Aller au contenu

Succession

L’existence d’une créance d’assistance sur le fondement de l’enrichissement injustifié ou de la charge successorale

Liquidation et partage de successions

L’enfant qui a soigné et assisté ses parents a droit à une créance contre la succession ou contre ses co-héritiers sur le fondement de l’enrichissement injustifié ou celui de la charge successorale.

En effet :

  • depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1994, il est permis à l’enfant dévoué, en s’appuyant sur la théorie de l’enrichissement injustifié, de se prévaloir d’une créance.
  • une décision plus récente de la 1ère chambre civile du 5 janvier 1999 (JCP ed N1999 n°17 p722) lui autorise également cela, sans se référer toutefois à l’enrichissement sans cause mais en qualifiant la créance de charge successorale.

De ces décisions se dégage la tendance suivante : l’équité commande d’indemniser l’enfant qui a soutenu son parent dans ses vieux jours. Il convient cependant de questionner la situation dans laquelle un enfant « assiste » un parent.

La créance d’assistance sur le fondement de l’enrichissement sans cause

Sur le fondement de l’enrichissement sans cause, la créance d’assistance est un quasi-contrat, à savoir un engagement qui se forme sans convention. C’est un fait purement volontaire de l’homme dont il résulte un engagement envers un tiers.

Article 1371 du code civil : « Les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties. ».

Preuve de l’assistance aux parents

La preuve d’un fait juridique étant libre, un acte écrit, n’est pas indispensable.

L’objet de cette preuve est de démontrer, 

  • d’une part, que cette assistance a excédé la mesure de la piété filiale, 
  • et, d’autre part, qu’elle a été la cause d’un appauvrissement de l’enfant ayant corrélativement enrichi son parent, comme l’exige la Cour de cassation.

La créance d’assistance est a priori limitée à des hypothèses dans lesquelles le dévouement de l’enfant est exceptionnel : dans le cas étudié par la Cour de cassation, l’enfant avait sacrifié sa carrière professionnelle pour porter assistance à son vieux père. Il ne s’agit évidemment pas de rémunérer les nombreux et divers menus services qu’un enfant est amené à rendre à ses parents âgés mais une indemnité doit être évaluée dans ce cas.

Montant de la créance

Conformément aux règles de l’enrichissement sans cause, le montant de la créance d’assistance est égal à la plus faible des deux sommes que représentent, à la date de la demande en restitution, l’enrichissement du parent assisté ou l’appauvrissement de l’enfant assistant.

Le premier terme de cette comparaison est l’enrichissement du parent, soit l’ensemble des économies qu’il a réalisées en étant assisté pendant une certaine période par l’un de ses enfants

  • économies sur les frais d’aide à domicile,
  • économies sur les frais de placement en maison de retraite notamment . Il peut être suggéré de ne prendre en compte que les frais qui auraient dû être effectivement acquittés par le parent, déduction faite des prestations dont il aurait pu le cas échéant se prévaloir, notamment au titre de l’aide sociale.

Le second terme de la comparaison est l’appauvrissement de l’enfant, soit :

  • les dépenses occasionnées par ses soins 
  • et le temps consacré à son parent. Cela entraîne nécessairement des difficultés pour évaluer la créance.

Après comparaison, la plus faible des deux sommes pourra être payée.

Une telle dette sera en principe déduite de l’actif successoral taxable, car ladite dette est née du vivant du défunt.

Un acte de reconnaissance de la part du parent aidé, préconstitué entre les parties, sera à cet égard utile pour opposer à l’administration fiscale que la dette est bien née du vivant du défunt. Nos avocats spécialisés en droit des successions pourront évidemment guider la rédaction d’un acte en anticipant ses effets.

Toutefois, si la créance d’assistance est contestée dans son principe ou dans son montant par les autres héritiers, il conviendra de la solliciter devant le tribunal judiciaire. Cependant, cette action est juridiquement considérée comme subsidiaire. Ainsi, avant d’être formulée, il convient d’abord de former une demande de contribution dirigée contre les frères et sœurs de l’enfant au titre du paiement d’une charge de la succession.

Créance d’assistance : une charge de la succession

Cette demande, qui doit donc être formée à titre principal devant le juge des successions est notamment fondée sur un arrêt de la Cour de cassation et  son arrêt du 5 janvier 1999 qui décide qu’un enfant ayant hébergé « sa mère grabataire, évité des frais importants qui auraient grevé le patrimoine successoral, la cour d’appel en a, à bon droit, déduit qu’il pouvait prétendre à une indemnité compensatrice à la charge de la succession ».

Si la créance d’assistance est une charge successorale, elle est donc causée par le décès du parent ou par les nécessités du règlement de sa succession. Elle n’est pas née du vivant du de cujus mais est la conséquence directe de l’ouverture de sa succession.

Un tel rattachement aux charges de la succession paraît économiquement réaliste, dans la mesure où la succession aurait effectivement supporté la charge financière du parent grabataire si celui-ci avait fait l’objet d’un placement ou d’une aide à domicile financée provisoirement sur les deniers publics en raison d’un droit à récupération sur sa succession.

Mais, en réalité, assimiler la créance d’assistance aux charges successorales est techniquement artificiel : la dette n’est pas la conséquence directe de l’ouverture de la succession mais la conséquence directe des services prodigués à l’assisté.

La qualification de charge de la succession bénéficie toutefois d’un régime juridique favorable car ces charges sont assimilées à une dette successorale, ce qui emporte des effets importants et notamment :

  • la faculté de se prévaloir du droit à prélèvement sur les biens indivis au regard de l’article 815-17 du code civil qui dispose que « Les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis. »
  • l’ouverture d’un recours contributoire contre les héritiers au prorata de leurs droits dans la succession aux termes de l’article 873 du Code civil qui dispose que « Les héritiers sont tenus des dettes et charges de la succession, personnellement pour leur part et portion virile, et hypothécairement pour le tout ; sauf leur recours soit contre leurs cohéritiers, soit contre les légataires universels, à raison de la part pour laquelle ils doivent y contribuer. »

Enfin, bien que le régime fiscal des charges de la succession ne soit pas uniforme, on peut penser que l’Administration admettra leur déductibilité, sauf abus manifeste dans leur évaluation.

Par Sophie Rieussec et Nicolas Graftieaux  le 24 mai 2023