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Procédure

La confirmation de la singularité de la procédure de partage judiciaire en appel

Cass. civ. 1ère, 9 juin 2022, RG n°20-20.688

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Ne doivent pas être déclarées irrecevables les prétentions nouvelles présentées à des conclusions adverses.

Le formalisme de la procédure d’appel

Les délais ordinaires pour conclure

La procédure d’appel est soumise à un formalisme strict qui concerne en premier lieu les délais.

Il résulte ainsi des articles 908 et suivants du code de procédure civile que la partie ayant la casquette « d’appelant » doit notifier ses conclusions dans le délai de 3 mois à compter de sa déclaration d’appel (le délai est raccourci à 1 mois pour certaines procédures).

La partie qui la qualité « d’intimée » doit à son tour notifier ses conclusions dans le délai de 3 mois des conclusions de l’appelant. L’intimé peut également faire un appel incident.

Lorsque l’intimé a formé un appel incident, l’appelant doit lui-même notifier ses conclusions dans un délai de 3 mois de l’appel incident de l’intimé.

« A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe. »

« L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. »

L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe.

Les prétentions nouvelles

Le formalisme strict de la procédure d’appel opère également sur la date de présentation des prétentions.

C’est ainsi qu’en application de l’article 910-4 du Code de procédure civile, chaque partie doit présenter l’ensemble de ses prétentions au fond dès ses premières conclusions. Les parties ne peuvent formuler ultérieurement de nouvelles prétentions.

A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

La Cour de cassation a récemment dû se prononcer sur le sujet de la recevabilité de nouvelles prétentions formulées par un héritier en réponse à des conclusions adverses dans une procédure de partage judiciaire.

Apport de l’arrêt

Faits de l’espèce

Trois héritiers sont en désaccord sur le règlement de la succession de leurs parents. Une procédure de partage judiciaire est initiée.

En appel, l’un des héritiers sollicite la condamnation de ces deux co-héritiers au rapport de certaines libéralités

Non content de formuler cette demande pour la première fois en appel, cet héritier ne l’insère pas dans son premier jeu de conclusions mais dans le second.

Ses cohéritiers soulèvent l’irrecevabilité de cette demande aux motifs qu’il s’agirait d’une prétention nouvelle.

Par arrêt du 19 mai 2020, la cour d’appel juge irrecevable cette demande de rapport de la donation car présentée tardivement. Elle considère qu’une telle demande aurait dû être formulée dans les premières conclusions déposées devant elle.

Autrement dit, elle confirme la jurisprudence autorisant la formulation de prétentions nouvelles en appel pour la première fois -dans les procédures de partage- mais la conditionne à leur insertion dans le premier jeu de conclusions.

L’héritier déclaré irrecevable forme un pourvoi en cassation.

Il fait grief à la Cour d’appel d’avoir statué ainsi , alors « que sont en tout état de cause recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions ou pièces adverses ; qu’en ne recherchant pas si l’augmentation du quantum des demandes de rapport ne constituait pas une réplique aux pièces et conclusions adverses, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 910-4 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable. »

Décision de la Cour de cassation

Par arrêt du 9 juin 2022, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.

La Cour de cassation considère que :

« Vu l’article 910-4 du code de procédure civile : 

5. En application de l’alinéa 2 de ce texte, l’irrecevabilité prévue par son alinéa 1er ne s’applique pas aux prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses. 

6. Tel est le cas en matière de partage où, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse. 

7. Pour déclarer irrecevables les prétentions nouvelles formées par Mme [L] au titre des rapports dus par Mme [T] [D] et M. [K] [D] dans ses conclusions déposées postérieurement au 20 février 2019, l’arrêt retient qu’en l’absence de survenance ou de révélation d’un fait postérieur à leurs écritures déposées dans les délais des articles 908, 909 et 910 du code de procédure civile, ne sont recevables que les prétentions formées par Mme [L] dans ses conclusions du 26 novembre 2018 formant appel incident et que les prétentions contenues dans les conclusions postérieures se heurtent à l’irrecevabilité édictée par l’article 910-4 du même code. 

8. En statuant ainsi, alors que les prétentions formées par Mme [L] dans ses dernières conclusions portaient sur de nouvelles demandes de rapports dus par Mme [T] [D] et M. [K] [D] et avaient donc trait au partage de l’indivision successorale, de sorte qu’elles devaient s’analyser en une défense aux prétentions adverses, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Analyse de l’arrêt

Cette décision est la suite logique de la position classique de la Cour de cassation.

Il résulte en effet d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’en matière de partage, les parties sont respectivement demanderesses et défenderesses, de sorte que toute demande est en réalité une défense à une prétention adverse : (Civ. 20 avr. 1928 ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.280; 3 avr. 2001, n° 99-20.717 ; 17 juin 1976, n° 74-14.697 ; 10 janv. 1978, n° 76-10.835 ; 20 mars 1989, n° 87-10.798 ; Civ. 2e, 3 févr. 1983, n° 80-16.702 ; Civ. 1re, 12 nov. 1987, n° 86-10.258 ; 1er oct. 1996, n° 94-18.297).

Dans l’arrêt du 09 juin 2022 ici commenté, la Cour de cassation d’une part confirme cette position jurisprudentielle et d’autre part complète son raisonnement juridique.

Le partage est donc une exception au principe de concentration des prétentions en appel. Ainsi, les parties ne sont pas soumises à la nécessité de présenter toutes les demandes dès le dépôt des premières conclusions. Elles peuvent placer dans le débat en appel des prétentions qui n’ont pas été discutées en première instance, mais elles sont aussi dorénavant autorisées à formuler ces demandes dans des conclusions postérieures à celles présentées pour la première fois devant la cour d’appel.

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