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Procédure

Procédure civile - Effectivité de l'enrôlement dans le contexte d’une pluralité de défendeurs

Cass. civ. 2eme, 22 mai, n°22-23.066

Procédure et pratiques professionnelles

Enseignement de l'arrêt

Une même assignation délivrée à plusieurs personnes n’impose pas plusieurs enrôlements, l’enrôlement d’une seule assignation saisit valablement la juridiction.

Rappel du cadre légal

L’assignation est l’acte par lequel une partie cite son adversaire en justice. 

Toutefois, pour que la juridiction soit valablement saisie, il ne suffit pas de délivrer l’assignation à la partie adverse : il est nécessaire d’en déposer une copie au secrétariat-greffe de la juridiction compétente, c’est ce que l’on appelle l’enrôlement ou le placement de l’assignation

L’article 754 du code de procédure civile traite des règles relatives à l’enrôlement de l’assignation, c’est-à-dire du dépôt de l’assignation au greffe du tribunal compétent dans un délai déterminé après sa délivrance.

« La juridiction est saisie, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation.
Sous réserve que la date de l’audience soit communiquée plus de quinze jours à l’avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date.
En outre, lorsque la date de l’audience est communiquée par voie électronique, la remise doit être faite dans le délai de deux mois à compter de cette communication.
La remise doit avoir lieu dans les délais prévus aux alinéas précédents sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d’une partie. »

Si l’assignation n’est pas enrôlée dans le délai requis, la sanction est la caducité de l’assignation, constatée d’office par le juge ou, à défaut, à la requête d’une partie. 

Cela signifie que : 

  • l’assignation est anéantie rétroactivement, tout comme tous les actes subséquents,
  • l’instance est éteinte : le tribunal n’est pas saisi, et la procédure s’arrête,
  • le défendeur est considéré comme n’ayant jamais été mis en demeure,
  • le délai de prescription n’a pas été interrompu : il continue à courir comme si l’assignation n’avait jamais existé.

Faits et procédure

La demanderesse assigne en référé, les 24 et 30 juillet 2020, la société R. House design, en qualité de maître d’œuvre, son assureur, la société SMA, et la société L’Ebénisterie devant le Président d’un tribunal judiciaire aux fins de désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Le 6 novembre 2020, elle assigne un autre entrepreneur, la société Provence Electric, aux mêmes fins.

La demanderesse procède à l’enrôlement d’un exemplaire de l’assignation dans les délais impartis.

La société L’Ébénisterie soutient que la demanderesse aurait dû déposer au greffe autant d’exemplaires de l’assignation qu’il y avait de défendeurs. En conséquence, elle sollicite que la caducité de l’assignation soit prononcée.

Par une ordonnance du 16 février 2021, le juge des référés rejette la demande de caducité de l’assignation délivrée le 30 juillet 2020 à l’encontre de la société L’Ebénisterie, joint les deux instances et ordonné une expertise.

La société L’Ebénisterie interjette appel de cette ordonnance.

Par arrêt en date du 16 décembre 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence suit la position du juge des référés et rejette la demande de caducité de l’assignation délivrée le 30 juillet 2020 à l’encontre de la société L’Ebénisterie et condamne cette dernière à payer à la demanderesse une somme provisionnelle de 2 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive.

La société L’Ebénisterie forme un pourvoi en cassation.

Apport de la Cour de cassation

En présence de plusieurs défendeurs et lorsque la même assignation leur est délivrée, est-il nécessaire d’enrôler chaque assignation signifiée individuellement, faute de quoi l’instance serait caduque ?

La Cour de cassation rappelle les termes de l’article 754, alinéa 1, du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, la juridiction est saisie, à la diligence de l’une ou l’autre des parties, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation, dans un certain délai.

La Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel. Elle décide qu’une même assignation délivrée à plusieurs personnes n’impose pas plusieurs enrôlements et que la remise au greffe de la copie de l’assignation, faite dans le délai imparti, était régulière. La Cour de cassation décide que le demandeur n’est pas tenu de déposer au greffe chacune des assignations signifiées ; l’enrôlement d’une seule assignation suffit à saisir valablement le juge.

Le respect du principe du contradictoire, qui assure au défendeur la possibilité de préparer sa défense dans des délais raisonnables, n’est pas remis en cause en l’espèce. Il est évident que cette garantie résulte de la signification de l’assignation, et non de son enrôlement.

Cette décision, relevant du bon sens, s’inscrit dans la volonté de Cour de cassation de ne pas imposer aux parties de formalisme excessif, une alerte également émise par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans son arrêt du 21 novembre 2024. Dans cet arrêt, Justine c. France (n° 78664/17), la CEDH a condamné la France pour violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison d’un formalisme excessif : la France doit éviter les excès de formalisme qui entravent l’accès à la justice, et la CEDH invite la Cour de cassation à faire preuve de souplesse chaque fois que la finalité de la règle n’est pas compromise. 

En l’espèce, la finalité de règle n’était certainement pas compromise : d’une part, chaque défendeur a bien reçu signification de l’acte, et d’autre part, la juridiction a été effectivement saisie par le dépôt d’une copie de l’assignation.

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