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Droit de la famille

Divorce : la compétence en matière de responsabilité parentale et les privilèges de la juridiction

Cass. civ. 1ère, 15 sept. 2021, n°19.779

Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

Lorsqu’aucune juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne n’est compétente au sens du Règlement « Bruxelles II bis » ou que l’enfant n’a pas sa résidence habituelle dans un Etat signataire de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996, la compétence du juge français en matière de responsabilité parentale peut être établie sur le fondement de l’article 14 du code civil.

Rappel du contexte légal

Les articles 14 et 15 du code civil consacrent les privilèges de la juridiction. C’est une règle de compétence qui offre un avantage à une catégorie déterminée de plaideurs, assortie pour cette raison d’un régime procédural spécifique.  

L’article 14 du code civil permet à tout Français de porter un litige à la connaissance du juge français :

« L’étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l’exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ».

La nationalité française est une condition nécessaire et suffisante d’application des privilèges de juridiction : l’application des privilèges de juridiction est exclue lorsque ni le demandeur ni le défendeur n’ont la nationalité française. En outre, ni le domicile des parties ni la nationalité de l’adversaire ne sont des considérations utiles pour fonder la compétence. 

Les privilèges sont rarement mis en œuvre en raison de leur subsidiarité. Elles ne doivent jouer qu’en dernier recours.

Arrêt du 15 septembre 2021

Rappel des faits et de la procédure

Une épouse de nationalité française, libanaise et mexicaine et un époux de nationalité libanaise se marient en 2012 à Chypre.

Un enfant naît de leur union en 2013 au Liban.

En 2017, l’épouse quitte le Liban avec l’enfant, sans accord du père, et s’installe en France. Quelques semaines plus tard, elle saisit le juge français d’une demande en divorce.

Le juge aux affaires familiales reconnaît sa compétence sur le fondement de l’article 14 du code civil pour statuer sur la désunion du couple et sur les mesures relatives à l’enfant.

Par arrêt du 16 mai 2019, la cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement. La cour d’appel considère que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur le divorce des époux.

En revanche, elle déclare que le juge français n’est pas compétent pour statuer sur le sort de l’enfant mineur du couple.

L’épouse forme un pourvoi en cassation.

Position de la Cour de cassation

La cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il déclare le juge français incompétent pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale. 

Selon la Haute juridiction, la Cour d’appel de Paris a violé les articles 1170 du code de procédure civile et 14 du code civil en ce que la juridiction française était valablement saisie en application du privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil.

Compétence en matière de la responsabilité parentale : règles internationales

Rappel du cadre normatif : les règles applicables

L’article 8 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (Bruxelles II bis remplacé depuis le 1er août 2022 par le règlement Bruxelles II ter) prévoit que :

« 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12 ».

Le règlement Bruxelles II bis permettait une prorogation de compétence du juge saisi d’une demande en divorce sur le fondement de l’article 3 du règlement de statuer sur une demande relative à la responsabilité parentale. Cependant, cette prorogation de compétence n’est pas automatique. Deux conditions doivent être réunies : 

  • L’accord des époux sur la prorogation de compétence ;
  • La prorogation de la compétence doit correspondre à l’intérêt de l’enfant. 

Ainsi, il se peut que dans un contexte international, le juge compétent pour statuer sur le divorce s’avère incompétent pour statuer sur la responsabilité parentale. 

La compétence du juge s’apprécie au moment de la saisine de la juridiction. Le règlement « fige » donc la compétence du juge saisi.

En l’espèce, le juge français était saisi très peu de temps après le déménagement de la mère avec l’enfant en France. Au moment de la saisine du juge français, la résidence habituelle de l’enfant se situait au Liban où résidait la famille avant le déménagement et où le père résidait encore au moment de la saisine des juridictions françaises. 

A titre de rappel, la présente affaire concerne une relation avec un pays tiers à l’Union. La résidence habituelle de l’enfant a été transférée depuis le Liban. 

Le Liban n’a pas ratifié la convention de la Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. En conséquence, cet instrument international n’est pas applicable en l’espèce. 

Il en va de même, le Liban n’a pas ratifié la convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

Aucune juridiction de l’Etat membre n’était donc compétente pour statuer sur la responsabilité parentale. 

Dans ce cas, l’article 14 du règlement prévoit que « Lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État ».

