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Droit du patrimoine

Le financement d’un bien commun par les parents d’un époux et le droit à récompense

Cass. civ. 1ère, 11 mai 2023, n°21-19.381, F-D

Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

La Cour de cassation vient -à nouveau- sanctionner les juges du fond sur la thématique du droit à récompense dans le cadre d’un régime de communauté. Elle confirme une nouvelle fois qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier si le caractère propre des fonds objet du financement litigieux. C’est ainsi que, dans le cas d’espèce, les sommes versées directement au promoteur immobilier et au notaire par des parents pour financer l’achat immobilier en communauté de leur enfant sont susceptibles de fonder son droit à récompense.

Le droit à récompense

La récompense est un mécanisme permettant de corriger l’enrichissement d’un des époux au profit ou au détriment de l’autre ou de la communauté. Elle est prévue à l’article 1433 du Code civil.

« La communauté doit récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres. Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d’un propre, sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi. Si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions ».

La récompense est due à deux titres :

  • L’enrichissement d’un des époux au détriment de la communauté : il s’agit de l’hypothèse dans laquelle l’un des époux a utilisé des fonds communs pour son profit personnel (par exemple, le remboursement d’un prêt immobilier souscrit pour l’acquisition d’un bien propre ou le paiement de droits de succession par un époux grâce à ses revenus ou économies). L’époux sera alors redevable d’une récompense à la communauté.
  • L’enrichissement de la communauté au détriment d’un époux : il s’agit de l’hypothèse inverse, dans laquelle la communauté profite de fonds propres de l’un des époux (par exemple, l’encaissement par la communauté des fonds provenant de la vente d’un bien appartenant en propre à l’un des époux ou de sommes reçues en héritage par l’un d’eux). Une récompense sera due par la communauté à l’époux. 

La jurisprudence est importante sur les financements ouvrant droit ou non à récompense. Le nombre de décisions de justices rendues au visa de l’article 1433 du code précité est impressionnant. 

La Cour de cassation vient de confirmer une position ancienne ouvrant un droit à récompense au financement au moyen de fonds propres, même lorsque les fonds proviennent des parents d’un époux, sans transiter par le compte joint des époux.

Apport de l’arrêt

Faits de l’espèce

En cours d’union, des époux mariés sous le régime de la communauté achètent un logement familial et des locaux commerciaux. 

Les parents de l’épouse versent directement entre les mains du promoteur immobilier et du notaire, sans transiter par le compte joint des époux, pour le compte de leur fille, les sommes de 47.250 € et 50.340,37 €.

Les époux divorcent par jugement du 13 avril 2015.

Des difficultés surviennent au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.

L’ex-épouse réclame une récompense à la communauté, au titre du financement par ses parents des sommes de 47.250 € et 50.340,37 €.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 12 mai 2021 rejette cette demande aux motifs que :

« Si les sommes de 47.250 € et 50.340,37 € avaient été versées par les parents de Mme [D] pour l’acquisition du logement familial et de locaux commerciaux, biens communs, il n’en résultait pas que ces fonds, qui n’avaient pas transité par le compte joint des époux, étaient la propriété de Mme [D], de sorte qu’aucune créance n’était due par la communauté puisque ces biens avaient été financés par une masse extérieure à celle des époux ».

Le débat porte donc sur la preuve du caractère propre à l’épouse des 47.250 € et 50.340,37 € payés par ses parents.

L’ex-épouse se pourvoit en cassation.

Elle fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande de récompense au titre de l’engagement de fonds propres pour les acquisitions immobilières du couple, alors qu’elle n’a pas recherché, comme elle y était invitée, si ses parents n’avaient pas entendu faire une donation à cette dernière en procédant aux versements litigieux.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.

Position de la Cour de cassation

Au visa de l’article 1433 du code civil, la Cour de cassation considère que :

« 4. Ce texte dispose : La communauté doit récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres.

Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d’un propre, sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi.

Si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous moyens, même par témoignages et présomptions. »

5. Pour rejeter la demande de récompense formée par Mme [D] au titre de l’engagement de fonds propres pour les acquisitions immobilières du couple, l’arrêt retient que les chèques de banque d’un montant de 47 250 euros et de 50 340 euros établis par les parents de celle-ci ont été directement adressés au promoteur immobilier ou au notaire, sans transiter par le compte joint des époux, ce qui ne permet pas d’établir la preuve de leur caractère propre.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les sommes versées par les parents de Mme [D] ne correspondaient pas à des donations qu’ils lui avaient consenties, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation ».

Avis

Ainsi, pour la Cour de cassation, le fait que les sommes de 47.250 € et 50.340,37 € n’ont pas transité par le compte des époux n’a pas d’importance. Il fallait simplement vérifier si ces sommes peuvent recevoir la qualification de « propre » et donc ouvrir un droit à récompense.

Cette décision s’inscrit dans la suite logique de la position de la Cour de cassation. Il faut s’attacher à vérifier si les fonds sont propres, quel que soit leur trajet pratique. Dans l’affirmative, le droit à récompense est acquis.

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