Aller au contenu

Droit de la famille

Un majeur sous curatelle peut-il saisir le juge de la liberté et de la détention pour contester son placement en soins psychiatriques ?

Cass. civ. 1ère, 5 juill. 2023, n°23-10.096

Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)

Enseignement de l'arrêt

Le majeur placé sous une mesure de curatelle n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour contester la décision de maintien de soins psychiatriques sans consentement à son égard.

La protection du majeur sous curatelle

Rappel général de la mesure de curatelle

Selon l’article 415 du Code civil, la curatelle est une mesure de protection rendue nécessaire du fait de l’état ou de la situation d’un majeur. Les mesures de protection des personnes constituent une atteinte à la liberté individuelle de ces dernières, et doivent donc satisfaire plusieurs exigences :

  • d’abord, cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne ;
  • elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée ;
  • enfin, elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci.

« Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre.
Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.
Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci.
Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »

En vertu de l’article 425 du Code civil, le juge du contentieux de la protection (ex juge des tutelles) ordonne le placement d’un majeur sous protection juridique lorsque celui-ci est dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, de ses facultés mentales ou physiques de nature à empêcher l’expression de sa volonté.

« Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre.

S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions. »

Parmi les mécanismes juridiques de protection existants au profit d’un majeur incapable, la curatelle est considérée comme à mi-chemin entre la sauvegarde de justice et la tutelle.

Conditions du placement sous curatelle

Un majeur ne peut être placé sous curatelle que sous certaines conditions en vertu de l’article 440 alinéa 1 du Code civil :

  • il doit être hors d’état d’agir elle-même en raison d’une altération de ses facultés mentales ou physiques ;
  • il doit être assisté ou contrôlé d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile.

Néanmoins, la mesure de curatelle ne peut être prononcée que si la sauvegarde de justice se révèle être une mesure insuffisante aux vues de l’état ou de la situation de la personne à protéger.

« La personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin, pour l’une des causes prévues à l’article 425, d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle.

La curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.

La personne qui, pour l’une des causes prévues à l’article 425, doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.

La tutelle n’est prononcée que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante. »

Le curateur, personne en charge de la protection de la personne placée sous curatelle, a pour objectif de l’assister. Son rôle est limité par les articles 458 et 459 du Code civil. Le premier article aborde les actes dont le consentement doit être strictement personnel et pour lesquels l’assistance du curateur est prohibée, et le second traite des décisions relatives à la personne du majeur.

« Sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l’accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée.

Sont réputés strictement personnels la déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance, les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d’un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant. »

L’article 459 du Code civil prévoit ainsi qu’en principe, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet. 

Par exception, le juge ou le conseil familial s’il a été constitué, peut décider que le majeur protégé bénéficiera de l’assistance de la personne chargée de sa protection : ici le curateur. La condition tient à ce que l’état de la personne protégée ne lui permette pas de prendre seule une décision d’une part personnelle, et d’autre part éclairée. 

L’article 459 ajoute dans son alinéa 3 qu’en principe, la personne chargée de la protection du majeur ne peut, sans l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, prendre une décision ayant pour effet de porter gravement atteinte « à l’intégrité corporelle de la personne protégée ». Par exception, cette atteinte à l’intégrité physique du majeur protégé est admise en cas d’urgence. 

« Hors les cas prévus à l’article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet.

Lorsque l’état de la personne protégée ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué peut prévoir qu’elle bénéficiera, pour l’ensemble des actes relatifs à sa personne ou ceux d’entre eux qu’il énumère, de l’assistance de la personne chargée de sa protection. Au cas où cette assistance ne suffirait pas, il peut, le cas échéant après le prononcé d’une habilitation familiale ou l’ouverture d’une mesure de tutelle, autoriser la personne chargée de cette habilitation ou de cette mesure à représenter l’intéressé, y compris pour les actes ayant pour effet de porter gravement atteinte à son intégrité corporelle. Sauf urgence, en cas de désaccord entre le majeur protégé et la personne chargée de sa protection, le juge autorise l’un ou l’autre à prendre la décision, à leur demande ou d’office.

Toutefois, sauf urgence, la personne chargée de la protection du majeur ne peut, sans l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, prendre une décision ayant pour effet de porter gravement atteinte à l’intimité de la vie privée de la personne protégée.

La personne chargée de la protection du majeur peut prendre à l’égard de celui-ci les mesures de protection strictement nécessaires pour mettre fin au danger que son propre comportement ferait courir à l’intéressé. Elle en informe sans délai le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué. »

Mainlevée et contrôle des mesures de soins psychiatriques sans consentement

Dans le cadre de mesures de soins psychiatriques prises sans le consentement de l’intéressé, le Code de la santé publique régit notamment les procédures judiciaires de mainlevée et de contrôle de ces mesures (article L3212-1 du Code de la santé publique).

« Une personne ne peut sans son consentement ou, le cas échéant, sans l’autorisation de son représentant légal, si elle est mineure, ou celle de la personne chargée de la protection, s’il s’agit d’un majeur faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, faire l’objet de soins psychiatriques, hormis les cas prévus par les chapitres II à IV du présent titre et ceux prévus à l’article 706-135 du code de procédure pénale.

Toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence. »

Il faut en outre préciser que, conformément à l’article R3211-8 Code de la santé publique (CSP), la personne faisant l’objet de soins psychiatriques doit être assistée ou représentée par un avocat dans une procédure devant le juge des libertés et de la détention (juge de la liberté et de la détention) et le premier président de la cour d’appel.

