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Droit de la famille

Concubinage et contribution aux dépenses de la vie courante

Cass. civ. 1ère, 9 fév. 2022, n°20-22.533

Unions (mariage / pacs / concubinage)

Enseignement de l'arrêt

Un concubin ne peut pas être indemnisé au titre de l’article 555 du Code civil sans rechercher si sa participation à la construction de l’immeuble, ayant constitué le logement de la famille, ne relevait pas, au moins pour partie, de sa contribution aux dépenses de la vie courante.

Faits et procédure

Un couple, vivant en concubinage, fait construire une maison d’habitation sur un terrain appartenant à la compagne. Cette dernière devient propriétaire de la maison par accession (article 552 du Code civil).

« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.

Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre  » Des servitudes ou services fonciers « .

Il peut faire au-des sous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police ».

Après la séparation du couple, Monsieur assigne Madame en paiement d’une indemnité, sur le fondement de l’article 555 du Code civil (droit commun des rapports entre le propriétaire du sol et le tiers constructeur) et de l’enrichissement sans cause, soutenant avoir réalisé la majeure partie des travaux de construction.

« Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l’alinéa 4, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever.

Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds.

Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.

Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n’aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l’une ou l’autre des sommes visées à l’alinéa précédent ».

Les juges du fond (Cour d’appel de Montpellier, 10 mai 2019, N° 17/03630) lui donnent raison, estimant que le concubin peut prétendre à une indemnité pour sa participation à la construction de la villa, en qualité de tiers possesseur des travaux (article 555 du Code civil), et ordonnent une expertise avec mission, pour l’expert, de donner son avis sur le montant de l’indemnité basée sur le coût des matériaux et de la main d’œuvre.

Les juges du fond relèvent :

  • que les concubins avaient participé ensemble à la construction, obtenu le permis de construire à leurs deux noms et souscrit solidairement deux emprunts pour financer tout ou partie des travaux ;
  • qu’aucune convention réglant le sort de la construction n’avait été régularisée entre les concubins et que l’existence d’une telle convention ne pouvait se déduire de la seule situation de concubinage des parties ;
  • que Monsieur avait certes profité de la villa pendant plusieurs années, mais cette circonstance n’excluait pas la possibilité d’une indemnisation pour sa participation à la construction, ce d’autant que cette villa constituait le logement de la famille.
[Précisons que l’arrêt du 10 mai 2019 a été rendu sur renvoi après cassation (1ère Civ., 15 juin 2017, n° 16-14.039). La Cour d’appel de Montpellier a suivi la Cour de cassation, en jugeant que l’indemnisation, sur le fondement de l’article 555 du Code civil, de celui qui a concouru à la construction sur le terrain de son concubin n’est pas subordonnée au caractère exclusif de sa participation].

Madame forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 10 mai 2019, reprochant à la Cour d’appel de Montpellier de ne pas avoir recherché si le financement de Monsieur ne correspondait pas tout simplement à sa contribution aux dépenses courantes du couple. Elle soulève que la contribution aux charges de la vie courante prévaut sur la qualité de tiers possesseur des travaux, en cas de participation de l’un des concubins à l’édification, sur le terrain de l’autre, de l’immeuble ayant abrité le logement familial, dès lors que cette participation entre dans la part contributive fixée par le couple.

Réponse de la Cour de cassation

La première chambre civile casse l’arrêt d’appel, au visa des articles 555, alinéas 1 et 3.

L’article 555 est relatif au sort des constructions nouvelles réalisées par un tiers sur le terrain d’autrui, notamment lorsqu’il n’existe aucune dérogation ou convention qui y fait obstacle. Le propriétaire du terrain peut soit exiger la suppression des travaux aux frais du tiers constructeur, soit conserver la propriété des constructions moyennant indemnité. Lorsque le constructeur est de bonne foi, il ne peut pas être condamné à la démolition ; il a droit à une indemnité.

« Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l’alinéa 4, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever.

Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds.

Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.

Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n’aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l’une ou l’autre des sommes visées à l’alinéa précédent ».

La Cour de cassation prend également soin de rappeler qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées.

Elle estime néanmoins qu’il revenait à la Cour d’appel de rechercher si la participation de Monsieur à la construction de l’immeuble dont elle avait constaté qu’il avait constitué le logement de la famille ne relevait pas, au moins pour partie, de sa contribution aux dépenses de la vie courante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

Cette solution n’est pas nouvelle.

Dans un arrêt du 2 septembre 2020 (n°19-10477), la Cour de cassation, eu égard aux circonstances, avait jugé qu’un concubin ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l’article 555 du Code civil pour obtenir le remboursement des sommes qu’il avait engagées pour la rénovation du logement de la famille appartenant en propre à son concubin, ces sommes relevant de sa contribution aux dépenses de la vie courante.

À l’aune de la jurisprudence, il s’avère que le résultat des recours entre concubins après leur séparation est aléatoire et la régularisation de conventions entre concubins particulièrement recommandée.

La jurisprudence en résumé

  • Un concubin peut, en principe, obtenir le remboursement des travaux qu’il a supportés sur le fondement de l’article 555 du Code civil, à condition qu’il n’existe pas de convention de concubinage réglant le sort de la construction (3e Civ., 05-03-2003, n° 01-16.033).
  • Néanmoins, sa demande d’indemnisation peut être tenue en échec si les juges estiment qu’en finançant les travaux, le concubin n’a fait que contribuer aux charges de la vie commune [alors même que les concubins ne sont pas tenus légalement à une telle obligation, ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt du 9 février 2022].
  • Si le concubin n’a fait que contribuer aux charges de la vie commune en finançant la construction, les dépenses qu’il a engagées doivent rester à sa charge. Si, au contraire, sa participation au financement des travaux a dépassé sa contribution aux dépenses de la vie commune, il peut être indemnisé au titre de cette sur-contribution.

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