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Procédure

Responsabilité du notaire – Le secret professionnel du notaire protégé

Cass. civ. 1ère, 11 janv. 2023, FS-B, n°20-23.679

Procédure et pratiques professionnelles

Enseignement de l'arrêt

Sans une ordonnance délivrée par le Président du Tribunal Judiciaire en ce sens, le notaire peut refuser de communiquer la nouvelle adresse de son client au commissaire de justice en charge de l’exécution de la décision.  

L’étendue du secret professionnel du notaire

Une obligation déontologique envers son client

Principe

Les règles déontologiques du notaire sont posées dans le règlement national des Notaires (approuvé par arrêté de Madame la Garde des Sceaux Nicole Belloubet, ministre de la Justice le 22 mai 2018 et publié au journal officiel le 25 mai 2018). 

Tout d’abord, le notaire a une obligation d’impartialité, de probité et d’information la plus complète du notaire envers sa clientèle. L’intérêt du client prime toujours sur le sien. Il doit choisir les moyens les plus appropriés pour parvenir au résultat désiré par le client, en conformité avec la loi (article 3.2). 

Ensuite, il est tenu au secret professionnel. Ce secret professionnel est général et absolu. Il en est tenu dans les conditions prévues par le Code pénal ou toutes autres dispositions législatives ou réglementaires. 

Ce secret couvre tout ce qui a été porté à la connaissance du notaire dans l’exercice de ses fonctions (article 3.4).

Le secret professionnel du notaire est encore précisé à l’article 20 du règlement qui énonce que le notaire doit :

« – n’accepter de témoigner sur ses clients ou affaires de son étude que dans les cas expressément prévus par la loi telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence ; 

– refuser de donner communication des actes déposés en son office sauf aux parties elles-mêmes, leurs héritiers ou ayants-droits ou leurs mandataires, ou toute personne autorisée par la loi ou par décision judiciaire, qui auront à justifier de leur identité et de leur qualité (loi du 25 Ventôse, an XI, article 23) ; ».

Une exception récente, mais très encadrée et surtout très formelle au devoir du secret professionnel

L’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803) dispose que : «  Les notaires ne pourront également, sans l’ordonnance du président du tribunal judiciaire, délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d’autres qu’aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages-intérêts, d’une amende de 15 euros, et d’être en cas de récidive, suspendus de leurs fonctions pendant trois mois, sauf néanmoins l’exécution des lois et règlements sur le droit d’enregistrement et de ceux relatifs aux actes soumis à une publication. ».

Cette disposition a été créée par l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2020. Elle est donc récente.

La responsabilité du notaire

La responsabilité du notaire peut être engagée sur plusieurs volets : civil, pénal ou/et disciplinaire, en fonction de la faute qui lui est reprochée. Chaque volet étant indépendant. 

La responsabilité civile du notaire

Toute négligence de la part du notaire dans la rédaction de ses actes et dans les contrôles qu’il doit effectuer peut suffire à engager sa responsabilité civile. 

Cette responsabilité sera engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil, car comme le rappelle l’énonce la Cour de cassation en 2018, la responsabilité du notaire est délictuelle et non contractuelle (Cass. 1re civ., 6 juin 2018, n° 17-13.975, Bull. 2018, I, n° 99).

La responsabilité disciplinaire du notaire

L’action disciplinaire est recevable pour des manquements à toutes les règles déontologiques.

Les autorités compétentes en matière disciplinaire sont le procureur général et le président du conseil régional ou de la chambre interdépartementale des notaires.

Les sanctions disciplinaires du notaire ont été introduites dans l’ordre juridique interne par l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 abrogeant l’ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.

L’article 16 de cette ordonnance de 2022 dispose ainsi que : 

« Les peines disciplinaires personnelles sont :

1° L’avertissement ;

2° Le blâme ;

3° L’interdiction d’exercer à titre temporaire pendant une durée maximale de dix ans ;

4° La destitution, qui emporte l’interdiction d’exercice à titre définitif ; » 

A ces peines s’ajoute le rappel à l’ordre qui peut être prononcé en dehors de la procédure disciplinaire (article 6).

L’ordonnance prévoit également des peines financières énoncées au même article : « Les peines financières peuvent être prononcées à titre alternatif, ou cumulatif avec les peines personnelles. Elles prennent la forme d’amendes (les notaires salariés ne sont pas concernés) qui peuvent atteindre 10 000 € ou (alternatif) 5% du CA annuel HT du professionnel. Là aussi le sursis est possible. » 

Toutes les peines disciplinaires peuvent être prononcées avec sursis. 

L’apport de la Cour de cassation

Exposé des faits

En l’espèce, une décision de justice avait déclaré une vente caduque. En conséquence, l’acheteur avait été condamné à payer diverses sommes au vendeur.  Cependant, l’acheteur a déménagé sans communiquer sa nouvelle adresse au vendeur. Le commissaire de justice en charge de l’exécution de la décision sollicite auprès du notaire de l’acheteur sa nouvelle adresse. 

Le notaire refuse et le vendeur engage une action en responsabilité et indemnisation contre le notaire, lui reprochant une obstruction à l’exécution du jugement.

Dans un jugement du 5 novembre 2020, le tribunal judiciaire d’Argentan fait droit à la demande du vendeur, puis l’affaire est portée devant la Cour de cassation. 

Un secret professionnel protégé par la Cour

La question est la suivante : le notaire qui, au nom du secret professionnel, refuse de communiquer l’adresse d’un client lorsque ce renseignement est indispensable à l’exécution d’une décision de justice et que ce dernier n’oppose aucune cause légitime susceptible de justifier son refus, commet-il une obstruction à l’exécution de cette décision de justice permettant d’engager sa responsabilité ? 

La Cour de cassation répond par la négative et casse et annule le jugement du 5 novembre 2020 et ce au visa de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI. 

Elle motive son arrêt en énonçant que, selon ce texte, les notaires ne peuvent, sans une ordonnance du président du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d’autres qu’aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages-intérêts et d’une amende.

Le tribunal s’étant prononcé sans rechercher, comme il le lui incombait, si une ordonnance du président du tribunal judiciaire avait délié le notaire du secret professionnel, s’agissant d’une information contenue dans un acte qu’il aurait établi, il a privé sa décision de base légale. 

La Cour de cassation a donc refusé de passer outre cette obligation préalable de délivrance d’une ordonnance du Président du tribunal judiciaire, qui aurait permis au Notaire de se délier de son obligation de secret professionnel, et ce au détriment de l’exécution forcée rapide d’une décision de justice.

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