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Droit des successions

Les difficultés liées au décès d’un gérant de SCI laissant des parts sociales indivises et la gestion d’un patrimoine immobilier frugifère dans sa succession

Cass. civ. 1ère, 15 déc. 2010

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

  • Enseignement n°1 : Le versement de la part des loyers nets à l’un des indivisaires requiert l’unanimité.
  • Enseignement n°2 : les fruits et revenus des biens indivis peuvent donner lieu à un règlement annuel toutefois, pour que ces bénéfices soient distribuables, il est nécessaire que la totalité des charges relatives aux biens aient été payées.

Faits

Un associé et gérant d’une SCI décède et laisse dans sa succession : 

  • des parts sociales en indivision
  • plusieurs biens immobiliers ne faisant pas partie d’une SCI dont il avait la gestion,

Ses héritiers, co-propriétaires des parts sociales et des biens immobiliers ne s’entendent ni sur la désignation du mandataire unique permettant de représenter les parts indivises, ni sur la désignation d’un nouveau gérant des biens immobiliers. 

En parallèle, les biens immobiliers faisant partie de la succession du de cujus sont frugifères. Une partie des héritiers souhaitent la distribution de ces fruits alors que la liquidation n’a pas encore été liquidée.

Problématiques

Règles de majorité nécessaire à la représentation de parts sociales de SCI en indivision

Question : comment les héritiers co-propriétaires des parts indivises peuvent-ils désigner le mandataire ? Peuvent-ils se prévaloir de la majorité des deux tiers de l’article 815-3 2ième du code civil ou l’unanimité de l’article 1844 du code civil est-elle requise ?

Rappelons à titre liminaire les textes applicables.

L’article 815-3 2ème alinéa du code civil dispose : « Le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

[…] 2° Donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ; » 

« Le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

1° Effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis ;

2° Donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ;

3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision ;

4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Ils sont tenus d’en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.

Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.

Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux ».

L’article 1844 du code civil dispose : « Les copropriétaires d’une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent. »

« Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives.

Les copropriétaires d’une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent.

Si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier.

Les statuts peuvent déroger aux dispositions du deuxième alinéa et de la seconde phrase du troisième alinéa ».

Quel article doit prévaloir et dans quel cas ? 

Réponse :  

La première chambre civile, dans son arrêt du 15 décembre 2010 considère que l’article 1844 du code civil est d’ordre public et qu’il ne peut dès lors y être dérogé : 

« En cas de désaccord entre les copropriétaires d’une part sociale indivise sur le choix du mandataire unique qui, selon l’article 1844 du code civil, doit les représenter, il ne peut être dérogé aux dispositions impératives de ce texte prévoyant la désignation du mandataire en justice. » 

En conséquence, il n’est pas possible de se prévaloir de l’article 815-3 du code civil et de la majorité des deux tiers pour désigner un mandataire représentant les parts sociales indivise. En cas d’absence d’unanimité entre les héritiers, la désignation du mandataire ne pourra se faire que par voie judiciaire

Mandats de gérer la succession ou les biens indivis : différences de mandat

Question : les héritiers n’arrivent pas à s’entendre sur la désignation d’un mandataire successoral chargé de gérer l’ensemble de la succession. Une partie des héritiers se prévaut de l’article 815-3 du code civil pour justifier la désignation d’un tiers qui aurait le mandat général d’administrer les biens indivis de la succession alors que l’autre partie considère que cet article doit être écarté en raison des règles de l’unanimité qui régit le droit des successions. Qui a raison ? 

Règle de droit

L’article 815-3 2ème du code civil dispose que « Le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité : […] 2° Donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ; » donc les règles de la majorité des deux tiers.

Cependant, l’article 813 du code civil dispose que : « Les héritiers peuvent, d’un commun accord, confier l’administration de la succession à l’un d’eux ou à un tiers. Le mandat est régi par les articles 1984 à 2010 » et donc par les règles de l’unanimité puisqu’il faut que les héritiers agissent d’un commun accord. Si les héritiers n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la désignation d’un mandataire successoral, ils ont l’obligation de saisir le juge pour lui demander d’en désigner un. 

« Les héritiers peuvent, d’un commun accord, confier l’administration de la succession à l’un d’eux ou à un tiers. Le mandat est régi par les articles 1984 à 2010.

Lorsqu’un héritier au moins a accepté la succession à concurrence de l’actif net, le mandataire ne peut, même avec l’accord de l’ensemble des héritiers, être désigné que par le juge. Le mandat est alors régi par les articles 813-1 à 814. »

Réponse : situés dans des chapitres distincts, il pourrait de prime abord sembler que l’article 813 du code civil et l’article 815-3 constituent deux catégories distinctes de mandat. 

