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Droit de la famille

Le financement de l’édification d’un immeuble sur le terrain de son conjoint ne participe pas de son obligation de contribuer aux charges du mariage

Cass. civ. 1ère, 5 avr. 2023, RG n° 21-22.296

Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

L’apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l’amélioration, par voie de construction, d’un bien personnel appartenant à l’autre et affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.

Notion de contribution aux charges du mariage définie par la jurisprudence

Dans le cadre du régime de la séparation de biens, le financement de l’acquisition et l’amélioration d’un bien immobilier peut être source de discussions dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial. Il est en effet fréquent qu’un des époux finance le bien au-delà de sa quote-part de propriété. 

La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 avril 2023 (n°21-22.296), vient poser une nouvelle pierre à l’édifice qu’elle construit sur la définition de la notion de contribution aux charges du mariage.

Une interprétation extensive de la notion de contribution aux charges du mariage

Concernant le logement de la famille

Depuis une série d’arrêts rendue le 15 mai 2013, la Cour de cassation avait fait évoluer le sort du financement inégal d’un bien immobilier acquis par les deux époux dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial (Civ 1ère 15 mai 2013, n° 11-26.933 notamment).

Avant ce revirement, les époux avaient la possibilité de solliciter la réalisation de comptes entre eux afin de corriger une éventuelle contribution inégale. L’époux qui avait « trop » financé l’acquisition du bien immobilier pouvait faire valoir une créance dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial

En 2013, la Cour de cassation a durci sa position. Elle considérait d’une part que le financement du logement de la famille entre dans la catégorie des dépenses qui peuvent être qualifiées de charges du ménage sur le fondement de l’article 214 du code civil, et d’autre part que sauf mention spécifique au contrat de mariage des époux, il leur est interdit de prouver la sur ou sous contribution de l’un des époux. 

En conséquence, la présomption de contribution aux charges du mariage prévue dans une séparation de biens, une fois qualifiée d’irréfragable par les juges, exclurait toute prise en compte de la sur-contribution d’un époux dans le financement d’un bien destiné à l’usage de la famille.

C’est la combinaison de la qualification de charge du mariage du financement de la résidence principale des époux et de l’existence de cette clause au contrat de mariage qui vient empêcher les époux de réaliser des comptes entre eux : c’est le principe de la neutralisation des créances entre époux tant étudié par les avocats spécialisés en divorce ces dernières années.

Résidence secondaire

Un arrêt a été prononcé sur le surfinancement d’une résidence secondaire par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2013 n°12-17.420. Cette décision s’était révélée assez inquiétante dans la mesure où la Cour de cassation y indiquait que la contribution aux charges du mariage peut inclure des dépenses d’investissement ayant pour objet un bien immobilier d’agrément et de loisirs du ménage.

La doctrine avait cependant relevé que la Cour de cassation avait pris en compte le train de vie particulièrement important des époux, limitant peut-être un peu la portée de cette jurisprudence.

Dans un arrêt du 3 octobre 2018, la Cour de cassation confirme une nouvelle fois que le financement d’un bien immobilier destiné à l’usage de la famille – même s’il ne constitue pas le domicile de la famille – est inclus dans la contribution de l’époux aux charges du mariage, dès lors que sa participation n’a pas excédé ses facultés contributives. Dans cet arrêt, la Cour ne fait plus référence au train de vie important de la famille et au niveau élevé de revenus de l’époux qui a surcontribué au financement de la résidence secondaire. 

Les juges de la Cour de cassation se fondent sur l’irréfragabilité -constatée par les Juges du fond- de la clause du contrat de mariage relative à la contribution aux charges du mariage

Finalement, en application de cette jurisprudence extensive de la notion de contribution aux charges du mariage, seuls deux éléments cumulatifs permettraient à un époux de pouvoir établir des comptes en cas de surfinancement d’un bien immobilier par un époux (hors location) : 

  • Une clause contraire au sein du contrat de mariage prévoyant la possibilité pour les époux d’établir des comptes entre eux ; 
  • La démonstration par l’époux que sa participation a excédé ses facultés contributives, ce qui peut s’avérer une justification difficile. 

Cette position de la Cour de cassation était sérieusement inquiétante, aboutissant à l’affaiblissement du régime matrimonial de la séparation de biens, qui se trouvait alors moins protecteur que le régime légal de la communauté des biens. 

Une interprétation progressivement restrictive de la notion de contribution aux charges du mariage

Progressivement, la Cour de cassation a défini de manière plus limitée le cadre des financements qui entre dans le champ d’application de la notion de contribution au charges du mariage.

