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Droit des successions

Démembrement : qui paye les réparations entre usufruitier et nu-propriétaire ?

Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions

Enseignement de l'arrêt

Le nu-propriétaire n’a la charge que des grosses réparations limitativement énumérées par le code civil et auxquels il ne peut être contraint par l’usufruitier, qui a toutefois un recours contre lui au jour de la cessation de l’indivision.

L’article 605 du code civil organise la répartition des charges entre le nu-propriétaire et l’usufruitier en distinguant entre :

  • Les réparations d’entretien, qui sont à la charge de l’usufruitier ;
  • Les grosses réparations qui demeurent à la charge du nu-propriétaire.

Nous définissons ici les contours de ces notions afin qu’il n’y ait pas de difficultés lors de la répartition des charges entre l’usufruitier et le nu propriétaire.

Définitions

Les grosses réparations

Les « grosses réparations » sont définies par l’article 606 du code civil comme celles « des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d’entretien ». La liste de cet article est donc limitative et peut être détaillée comme suit : 

  • Les « gros murs » visés par l’article 606 du code civil doivent s’entendre non seulement des murs extérieurs, mais aussi des murs de refend qui supportent les poutres, les charpentes et les cheminées. 
  • Aux poutres, il faut assimiler les poutrelles, lambourdes et pièces de charpente des combles. Selon une opinion unanime, le mot « entières » ne s’appliquerait qu’aux couvertures ; le remplacement d’une seule poutre est donc une grosse réparation. Au demeurant, même en ce qui concerne les couvertures, la doctrine et la jurisprudence dominante n’exige pas une réfection intégrale. Elles considèrent que dès que la plus grande partie de la couverture est à refaire, l’article 606 du code civil s’applique.

Dans un arrêt de principe rendu en 2005 (Cass. 3e civ. 13-7-2005 n° 04-13.764), la Cour de cassation a donné une définition générale des grosses réparations comme celles qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale, les réparations d’entretien étant celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de cet immeuble.

Les réparations d’entretien

Toutes les réparations qui ne sont pas dites des grosses réparations, sont des réparations d’entretien qui n’affectent donc pas une partie importante de l’immeuble ou qui ne concernent pas la conservation de la structure.

Pour reprendre une formule classique, l’entretien recouvre tous les travaux qui ne sont ni de reconstruction, ni de rétablissement.

La qualification des réparations dans l’une ou l’autre des catégories relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 2e civ., 7 déc. 1961, n° 60-10.445 : Bull. civ. II, n° 842, préc. nos 40, 43 et 44). 

Ces réparations d’entretien sont, par exemple : 

  • Ravalement de façade (Civ. 21 mars 1962 JCP 1963) ;
  • Le remplacement de canalisations de chauffage (Cass. 3ème civ. 27 novembre 2022 n°01-12.816) ;
  • Le remplacement de la chaudière du chauffage central (Cass. 3ème civ. 25 octobre 1983) ;
  • Le remplacement de la climatisation (Cass. civ. 3ème 10 février 1999) ;
  • La réparation des portes et fenêtres. En ce sens, une jurisprudence du TGI de Paris du 14 octobre 2016 n°13/14.260 a pu préciser « Au soutien de sa demande en paiement de la somme de 8.314,87 euros, Madame F H B argue de ce qu’elle a dû successivement, faire changer une baie vitrée, deux fenêtres, la chaudière et le ballon d’eau chaude dans son appartement. Cependant, ces travaux ne constituent pas de grosses réparations au sens de l’article 606 du code civil, dès lors qu’ils ne portent pas sur la structure même de l’immeuble ni ne touchent à sa solidité générale. Ils relèvent de l’usage normal et continue de la chose et ils n’incombent pas au nu-propriétaire. Madame F H B sera en conséquence déboutée de sa demande reconventionnelle. » ;
  • Dans un arrêt rendu en matière d’ISF, la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 12-6-2012 n° 11-11.424) a été amenée à préciser la distinction entre la notion de grosses réparations au sens de l’article 606 du Code civil et la notion de travaux d’amélioration, jugeant que « constituent des améliorations, et non des grosses réparations, les travaux de démolition puis de reconstruction d’une habitation d’une superficie supérieure, de construction d’une piscine et d’aménagement du terrain réalisés par l’usufruitier d’une propriété. ». En l’espèce, les bâtiments existants n’avaient pas été « réparés », mais démolis pour permettre la construction d’un nouvel ensemble : il ne pouvait donc s’agir de grosses réparations incombant au nu-propriétaire.

L’usufruitier doit entretenir l’immeuble de telle sorte qu’il puisse le restituer à la fin de l’usufruit dans l’état où il se trouvait à l’ouverture de l’usufruit.

Pour déterminer avec certitude la qualification des travaux de grosse réparation, il convient de se poser la question suivante : est-ce que le fait de ne pas les changer compromet à moyen terme la solidité de l’ouvrage ? Si la réponse est oui, il s’agit alors de gros travaux.