En réalité, cette appréciation ne saurait tenir : mandat successoral et mandat de l’indivision ne sont que deux applications particulières d’une même catégorie : celle du mandat conventionnel

Ces deux mandats ne se distinguent en principe que par leur objet : 

  • l’objet de l’article 815-3 du code civil vise la gestion des biens indivis seulement pour les actes conservatoires et les actes d’administration, 
  • l’objet de l’article 813 du code civil, de son côté, vise non seulement l’administration des biens successoraux mais également, les actes juridiques ou matériels que supposent le règlement et la liquidation de la succession : l’unanimité est requise pour ces actes d’une importance accrue,

Cette distinction de majorité se poursuit logiquement dans l’étendue des pouvoirs susceptibles d’être délégués au mandataire. 

Ainsi mandaté par « seulement » par les deux tiers de l’article 815-3, les pouvoirs du mandataire seront limités aux pouvoirs dont ses mandants disposaient. 

Cependant, la distinction ainsi établie avec le mandat successoral (qui requiert l’unanimité) n’est que relative, car le mandat conféré à cette majorité concerne certes des biens indivis, et il déroge au principe d’unanimité régissant l’indivision, mais il va également constituer une dérogation au principe d’unanimité régissant le mandat successoral chaque fois qu’il portera sur des biens indivis successoraux. 

Autrement dit, la règle d’exception posée par l’article 815-3 constitue également une règle d’exception à l’article 813 du Code civil lorsque le mandat porte sur des biens successoraux indivis. Il s’ensuit que dans l’hypothèse où des héritiers indivis consentent à l’unanimité un mandat successoral conventionnel, ils s’interdisent par là-même de consentir un mandat conventionnel en application de l’article 815-3, quand bien même ils représenteraient la majorité des deux tiers exigés par ce texte. Pour la même raison, si des héritiers indivis avaient consenti un mandat de gestion des biens indivis à la majorité des deux tiers, le fait de consentir par la suite un mandat successoral portant sur les mêmes biens vaudrait révocation du premier, conformément à la règle de l’article 2006 du Code civil.

« La constitution d’un nouveau mandataire pour la même affaire vaut révocation du premier, à compter du jour où elle a été notifiée à celui-ci. »

La distribution des fruits et revenus (loyers) de biens immobiliers indivis de la succession

Question : la majorité des deux tiers suffit-elle à décider de la distribution des fruits des biens immobiliers indivis ? La distribution des fruits d’une indivision successorale est-elle un acte de disposition ou un acte d’administration ? 

Règle de droit : 

L’article 815-10 du code civil dispose que les « fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision », ce qui désigne, de manière générale, toutes les plus-values, bénéfices et fruits procurés aux biens indivis.  Il en résulte que tous les bénéfices réalisés à partir de ces biens sont en principe eux-mêmes indivis et appartiennent dès lors à tous les indivisaires à proportion de leurs droits respectifs dans l’indivision

Ainsi, par exemple, les bénéfices et dividendes provenant de parts sociales indivises constituent des fruits qui accroissent à l’indivision (Cass.1re civ., 28 mars 2018, n° 17-16.198). Les fruits et revenus font donc partie de la masse successorale.   

 L’article 815-11 du code civil dispose quant à lui que tout « indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables ». 

« Tout indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables.

A défaut d’autre titre, l’étendue des droits de chacun dans l’indivision résulte de l’acte de notoriété ou de l’intitulé d’inventaire établi par le notaire.

En cas de contestation, le président du tribunal de grande instance peut ordonner une répartition provisionnelle des bénéfices sous réserve d’un compte à établir lors de la liquidation définitive.

A concurrence des fonds disponibles, il peut semblablement ordonner une avance en capital sur les droits de l’indivisaire dans le partage à intervenir ».

Réponse : 

Ainsi, les fruits et revenus des biens indivis, au lieu d’accroître constamment la masse indivise pour être finalement partagés avec elle, soit dans un partage définitif, soit dans un partage provisionnel, peuvent donner lieu à un règlement annuel.

L’article 815-11 alinéa 3 précise que, « en cas de contestation, le président du tribunal de grande instance peut ordonner une répartition provisionnelle des bénéfices sous réserve d’un compte à établir lors de la liquidation définitive ». 

Il doit en être déduit que la distribution des fruits et bénéfices des biens issus de la succession du de cujus ne pourront pas être distribués par les héritiers à la majorité des deux tiers. Le versement de la part des loyers nets à l’un des indivisaires requiert l’unanimité. Par ailleurs, pour que ces bénéfices soient distribuables, il est nécessaire que la totalité des charges relatives aux biens aient été payées. 

En revanche, en cas de contestation, l’un seul des indivisaires peut solliciter judiciairement un tel versement.

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