Immobilier locatif

Tout d’abord, la jurisprudence a admis que l’acquisition d’un bien immobilier qui n’est pas destiné à l’usage de la famille mais à la location ne relève pas des charges du mariage (Cass. 1ère civ. 5 octobre 2016 n° 15-25.944).

Un époux qui aurait surfinancé un bien destiné à la location est ainsi recevable à solliciter des comptes dans le cadre de la liquidation de son régime matrimonial.

Domicile conjugal

Il a été admis en doctrine que la jurisprudence de la cour de cassation selon laquelle la « clause usuellement insérée dans les contrats de mariage relativement aux charges du mariage instaure une présomption de participation des époux auxdites charges, excluant par suite un droit de créance à ce titre » concerne le cas de remboursement linéaire des échéances mensuelles du prêt bancaire souscrit pour l’acquisition d’un bien indivis.

La Cour de cassation n’avait jamais appliqué ce principe au cas d’un apport personnel initial ou à un remboursement anticipé important, en capital. Ce fut chose faite par un arrêt du 3 octobre 2019.

Dans cette espèce, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens acquièrent un bien immobilier indivis pour moitié chacun. Ce bien était affecté à l’usage familial. Lors de cette acquisition, l’époux y investit des fonds personnels issus de la vente de biens acquis avant le mariage

Il sollicite une créance à ce titre. 

La Cour d’appel rejette sa demande en considérant que :

  • Pour apprécier les facultés contributives de l’époux, il n’y a pas lieu de distinguer entre ses revenus et son capital ;
  • La notion de contribution aux charges du mariage pouvait comprendre de manière extensive toute dépense, tout investissement réalisés dans l’intérêt de la famille ;
  • L’investissement réalisé n’apparaissait pas disproportionné au regard des capacités financières de l’époux lesquelles « ne se réduisent pas à ses seuls revenus » ;
  • En conclusion, son apport de fonds personnels constituait une participation à l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage

La Cour de cassation casse donc l’arrêt d’appel sur ce point au visa de l’article 214 du code civil (régime primaire). 

Elle précise que « sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Ainsi, il n’y a pas lieu d’étendre la notion de contribution aux charges du mariage dans le cas de l’apport personnel en capital provenant de la vente d’un bien personnel d’un époux.

La cour de cassation poursuit cette nouvelle interprétation, cette fois-ci appliquée au financement au moyen de compte-courant d’associé de société pour l’acquisition d’un appartement indivis et la construction d’une maison sur un terrain indivis.

Apport de l’arrêt du 5 avril 2023

Faits de l’espèce

Deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens divorcent par jugement du 12 mai 2014 puis rencontrent des difficultés dans le cadre du règlement de leurs intérêts patrimoniaux. 

L’époux sollicite une créance au titre du financement -au moyen de fonds personnels- des travaux d’édification d’une maison (constituant le domicile conjugal) sur le terrain de son épouse.

L’épouse s’oppose à cette demande de créance et invoque à ce titre la neutralisation des créances en vertu de la notion de la contribution aux charges du mariage.

La cour d’appel de Chambéry, en date du 29 juin 2021, donne gain de cause à l’épouse.

L’époux se pourvoit en cassation.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation retient une position un peu plus restrictive de la notion de contribution aux charges du mariage dans les termes suivants au visa de l’article 214 du code civil :

« 4. Il résulte de ce texte que, sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l’amélioration, par voie de construction, d’un bien personnel appartenant à l’autre et affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.

5. Pour rejeter la demande de créance formée par M. [B] à l’encontre de Mme [J] au titre du financement d’une partie des travaux d’édification d’une maison sur le terrain appartenant à celle-ci, l’arrêt, après avoir constaté que M. [B] avait réglé une facture de construction de la maison d’un montant de 36 240,83 euros à l’aide de capitaux provenant de son épargne personnelle, relève que l’espèce concerne le financement de la construction d’un bien personnel de l’épouse et non celui de la part indivise du conjoint, que le montant de la facture demeure relativement modeste et constitue une dépense ponctuelle, qu’il n’est pas établi de sur-contribution aux charges du mariage de M. [B] et qu’il n’est pas contesté que celui-ci a bénéficié avec les enfants du couple d’un hébergement dans le bien immobilier considéré. Il en déduit que le paiement de la facture relève de sa contribution aux charges du mariage.

6. En se déterminant ainsi, sans constater l’existence d’une convention entre les époux prévoyant l’exécution par M. [B] de sa contribution aux charges du mariage sous la forme d’un apport en capital, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Ainsi, sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l’amélioration, par voie de construction, d’un bien personnel appartenant à l’autre et affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.

Critique

Cette position est bienvenue et correspond à la tendance actuelle de la Cour de cassation de retenir une définition restrictive de la notion de contributions aux charges du mariage.

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