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Droit des successions

Vacance de la succession et prescription de la créance d'aide sociale du département

Cass. civ. 1ere, 30 avril 2025, n°23-14.643

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Dans le cadre d’une succession vacante, la simple déclaration de créance auprès du curateur ne suffit pas à protéger les droits du créancier.
La Cour de cassation affirme avec fermeté le principe de non-suspension de la prescription lors de l’ouverture d’une vacance, sauf impossibilité d’agir légalement.

Rappel du cadre légal

Le régime juridique des créances dans une succession vacante

En cas de succession vacante, le Code civil instaure un régime spécifique destiné à assurer une gestion centralisée et équitable du patrimoine du défunt en l’absence d’héritiers connus ou acceptants. 

Ce régime repose sur la désignation d’un curateur à la succession, qui est, en pratique, la direction régionale des finances publiques (DRFIP), également appelée services du Domaine.

La désignation du curateur intervient sur décision du tribunal judiciaire, en application des articles 809 à 811 du Code civil. 

Dès cette désignation, le curateur public est chargé d’administrer les biens de la succession, d’en assurer la conservation, de réaliser un inventaire, et de préparer un projet de règlement du passif successoral.

Les créanciers de la succession sont tenus de déclarer leurs créances auprès du curateur.

Le curateur n’est habilité à effectuer les paiements qu’après validation du projet de règlement de la succession, sauf pour certaines dettes qualifiées d’urgentes : frais funéraires, impôts dus par le défunt, loyers impayés, frais de dernière maladie, et frais de conservation du patrimoine.

Ce cadre juridique garantit un traitement ordonné des créances, dans un contexte où il n’existe pas d’héritier actif pour représenter la succession

En l’absence de réclamation ou d’héritier, l’actif net de la succession est dévolu à l’État, conformément à l’article 811 du Code civil.

« Lorsque l’État prétend à la succession d’une personne qui décède sans héritier ou à une succession abandonnée, il doit en demander l’envoi en possession au tribunal. »

Le régime applicable à la prescription des créances contre une succession vacante

La vacance successorale n’interrompt ni ne suspend de manière automatique le délai de prescription des créances à l’encontre de la succession.

En vertu du droit commun de la prescription de l’article 2219 du code civil, le créancier reste tenu d’agir dans les délais prévus, selon la nature de sa créance.

« La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. »

La simple déclaration de créance auprès du curateur ne constitue ni une cause d’interruption ni de suspension du délai de prescription.

L’article 2234 du Code civil, qui prévoit une suspension de la prescription lorsqu’une partie est légalement empêchée d’agir, ne s’applique pas dans ce contexte, dès lors que le créancier peut toujours saisir le juge du fond pour obtenir un titre exécutoire, même si l’exécution de celui-ci est différée jusqu’à la liquidation effective du passif.

La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Le cadre juridique impose donc une obligation de vigilance aux créanciers, qui doivent non seulement déclarer leur créance au curateur, mais aussi prendre l’initiative d’agir en justice dans les délais impartis, afin d’interrompre ou de suspendre la prescription. À défaut, ils s’exposent à la perte définitive de leurs droits.

Analyse de l’arrêt

Faits et procédure

Monsieur. R décède le 2 mars 2013 sans héritier connu. 

Le 5 mars 2015, à la demande du département des Côtes d’Armor, le président du tribunal judiciaire constate la vacance de la succession

En application des articles 809 et suivants du Code civil, la curatelle de la succession est alors confiée à la Direction régionale des finances publiques de Bretagne, agissant comme curateur.

Dans le cadre du recours contre succession, le département déclare une créance à hauteur des aides sociales versées au défunt de son vivant. 

Cette déclaration est faite auprès du curateur, le 14 avril 2015. 

Toutefois, la DRFIP refuse le paiement au motif que la créance est prescrite, c’est-à-dire que le délai pour en demander le paiement est dépassé.

Le département saisit alors une juridiction de sécurité sociale pour contester cette décision, soutenant que l’ouverture de la vacance et la déclaration de créance auprès du curateur auraient dû suspendre le délai de prescription.

La Cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 8 février 2023, rejette cette argumentation. 

Le département forme un pourvoi en cassation, reprochant à la Cour d’appel d’avoir écarté, à tort selon lui, tout effet suspensif à la déclaration de créance faite dans le cadre d’une succession vacante.

Apport de la Cour de cassation

Par son arrêt du 30 avril 2025, la première chambre civile rejette le pourvoi et confirme l’analyse de la cour d’appel.

Le rôle limité du curateur dans le traitement des créances

Fondant sa décision sur les dispositions des articles 809-3, 810-4 et 810-5 du Code civil, la Cour de cassation indique qu’en cas de succession vacante, le curateur est seul habilité à régler les créances, selon un ordre défini par la loi .

Avant d’effectuer les paiements, il doit établir un projet de règlement du passif de la succession.

Il ne peut effectuer que quelques paiements urgents sans attendre ce projet : frais de conservation, frais funéraires, impôts dus par le défunt, loyers, etc.

Le département faisait valoir que cette procédure exclusive bloquait toute action et donc suspendait la prescription

La Cour de cassation rejette cet argument.

Possibilité d’agir en justice malgré la vacance

La Cour de cassation précise que rien dans ces textes n’interdit aux créanciers de saisir le juge du fond pour obtenir un titre exécutoire, c’est-à-dire une reconnaissance judiciaire de leurs créances.

Certes, l’exécution de ce titre serait différée (le curateur ne paiera qu’après l’établissement du projet), mais cela n’empêche pas d’agir en justice pour interrompre la prescription.

Ainsi, l’argument selon lequel le département était dans l’impossibilité d’agir au sens de l’article 2234 du Code civil est rejeté. 

Ce texte prévoit une suspension de la prescription en cas d’impossibilité légale, contractuelle ou de force majeure. Or ici, l’obstacle n’était qu’organisationnel et non juridique.

Conséquence : créance prescrite

Le département aurait dû agir judiciairement pour obtenir un titre exécutoire dans le délai de prescription applicable à sa créance.

En l’ignorant, il a laissé expirer ce délai, rendant sa créance irrecevable. 

La déclaration de créance seule n’interrompt ni ne suspend le délai.

La Cour de cassation confirme ainsi une lecture rigoureuse du droit des successions vacantes, attachée à la sécurité juridique, notamment en matière de prescription.