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Droit de la famille

Divorce : la compétence juridictionnelle et l’immunité diplomatique

CJUE n°501/20, 1er août 2022

Enfants - Autorité parentale (résidence, pensions, etc.), Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

  • Le critère de rattachement de « résidence habituelle » s’apprécie strictement sans influence des immunités diplomatiques.
  • Une juridiction d’un Etat membre peut se déclarer compétente pour pallier un déni de justice seulement après une étude concrète du cas d’espèce.

 

Deux agents de l’Union Européenne résidant au Togo se séparent. L’épouse introduit une action en divorce devant une juridiction espagnole, pays dont elle a la nationalité. L’époux de nationalité portugaise conteste la compétence de la juridiction espagnole. Celle-ci se déclare incompétente, faute de résidence habituelle des parties en Espagne.

L’épouse interjette appel prétendant qu’ils bénéficient tous deux de l’immunité diplomatique au Togo ce qui impliquerait que les juridictions togolaises ne pourraient être compétentes à l’égard des deux époux ainsi qu’à l’égard de leurs enfants. Dans ce cas, aucune juridiction ne serait compétente, ce qui aurait pour conséquence un déni de justice.

Le tribunal espagnol décide de surseoir à statuer afin de poser à la CJUE six questions préjudicielles sur la compétence juridictionnelle.

La détermination de la compétence juridictionnelle en cas d’élément d’extranéité

Demandes concernant les obligations alimentaires

Aux termes de l’article 3 du règlement européen CE n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires :

« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :
a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou
b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou
c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou
d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties ».

En vertu d’un arrêt de la Cour de justice de l’union européenne rendu le 16 juillet 2015, l’obligation alimentaire envers les enfants est un accessoire de la responsabilité parentale.

Or, la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 énonce par son article 5 : 

« 1. Les autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’Etat contractant de la résidence habituelle de l’enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens.

2. Sous réserve de l’article 7, en cas de changement de la résidence habituelle de l’enfant dans un autre Etat contractant, sont compétentes les autorités de l’Etat de la nouvelle résidence habituelle. »

C’est pourquoi, lorsque le juge est saisi d’une question relative au divorce, il est également compétent pour fixer les mesures alimentaires accessoires à ces actions, sauf si sa compétence est uniquement fondée sur la nationalité d’une des parties.

En résumé, presque tous les critères de rattachement à une juridiction sur les questions d’obligation alimentaire sont relatifs à la résidence habituelle du défendeur ou du créancier à l’instance. 

La notion de résidence habituelle n’a pourtant pas été définie par les conventions. C’est la CJUE qui a défini cette notion à l’occasion de nombreux litiges comportant des éléments d’extranéité. Elle retient que la résidence habituelle correspond d’une part, à la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, à une présence qui revêt un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné. 

Une fois le critère de rattachement acquis, la juridiction saisie est donc compétente. 

Cependant, certains régimes protecteurs, en raison du statut des individus, pourraient empêcher la juridiction d’un Etat d’exercer sa compétence.

Les limites imposées par les régimes d’immunités diplomatiques

L’immunité internationale est un privilège qui consiste à soustraire les agents internationaux (diplomates, agents des organisations internationales…) à la juridiction nationale d’un État. Cette immunité est civile et pénale. Tous les agents diplomatiques ne disposent pas du même régime d’immunité car celle-ci peut-être soit personnelles, couvrant aussi les actes accomplis à titre privé, soit fonctionnelles car ne couvrant que les actes accomplis à titre officiel.La principale convention applicable est la Convention de Vienne de 1961, L’agent diplomatique jouit de l’immunité pénale et civile de l’Etat dans lequel il a sa mission sauf quelques exceptions (action, en dehors de ses fonctions officielles, relative aux immeubles ou à une activité commerciale ou professionnelle…).

L’article 23 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne précise : « Les privilèges et immunités dont bénéficient les fonctionnaires sont conférés exclusivement dans l’intérêt de l’Union. Sous réserve des dispositions du protocole sur les privilèges et immunités, les intéressés ne sont pas dispensés de s’acquitter de leurs obligations privées, ni d’observer les lois et les règlements de police en vigueur. »

Il apparaît ainsi que les agents de l’Union Européenne bénéficient d’une immunité fonctionnelle. C’est cette immunité qui a été soulevée par la demanderesse lorsque les tribunaux espagnols ont décidé de leur incompétence. 

Une interprétation stricte des conventions par la CJUE

Une interprétation stricte du critère de résidence habituelle

La Cour a tout d’abord rappelé la notion de résidence habituelle. Elle a interprété strictement l’article 3 du règlement n°4/2009 en considérant que le fait qu’une telle résidence habituelle, dans l’État membre dont relève la juridiction saisie, fasse défaut suffirait à constater l’absence de compétence de cette juridiction.

La Cour opère ainsi un contrôle concret, relevant que les époux et leurs enfants résidaient toujours dans un pays tiers à l’Union Européenne, malgré la séparation. Elle relève que la naissance des enfants en Espagne et le fait qu’ils y passent les vacances correspond à des interruptions occasionnelles et temporaires du cours normal de leur vie.

Enfin, la Cour relève que le statut d’agent diplomatique européen conférant l’immunité diplomatique n’a aucune influence sur le critère de rattachement relatif à la résidence habituelle. D’une part, car ce critère s’applique strictement et d’autre part, car cette immunité, qui est fonctionnelle, ne couvre pas les actions en justice relatives à des rapports d’ordre privé, telles qu’une demande de divorce, de responsabilité parentale ou d’obligations alimentaires à l’égard de leurs enfants. 

La lutte contre le déni de justice

Dans l’hypothèse de l’application du régime d’immunité juridictionnelle, la demanderesse a rappelé que le Togo serait incompétent. Les juridictions espagnoles seraient consécutivement compétentes sur le fondement du forum necessitatis : selon ce principe la juridiction d’un Etat membre peutconnaître du litige si une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel le litige a un lien étroit pour des raisons discriminatoires ou en contradiction avec les garanties fondamentales du procès équitable. 

En l’espèce, la demanderesse a produit aux débats plusieurs rapports des Nations-Unies qui constatent l’absence de formation appropriée des magistrats et la persistance d’un climat d’impunité concernant les violations des droits de l’homme au Togo. Un autre rapport soulevait le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire.

La CJUE a donc considéré que l’opportunité du forum necessitatis est apprécié souverainement par chaque juridiction nationale saisie au terme d’une analyse circonstanciée des éléments avancés selon le cas d’espèce. Cette analyse doit être poussée sans toutefois que la partie demanderesse soit tenue de démontrer avoir introduit, ou tenté d’introduire, cette procédure devant les juridictions du même État tiers.

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