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Droit de la famille

La révocation des donations de biens présents entre époux

Cass. civ. 1ère, 16 déc. 2020, n°19‐13.701

Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

  • La charge de la preuve d’une intention libérale incombe à l’époux qui soutient l’existence d’une donation.
  • La qualification de la donation rémunératoire nécessite la preuve d’une contribution excessive, en nature, du donataire aux charges du ménage.

Rappel du contexte légal

L’article 893 du code civil dispose que : « la libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne ». Il convient de réunir deux critères pour que la libéralité soit caractérisée :

  • un appauvrissement sans contrepartie du disposant et l’enrichissement corrélatif du gratifié ;
  • l’existence d’une intention libérale du disposant à l’origine du mouvement entre les deux patrimoines.

Par application de l’article 1096 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 :

« Toutes donations faites entre époux pendant le mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables.

Ces donations ne seront point révoquées par la survenance d’enfants ».

Autrement dit, l’époux donateur pouvait, par l’expression de sa simple volonté, reprendre les biens donnés sans limite de temps.

Les donations de biens présents en cours de mariage entre époux ont heureusement retrouvé de la sécurité juridique avec la réforme de 2004 qui les rend irrévocables. 

L’article 1096 dispose désormais que :

« La donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage est toujours révocable.

La donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n’est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958.

Les donations faites entre époux de biens présents ou de biens à venir ne sont pas révoquées par la survenance d’enfants ». 

La loi n° 2006‐728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités complète ce dispositif en prévoyant que « Les donations de biens présents faites entre époux avant le 1er janvier 2005 demeurent révocables dans les conditions prévues par l’article 1096 du Code civil dans sa rédaction antérieure à cette date ».

Apport de l’arrêt

M. J…  et de Mme W… sont mariés sous le régime de la séparation de biens

Pendant le mariage, l’époux effectue des versements des sommes d’argent à son épouse, afin de lui permettre l’acquisition de biens immobiliers, soit en indivision avec lui, soit personnellement. 

L’époux soutient que les sommes versées constituent une donation et revendique leur révocation en application de l’article 1096 du code civil (rédaction antérieure). 

L’épouse soutient que les donations en question étaient rémunératoires, excluant toute possibilité d’en obtenir la révocation.

Position de la cour d’appel de Lyon : par arrêt du 9 septembre 2008, la Cour d’appel de Lyon prononce le divorce des époux. Elle ajoute, au visa de l’article 267 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, que tous les avantages matrimoniaux consentis à Mme W…  par son époux sont révoqués de plein droit.

En outre, elle rejette les demandes de l’épouse tendant à faire qualifier en donation rémunératoire les sommes versées à partir du compte bancaire du couple pour financer l’acquisition des biens immobiliers en indivision et personnellement par l’épouse. 

La Cour d’appel estime que ces versements ne sauraient correspondre à l’obligation de l’époux de contribuer aux charges du mariage, car le montant des sommes en question dépasse largement cette mesure. Elle qualifie ces sommes de donation ordinaire, librement révocable par le donateur. 

Mme W… forme un pourvoi et obtient la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon, sur le fondement de la donation rémunératoire dans les termes suivants : « Lorsqu’un époux séparé de biens acquiert un bien, soit à titre personnel, soit indivisément avec son conjoint, au moyen de fonds fournis par ce dernier, sa collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle de celui-ci ou à la gestion du ménage et à la direction du foyer peut constituer la cause des versements effectués pour son compte dès lors que, par son importance, cette activité a excédé sa contribution aux charges du mariage et a été source d’économies » (9). 

La Cour de cassation explique donc que les versements entre époux peuvent être motivés par une collaboration non rémunérée :

  • soit à l’activité professionnelle de son conjoint ;
  • soit à la gestion du ménage et à la direction du foyer. 

Cette caractérisation de la rémunération de l’activité professionnelle et domestique excessive est exclusive de l’intention libérale, nécessaire à la qualification de donation. En l’absence de donation, pas de libre révocation.

La jurisprudence pose deux limites :

  • la collaboration doit avoir excédé l’obligation impérative qu’ont les époux de contribuer aux charges du mariage,
  • la collaboration doit avoir été source d’économies pour le donateur, 

Elle ajoute qu’ « il appartient à l’époux qui soutient que les paiements qu’il a effectués pour le compte de son conjoint constituent une donation révocable d’établir qu’ils n’ont pas eu d’autre cause que son intention libérale » (10). 

Ce faisant, la Cour de cassation semble renverser la charge de preuve ; comme si l’épouse bénéficiait d’une sorte de présomption de donation rémunératoire. L’époux de son côté aurait dû démontrer que l’activité professionnelle et domestique de son épouse n’a pas excédé son obligation de contribuer aux charges du mariage

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