Une jurisprudence du 28 février 2012 n°10/00641 a pu préciser en ce sens : « Attendu que l’expert a signalé sur les façades des fissures au niveau de l’enduit provoquées par des dilatations thermiques non supportées par les maçonneries et a noté que certaines fissures ont une ouverture de plusieurs millimètres sur des façades exposées aux intempéries, bien que n’entraînant pas d’infiltrations à l’intérieur des locaux et ne compromettant pas la solidité de l’ouvrage, mais nécessitant d’être reprises sous peine d’aggravation à moyen terme, ces travaux devant être analysés comme rentrant dans la catégorie des grosses réparations telles qu’énoncées par l’article 606 du Code civil, de même que la réparation des appuis et entourages en béton armé des fenêtres qui présentent des éclats et épaufrures en raison d’une corrosion des aciers avec risque de chute pouvant présenter des risques pour les personnes et les biens ».

Reconstruction en cas de vétusté

Comme l’expose l’arrêt de du 12 juin 2012 étudié ci-dessus, le nu-propriétaire n’est pas tenu de rebâtir le bien tombé en ruine par suite de vétusté ou d’un cas fortuit. L’article 607 du code civil précise en effet que « Ni le propriétaire, ni l’usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit ».

Le bien doit être considéré comme détruit lorsque la remise en état, fût-elle possible, implique des dépenses nécessaires qui seraient hors de proportion avec la valeur de l’immeuble.

Il en va de même lorsque le bien, même non complètement détruit, est tellement endommagé qu’il est devenu inutilisable, et que les dépenses nécessaires à sa remise en état seraient hors de proportion avec la valeur de l’immeuble.

A ce titre la jurisprudence a pu juger que « Un immeuble ayant été rendu inutilisable à la suite d’un séisme, s’il est constaté que la remise en état, possible, aurait entraîné des dépenses hors de proportion avec la valeur antérieure de l’immeuble, l’immeuble peut être considéré comme totalement détruit et le nu-propriétaire n’est pas tenu de le reconstruire. (Cass civ 3ème 23 octobre 1979 n°78-12.909).

Le pouvoir de contraintes des membres du démembrement

Absence de contrainte pour le nu-propriétaire

Le nu-propriétaire est théoriquement obligé d’effectuer les dépenses de grosses réparations, mais l’usufruitier ne peut pas l’y contraindre (Cass. 1e civ. 28-10-2009 n° 07-12.488 ; Cass. 1e civ. 18-12-2013 n° 12-18.537 ; Cass. civ. 3ème 9 novembre 2022 n°21-13.440). 

L’usufruitier ne peut pas non plus se prévaloir d’un trouble de jouissance causé par la carence du nu-propriétaire à effectuer les grosses réparations.

Cette solution est la conséquence de l’indépendance des droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire : l’usufruit n’impose aucune obligation positive au nu-propriétaire qui ne commet aucun abus de jouissance en refusant de réaliser les grosses réparations. L’avocat spécialisé en droit des successions devra donc trouver un moyen stratégique différent pour contourner cette impossibilité.

L’absence d’obligation pour le nu-propriétaire, sauf convention contraire, d’effectuer les grosses réparations est bien entendu préjudiciable à la bonne conservation de la chose, mais s’explique aussi par le fait que le nu-propriétaire ne perçoit pas de revenus et peut se trouver dans l’impossibilité de financer ces travaux.

Recours de l’usufruitier qui engage les gros travaux

En l’absence de réalisation des travaux par le nu-propriétaire, l’usufruitier peut être amené à prendre à sa charge des dépenses de grosses réparations, qui normalement devraient être effectuées par le nu-propriétaire. 

Aussi, bien qu’il ne soit pas tenu d’effectuer les grosses réparations, l’usufruitier peut-il être conduit à les faire, en particulier lorsqu’elles sont nécessaires à l’utilisation du bien.

L’usufruitier peut alors, sur le fondement de l’enrichissement injustifié, obtenir un dédommagement de la part du nu-propriétaire au moment de la cessation du démembrement

L’enrichissement injustifié suppose qu’une personne se soit enrichie aux dépens d’une autre qui s’est appauvrie. C’est ce mouvement de valeurs, entraînant un déséquilibre entre les patrimoines, que l’action vise à corriger. 

Si l’action suppose un enrichissement et un appauvrissement, encore faut-il qu’ils soient liés, ainsi que le dit l’article 1303 du code civil. En d’autres termes, l’appauvrissement est justifié par l’enrichissement qui doit avoir été acquis au détriment d’autrui.

Ce n’est que dans l’hypothèse où cet enrichissement n’est pas justifié qu’une action peut être ouverte. 

L’article 1303-1 du code civil précise ainsi que « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation de l’appauvri ni de son intention libérale. 

L’article 1303-2 du code civil précise, dans la continuité, qu’« il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » 

La jurisprudence décide ainsi que l’appauvri ne peut bénéficier de l’action de in rem verso lorsqu’il a agi de sa propre initiative et à ses risques et péril et dans son intérêt personnel (Civ. 1re, 12 janv. 2011, n° 09-71.572). 

L’indemnisation obtenue à travers cette action n’est pas calculée en fonction de la dépense faite, mais en fonction de la plus-value procurée à l’immeuble et existant encore au moment de la cessation de l’usufruit.

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