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Droit des successions

La loi applicable au régime matrimonial

Cass. civ. 1ère, 20 sept. 2023, n°21-23.661, Inédit

Unions (mariage / pacs / concubinage), Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

  • La règle selon laquelle la loi applicable au régime matrimonial se détermine en fonction principalement de la fixation du lieu du premier domicile matrimonial ne constitue qu’une présomption simple qui peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent.
  • Lorsque les époux n’établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle après le mariage, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat de la nationalité commune des époux. 

 

Rappel du contexte légal

Pour les époux mariés avant le 1er septembre 1992, date d’entrée en vigueur de la Convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, la Cour de cassation estime depuis longtemps qu’à défaut de contrat de mariage, la loi applicable au régime matrimonial résulte de la volonté implicite des époux. Cette volonté pouvait se déduire du lieu où le premier domicile matrimonial commun était établi après la célébration du mariage.

Dit autrement, la loi applicable au régime matrimonial est celle choisie par les parties : 

  • en présence d’un régime conventionnel par le choix exprès qu’ils ont porté dans le contrat de mariage,
  • en présence d’un régime légal par le choix de leur premier domicile,

La jurisprudence a en effet toujours fait jouer un rôle prédominant au premier domicile matrimonial dans la détermination de la loi applicable, qui joue comme une présomption de volonté tacite. Ainsi, dans cette hypothèse, plus que fréquente, la loi applicable doit se déterminer principalement en fixation du premier domicile matrimonial. 

Mais cette présomption peut-elle être détruite par autre élément de preuve déterminant ? C’est ce dont il est question dans l’arrêt du 20 septembre 2023.

Apport de l’arrêt

Rappel des faits et de la procédure

Les faits

Un homme et une femme, tous deux de nationalité algérienne, se marient le 9 février 1976, sans contrat préalable, en Algérie, où sont nés leurs trois enfants.

Ils s’opposent, pendant leur instance en divorce, sur la détermination de la loi applicable à leur régime matrimonial.

La procédure

Arrêt d’appel

La Cour d’appel de Versailles tranche en faveur de l’épouse dans un arrêt du 6 mai 2021 : elle décide que la loi française est applicable au régime matrimonial des époux qui sont soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts en se fondant sur le lieu du premier domicile matrimonial des époux, fixé en France en 1988.

Un pourvoi en cassation est formé par le mari.

Pourvoi en cassation

Le pourvoi en cassation soutient que « la présomption résultant du lieu de fixation du premier domicile matrimonial ne peut être prise en compte lorsque les époux vivent séparément pendant une longue période après leur mariage et n’établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle ». 

Le pourvoi conteste que la loi applicable au régime matrimonial n’ait été déterminée qu’en raison du premier domicile matrimonial des époux fixé en France en 1988. Il considère qu’en statuant ainsi, alors qu’après le mariage célébré en Algérie en 1976, l’épouse avait vécu pendant douze ans en Algérie avec les enfants du couple, la cour d’appel aurait violé l’article 3 du code civil. 

Ainsi, selon le pourvoi, la fixation du premier domicile conjugal en France, postérieure de 12 ans au mariage, ne permet pas de révéler que les époux avaient eu la volonté au moment du mariage de soumettre leur régime matrimonial à la loi française. 

Une décision justifiée mais critiquable

La justification de la solution

Dans cet arrêt du 20 septembre 2023, la Cour de cassation retient, sur les bases ainsi énoncées que la règle selon laquelle la loi applicable au régime matrimonial se détermine en fonction de la fixation du lieu du premier domicile matrimonial ne constitue qu’une présomption simple, qui doit en l’espèce céder face à la loi nationale commune des époux.

Réponse de la Cour

Vu l’article 3 du code civil :


4. Le régime matrimonial des époux mariés sans contrat, avant l’entrée en vigueur en France, le 1er septembre 1992, de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, est déterminé selon la volonté qu’ils ont eue, lors du mariage, de localiser leurs intérêts pécuniaires, cette volonté devant être recherchée d’après les circonstances concomitantes ou postérieures à leur union.


5. La règle selon laquelle cette détermination doit être faite en considération, principalement, de la fixation de leur premier domicile conjugal ne constitue qu’une présomption simple qui peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent.


6. Pour dire que la loi française est applicable au régime matrimonial des époux qui sont soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts l’arrêt retient que le premier domicile commun des époux n’a pas été fixé en Algérie, où ceux-ci se sont mariés en 1976, mais en France où ils se sont établis et ont cohabité dans un appartement que M. [I] a acquis le 8 mars 1988 en vue de faire venir son épouse et ses enfants au titre du regroupement familial.


7. En statuant ainsi, alors que ces circonstances, postérieures de plus douze ans au mariage, étaient impropres à révéler que les époux avaient eu la volonté, au moment de leur mariage, de soumettre leur régime matrimonial à la loi française, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

En se focalisant sur les faits de l’espèce, cette solution paraît justifiée : les époux ont vécu dans des lieux différents après le mariage pendant 12 ans. De ce fait, la présomption en faveur du premier domicile matrimonial pour déterminer la loi applicable au régime matrimonial pouvait en effet prêter à discussion. 

De plus, cette solution correspond à celle retenue par l’article 4 alinéa 2 point 3 de la Convention de la Haye, applicable pour les époux mariés entre 1992 et 2019 : si les époux n’ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage. Toutefois, lorsque les époux n’établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle après le mariage, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat de la nationalité commune des époux.

Si les époux n’ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage.

Toutefois, dans les cas suivants, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat de la nationalité commune des époux :

  1. lorsque la déclaration prévue par l’article 5 a été faite par cet Etat et que son effet n’est pas exclu par l’alinéa 2 de cet article ;
  2. lorsque cet Etat n’est pas Partie à la Convention, que sa loi interne est applicable selon son droit international privé, et que les époux établissent leur première résidence habituelle après le mariage :
  3. a) dans un Etat ayant fait la déclaration prévue par l’article 5, ou
  4. b) dans un Etat qui n’est pas Partie à la Convention et dont le droit international privé prescrit également l’application de leur loi nationale ;
  5. lorsque les époux n’établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle après le mariage.

A défaut de résidence habituelle des époux sur le territoire du même Etat et à défaut de nationalité commune, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits.

Cependant, cet arrêt est critiquable, non pas sur sa solution, mais sur sa motivation. 

La critique de la solution

Dans un premier temps, il convient de préciser que finalement cette solution est rendue dans une situation dans laquelle manifestement la loi du premier domicile commun ne pouvait pas être retenue. 

De plus, la jurisprudence adopte traditionnellement une position assez stricte s’agissant de la présomption : si elle affirme que la présomption en faveur de la loi du premier domicile matrimonial n’est qu’une présomption simple, et que la preuve contraire peut donc être apportée, elle n’admet que très difficilement cette preuve contraire. Cependant, si de façon majoritaire les décisions ne permettent en général pas le renversement de la présomption, il est possible de constater de plus en plus de décisions récentes qui semblent admettre un renversement au profit de la loi de la nationalité commune des époux, et ce à partir « d’indices faibles ». L’arrêt du 20 septembre 2023, qui semble quant à lui justifié en sa solution, s’inscrit dans ce mouvement visant à affirmer que la présomption peut être détruite par « tout autre élément de preuve pertinent ».

Relevons d’ailleurs que l’arrêt n’a pas été publié par la Cour de cassation, signant la volonté de ne pas faire un arrêt de principe.

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Publié le 10 Mar 2023