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Succession

Point de départ de la jouissance des fruits du bien légué

Liquidation et partage de successions
  • Le légataire à titre particulier n’a droit aux fruits de son legs qu’à compter de sa délivrance, à moins que le testateur ait prévu une jouissance à compter de son décès.
  • La délivrance à partir de laquelle le légataire à titre particulier a droit aux fruits peut être tacite.

 

Sur l’absence de jouissance des fruits avant la demande de délivrance du legs

C’est par la délivrance de son legs que le légataire acquiert le droit aux fruits du bien légué. Toutefois, pour l’application de ce principe, il convient de distinguer selon la nature du legs.

Le légataire universel, auquel la jurisprudence assimile le légataire à titre universel, a droit aux fruits à compter du jour du décès si la délivrance est demandée dans l’année qui suit celui-ci. À défaut, seuls les fruits échus après la délivrance amiable ou la demande de délivrance judiciaire lui sont acquis (article 1005 du code civil).

« Néanmoins, dans les mêmes cas, le légataire universel aura la jouissance des biens compris dans le testament, à compter du jour du décès, si la demande en délivrance a été faite dans l’année, depuis cette époque ; sinon, cette jouissance ne commencera que du jour de la demande formée en justice, ou du jour que la délivrance aurait été volontairement consentie. »

Le légataire à titre particulier n’acquiert les fruits que du jour de la délivrance amiable ou de la demande de délivrance judiciaire. Il convient toutefois de distinguer en fonction du bénéficiaire du legs :

  • La solution est sans application au légataire qui est également héritier ab intestat. Celui-ci, bénéficiant de la saisine, a droit naturellement aux fruits dès le décès.
  • À l’inverse, le légataire à titre particulier qui n’est pas héritier réservataire doit obtenir la délivrance de son legs auprès des héritiers (article 1014 du Code civil). Cette demande peut être amiable ou judiciaire.

« Tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause. 

Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »

La délivrance de legs s’analyse juridiquement comme la reconnaissance et comme la consécration, par les héritiers, des droits du légataire et, ça n’est donc qu’à compter de cette délivrance (ou plus exactement de la demande du légataire à cette fin) que le légataire à titre particulier non-héritier ab intestat acquiert les fruits et intérêts de la chose léguée (Cass. civ. 1ère, 14 nov. 2006, n° 04-16.561). 

Jusqu’à la date de la demande de délivrance du legs, ou jusqu’à la délivrance volontairement consentie, les fruits appartiennent donc aux héritiers et non au légataire, s’il n’est pas héritier.

Avant la demande en délivrance ou la délivrance volontaire du legs, le légataire n’a donc pas droit aux fruits ni aux revenus. Il ne peut pas appréhender les biens, ni en avoir l’usage. Il ne peut ni profiter du bien pour lui-même, ni le mettre en location ni en percevoir les loyers.

Le légataire n’a en conséquence pas à acquitter les charges de copropriété, impôts et taxes antérieurs à cette demande de délivrance. Cela s’explique par une corrélation entre actif et passif : on ne saurait l’obliger aux dettes d’un bien dont il ne peut percevoir les fruits.

Il peut toutefois être tenu aux dettes qu’à compter de la délivrance effective s’il n’a pas été en mesure de pouvoir jouir des fruits depuis sa demande en délivrance.

Ainsi, la Cour de cassation a pu considérer que, légataire particulier n’ayant pas été mis en possession du bien dont il avait dû demander la délivrance au juge, « la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que ne pouvant en percevoir les fruits, il n’était pas tenu des charges de copropriété, impôts et taxes antérieurs à cette délivrance » (Cass. civ? 1ère, 19 mars 2008, n°06-19.103).

Sur la jouissance des fruits à compter de la délivrance tacite

La délivrance d’un legs n’est conditionnée à aucune forme particulière et peut résulter de la simple mise en possession du légataire sans opposition de l’héritier légitime.  

Par exemple, la jurisprudence, dans un arrêt du 19 mars 2018 (Cour d’appel de Pau 2ème chambre – section n° 14/04637), considère que des héritiers ont implicitement délivré un legs particulier de droit d’usage et d’habitation au regard du fait : 

  • que ceux-ci avaient accepté, après le décès de leur mère[…], que le légataire continue d’occuper seul le bien et ce sans la moindre opposition de leur part pendant plusieurs années, jusqu’à la délivrance des assignations lancées en juillet et septembre 2010 à l’effet de contester expressément la qualité de légataire,
  • que ceux-ci n’ont jamais contesté la régularité du testament de leur mère ayant institué un tiers légataire à titre particulier du droit d’usage et d’habitation.

Les exceptions à la jouissance différée au jour de la délivrance du legs

La solution de principe consistant pour le légataire non-héritier à jouir des fruits à compter seulement de la délivrance trouve deux exceptions. 

En effet, l’article 1015 du code civil dispose en ce sens que :

« Les intérêts ou fruits de la chose léguée courront au profit du légataire, dès le jour du décès, et sans qu’il ait formé sa demande en justice 

  • 1° Lorsque le testateur aura expressément déclaré sa volonté, à cet égard, dans le testament 
  • 2° Lorsqu’une rente viagère ou une pension aura été léguée à titre d’aliments ».

Il convient donc d’analyser le testament pour vérifier :

  • si le défunt n’a pas prévu de clause contraire au principe de jouissance à compter de la délivrance du legs,
  • la nature du legs, afin de savoir s’il s’agit d’une rente viagère ou d’une pension. En d’autres mots, si le legs a été réalisé pour octroyer au légataire une garantie alimentaire, ce dernier prendra effet au jour du décès.

Par Sophie Rieussec et Béatrice Lebon

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Publié le 07 Nov 2022