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation se réfère à l’article 7 du règlement au lieu de l’article 14. 

Cet article effectue un renvoi vers le droit commun des Etats membres mais uniquement en matière de divorce. Le texte qui aurait dû fonder la cassation est l’article 14 du règlement. En tout état de cause, les deux articles prévoient la même règle de sorte que la référence erronée ne change pas la solution de l’espèce : le droit commun trouve son application pour fonder la compétence en matière de responsabilité parentale. 

En résumé, en l’absence de la résidence habituelle de l’enfant dans un Etat membre de l’Union ou dans l’Etat signataire de la convention de la Haye, il convient d’opérer un renvoi vers le droit interne. 

Dispositions de droit interne

Dans l’arrêt intitulé Pelassa prononcé par la Cour de cassation le 19 octobre 1959, il a été jugé que « la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne ». Ainsi, il suffit que l’élément de rattachement utilisé par les règles de compétence soit situé en France pour que le tribunal français ainsi désigné puisse être valablement saisi.

Règle de compétence ordinaire

Les règles de compétence énoncées dans l’article 1070 du code de procédure civile sont transposées à la sphère internationale :

« Le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :

– le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;

– si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;

– dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n’a pas pris l’initiative de la procédure.

En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l’une ou l’autre.

Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l’époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs.

La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ».

En l’espèce, aucun critère de rattachement ne se réalise en France. Au jour de la saisine, la résidence de la famille et la résidence de l’enfant sont situées au Liban. 

Dans ce cas de figure, il conviendra de recourir en dernier lieu aux règles de compétence exorbitante. 

Règles de compétence exorbitante

L’épouse est de nationalité française. Elle peut donc saisir le tribunal français sur le fondement de l’article 14 du code civil. Pour rappel, cet article permet de saisir le juge français sur le seul fondement de la nationalité du demandeur. Aucun critère de pertinence/proportionnalité d’application de cet article ne doit pas être pris en compte. 

Pourtant, la cour d’appel de Paris a écarté l’application de l’article 14 du code civil l’arrêt, après avoir constaté qu’aucune juridiction française n’était compétente en application des articles 3 du règlement (CE) n° 2201/2003 et 1070 du code de procédure civile, en estimant que : 

a) Les obligations qui naissent de l’attribution de l’autorité parentale ne sont pas des obligations réciproques entre parents, mais sont des obligations des deux parents à l’égard de leur enfant commun ;

  • Le 21 mars 1966, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt « Cie La Métropole c/Soc. Muller que la compétence internationale des tribunaux français est fondée, en vertu de l’article 14 du code civil, non sur les droits nés des faits litigieux mais sur la nationalité des parties. Ainsi, seule la nationalité d’un plaideur compte pour déterminer la compétence du juge français.

b) Ensuite, parce que l’enfant lui-même a plusieurs nationalités ;

  • Le 17 juin 1968, dans son arrêt Kasapyan / Dame Kasapyan, la Cour de cassation a statué que « lorsqu’un individu a plusieurs nationalités dont la nationalité française, celle-ci est seule prise en considération par les juridictions françaises ». En cas de présence de plusieurs nationalités, la priorité est donnée à la nationalité française pour apprécier la compétence des tribunaux français. 

c) Enfin, parce que le critère de la nationalité du parent demandeur était contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant selon la Cour d’appel.

La Cour d’appel a donc pris en compte l’absence de lien entre l’enfant et le territoire national. En outre, elle estime que la mise en œuvre de l’article 14 du code civil au cas de l’espèce serait contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon la cour d’appel, il existe un lien plus étroit entre l’enfant et le juge libanais, le pays où l’enfant est né, a grandi jusqu’à l’âge de 4 ans, où sa résidence habituelle a été fixée quelques semaines avant la saisine du juge.

La Cour de cassation rejette ce raisonnement. L’article 14 du code civil prescrit des règles de compétence non flexibles et non assujetties à une interprétation. Le rattachement de l’enfant à un pays en fonction de sa proximité sociale ou historique n’est pas un critère fixé par la loi. Si la condition de nationalité se réalise, il n’appartient pas au juge français d’apprécier sa compétence au regard de sa conformité à l’intérêt de l’enfant selon la Cour de cassation.

Selon la législation en vigueur, le juge français n’a pas d’autre choix que d’assumer sa compétence, même s’il ne s’agit pas d’un forum le mieux placé. 

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