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Procédure

Les délais de recours à compter du prononcé d’un jugement

Civ. 1ère, 28 sept. 2022, n°20-18675

Procédure et pratiques professionnelles

Enseignement de l'arrêt

Un délai de recours peut courir à compter du prononcé de la décision si les parties ont immédiatement pu en prendre connaissance.

La possibilité de faire courir le délai de recours à compter du prononcé de la décision

Un cas particulier que la loi doit prévoir

De façon générale, la loi prévoit qu’un délai de recours à l’encontre d’une décision court à compter de sa notification (par le Greffe ou par signification par un commissaire de justice). Cette notification a non seulement pour objectif de porter à la connaissance des intéressés une décision mais également de les informer des voies de recours à l’encontre de cette dernière.

L’article 528 du Code de procédure civile prévoit toutefois qu’il puisse en être différemment, lorsque la loi prévoit expressément et spécialement que ce délai court à compter du prononcé du jugement.

« Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement.

Le délai court même à l’encontre de celui qui notifie. »

Tel est le cas de l’article 36 (abrogé par décret du 17 juin 2022) du décret du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels selon lequel « L’appel est formé dans le délai d’un mois. Toutefois ce délai est réduit à quinze jours en ce qui concerne les décisions rendues en matière de suspension provisoire. Le délai court, à l’égard du procureur de la République, du jour où la décision est rendue, s’il s’agit d’une décision du tribunal judiciaire ou du juge des référés, et du jour de la notification qui lui en est faite, s’il s’agit d’une décision de la chambre de discipline. Le délai court, à l’égard de l’officier public ou ministériel, du jour de la décision quand celle-ci est rendue en présence de l’intéressé ou de son défenseur, dans le cas contraire, il court du jour de la notification qui lui est faite. Dans le cas où l’appel est ouvert au président de la chambre de discipline et à la partie lésée, le délai court à leur égard à compter du jour de la signification du jugement. En cas d’appel d’une partie, un délai supplémentaire de huit jours est accordé à l’autre partie pour interjeter appel incident. ».

Une interprétation stricte des textes en la matière

En l’espèce, un procureur de la République a engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un notaire.

Par Jugement du 3 décembre 2019, prononcé en la présence du notaire et de son avocat, des sanctions disciplinaires sont ordonnées. 

Le 21 février 2020, le notaire interjette appel de la décision de première instance.

Aux termes de son arrêt du 11 juin 2020, la Cour d’appel d’Aix en Provence déclare toutefois irrecevable cet appel, le considérant comme tardif, l’appel d’un jugement en matière disciplinaire devant être formé dans un délai d’un mois à compter du prononcé du jugement.

La Cour d’appel précise qu’il n’était pas prévu que les modalités et le délai de recours soient énoncés lors du prononcé du jugement.

Le notaire sanctionné disciplinairement forme un pourvoi en cassation, considérant que la Cour d’appel a violé l’article 36 du décret du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels.

Le demandeur au pourvoi soutient également que le droit d’accès à un tribunal et à un recours effectif, garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) ne peut être effectif que si le délai d’appel d’un jugement prononçant une sanction contre un officier public lui est opposable uniquement si le jugement a été porté à sa connaissance avec précision des voies et délais de recours. De sorte que si l’article 36 du décret du 28 décembre 1973 doit être interprété comme faisant courir le délai d’appel en raison de la présence de l’officier ministériel à l’audience, sans information particulière, alors cet article est contraire à l’article 6 de la CESDH.

Par arrêt du 28 septembre 2022, la Cour de cassation confirme que selon l’article dont il est question, le délai d’appel d’un mois court à compter du jour où la décision est rendue en présence de l’intéressé ou de son avocat.

Le pourvoi est donc rejeté et le notaire se trouve dans l’impossibilité d’interjeter appel.

Une célérité de la justice assurée grâce aux connaissances des professionnels du droit

Un objectif de célérité

La lettre de l’article 36 du décret du 28 décembre 1973 est si claire qu’une interprétation différente de la Cour de cassation n’aurait pas manqué de surprendre. 

Quoi qu’il en soit, l’interprétation de ce texte par la Cour de cassation poursuit un objectif très clair : celui d’assurer la célérité de la justice.

Faire courir le délai d’appel à l’encontre d’un jugement prononçant une sanction disciplinaire à l’égard d’un officier ministériel à compter du prononcé de la décision lorsqu’elle est rendue en sa présence de ce dernier permet effectivement que la sanction soit effective au plus vite.

D’autant que, comme le rappelle la Cour de cassation, l’article dont il est question concerne les professionnels du droit, qui sont donc en mesure de se renseigner à propos des recours. 

L’interprétation stricte de l’article 36 ne peut donc pas constituer une atteinte disproportionnée à son droit d’accès au juge et à un recours effectif, qui sont bien entendu protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cette précision de la Cour de cassation laisse également à penser que s’il s’était agi de s’interroger sur l’interprétation d’un texte ne concernant pas des professionnels du droit, sa décision aurait pu être différente.

Un droit d’accès au juge assuré

Bien que cet arrêt permette de mieux connaître les exigences de la Cour de cassation à l’égard des professionnels du droit, l’interprétation de l’article 36 n’est désormais plus un sujet puisque depuis l’entrée en vigueur du décret du 17 juin 2022, le délai d’appel court à compter de la notification de la décision à l’officier public et non plus à compter du prononcé de la décision de première instance.

Soulignons malgré tout la logique de cet arrêt et des règles dans d’autres matières qui pourraient encore prévoir que le délai d’appel court à compter du prononcé du jugement. En effet, l’objectif d’une notification est de s’assurer que les parties ont connaissance d’une décision les concernant pour savoir si elles souhaitent ou non en interjeter appel. Or, si les parties sont présentes lors du prononcé de la décision, elles peuvent prendre connaissance de cette dernière et peuvent donc s’interroger sur l’opportunité d’initier un recours. Encore faut-il toutefois qu’elles soient informées des délais pour protéger leur droit d’accès au juge.

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