit ou plusieurs nus-propriétaires uniquement sur la nue-propriété,
- il est enfin possible qu’un usufruitier soit également indivisaire de la nue-propriété (très fréquent pour le conjoint survivant dans une succession qui aurait opté pour l’intégralité de l’usufruit et un quart en pleine propriété).
Faits
Monsieur U et Madame C – mariés sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts – se consentent le 17 décembre 1983 une donation au dernier vivant.
Le 28 mai 2009, ils optent pour le régime de la communauté universelle :
- à l’exception des biens que l’article 1404 du Code civil déclare propres par leur nature et des biens immobiliers appartenant à l’épouse ;
- avec attribution au conjoint survivant, à son choix soit de la totalité en toute propriété des biens communs, soit de la moitié en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit.
L’épouse décède le 19 juin 2016 en laissant pour lui succéder son époux et leurs deux enfants (une fille et un fils).
Monsieur U opte pour l’attribution de la pleine propriété de l’ensemble des biens communs et pour l’usufruit de la totalité des biens de la succession de son épouse.
Les 8 et 14 juin 2021, le fils assigne son père et sa sœur. Il sollicite l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de sa mère, Madame C et de la communauté et demande le rapport à la succession des donations consenties par sa mère et la réduction des libéralités excédant la quotité disponible.
Les défendeurs saisissent le Juge de la mise en état afin de voir déclarer l’action irrecevable en l’absence d’indivision successorale.
La Cour d’appel déclare l’action du fils irrecevable : elle constate l’existence d’une indivision existant sur la nue-propriété mais considère – pour rejeter l’action du fils – que les droits indivis ne sont pas de même nature.
Apport de la Cour de cassation
La décision de la Cour de cassation est claire : sur le fondement de l’article 815 du Code civil, elle rappelle qu’en présence d’un conjoint usufruitier de la succession, une indivision existe bien pour la nue-propriété.
La demande en partage du fils est donc recevable mais ne portera que sur la nue-propriété des biens.
L’intérêt d’un tel partage peut paraître limité puisque l’usufruitier ne pourra pas être forcé à vendre les biens. En nature, sauf à ce qu’un nu-propriétaire rachète les droits de son co-nu-propriétaire, ils devront attendre le décès de l’usufruitier (ou la fin du terme fixé) pour opérer un réel partage entre eux.
Financièrement cependant, ces opérations permettent de faire valoir des créances, récompenses, rapports et réductions au bénéfice des nus-propriétaires qui pour certaines sont soumises à prescription et ne sauraient attendre le décès de l’usufruitier. En outre, cette action en partage peut être le terrain d’une négociation avec l’usufruitier pour une sortie amiable.
Cela est également vrai pour les régimes de communauté universelle. La croyance – très répandue – selon laquelle le régime de la communauté universelle avec une attribution des biens au conjoint survivant reporte le règlement de la succession du premier époux décédé est fausse et dangereuse !
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