« Devant le juge des libertés et de la détention et le premier président de la cour d’appel, la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est assistée ou représentée par un avocat. Elle est représentée par un avocat dans le cas où le magistrat décide, au vu de l’avis médical prévu au deuxième alinéa de l’article L. 3211-12-2, de ne pas l’entendre. Les autres parties ne sont pas tenues d’être représentées par un avocat. »

Concernant la mesure d’hospitalisation complète d’un patient, celle-ci ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le directeur de l’établissement lorsque l’hospitalisation a été prononcée, en vertu de l’article L3211-12-1 CSP.

« I.-L’hospitalisation complète d’un patient ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le directeur de l’établissement lorsque l’hospitalisation a été prononcée en application du chapitre II du présent titre ou par le représentant de l’Etat dans le département lorsqu’elle a été prononcée en application du chapitre III du présent titre, de l’article L. 3214-3 du présent code ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale, ait statué sur cette mesure :

[…] »

Le Code de la santé publique aborde par ailleurs le rôle de la personne chargée de la protection d’un majeur incapable et dispose dans son article R3211-11 CSP que « Dès réception de la requête, le greffe l’enregistre et la communique, […] s’il y a lieu, à la personne chargée à l’égard de la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques d’une mesure de protection juridique relative à la personne ». Ainsi le curateur, lorsqu’il s’agit d’une curatelle, a un rôle a priori passif dans la procédure judiciaire de mainlevée des mesures de soins psychiatriques sans consentement.

« Dès réception de la requête, le greffe l’enregistre et la communique :

1° A la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques, à moins qu’elle soit l’auteur de la requête, et, s’il y a lieu, à la personne chargée à son égard d’une mesure de protection juridique relative à la personne ou, si elle est mineure, à ses représentants légaux ;

2° Au ministère public ;

3° Au directeur de l’établissement, à moins qu’il ne l’ait lui-même transmise ou établie, à charge pour lui d’en remettre une copie à la personne concernée lorsqu’elle est hospitalisée dans son établissement ;

4° Le cas échéant, au tiers qui a demandé l’admission en soins psychiatriques ou au préfet qui a ordonné ou maintenu la mesure de soins. »

Ce même article évoque la possibilité pour le majeur placé sous protection judiciaire d’être l’auteur de la requête devant le juge de la liberté et de la détention. L’article R3211-28 CSP fait également référence à cette qualité pour agir de la personne faisant l’objet de soins psychiatriques.

« Lorsqu’elle émane de la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques, la requête peut être déposée au secrétariat de l’établissement d’accueil. La demande en justice peut également être formée par une déclaration verbale recueillie par le directeur de l’établissement qui établit un procès-verbal contenant les mentions prévues par l’article R. 3211-10, daté et revêtu de sa signature et de celle de l’intéressé. Si ce dernier ne peut signer, il en est fait mention.

Le directeur transmet sans délai la requête ou le procès-verbal au greffe du tribunal, par tout moyen permettant de dater sa réception au greffe du tribunal judiciaire, en y joignant les pièces justificatives que le requérant entend produire. Le directeur communique en outre au tribunal un dossier contenant les pièces mentionnées à l’article R. 3211-12 dans le délai de cinq jours suivant le dépôt de la requête. »

Solution de la Cour de cassation

Rappel des faits : Hospitalisation sous contrainte du majeur protégé et ordonnance de maintien

Dans un arrêt du 5 juillet 2023 rendu par la première chambre civile (n°23-10.096), la Cour de cassation statut sur la possibilité pour le majeur placé sous une mesure de curatelle et faisant l’objet de soins psychiatriques contraints de saisir le juge de la liberté et de la détention et d’interjeter appel de son ordonnance, sans que le curateur intervienne. 

En l’espèce, une personne placée sous une mesure de curatelle est admise en soins psychiatriques le 16 août 2022 sans que son consentement n’ai été recueilli, en application de l’article L3212-1 du CSP. Comme vu ci-dessus, cet article prévoit que la personne en charge de la protection d’une personne doit donner son autorisation pour que celle-ci fasse l’objet de soins psychiatriques. 

Le 22 août 2022, le directeur de l’établissement de santé saisit le juge de la liberté et de la détention aux fins de poursuite de la mesure de soins psychiatriques, conformément à l’article L3211-12-1 CSP qui subordonne la poursuite d’une hospitalisation complète à la saisine du juge de la liberté et de la détention par le directeur de l’établissement. 

Le 25 août 2022, le juge de la liberté et de la détention fait droit à la demande du directeur et rend une ordonnance de poursuite de la mesure d’hospitalisation. 

Toutefois, le majeur placé sous protection et faisant l’objet de cette mesure décide de faire appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Paris, laquelle déclare la demande irrecevable par arrêt du 2 septembre 2022. 

Les juges du fond considèrent que le majeur sous curateur n’a pas capacité pour relever seul un appel, donc sans l’assistance de son curateur. 

Partant, l’appelant se pourvoit en cassation devant la première chambre civile de la Cour de cassation. Le demandeur au pourvoi estime qu’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques, même si elle fait l’objet d’une mesure de protection, a qualité pour agir devant le juge de la liberté et de la détention aux fins d’ordonner la mainlevée immédiate de la mesure et interjeter appel de l’ordonnance, sans que l’assistance de son curateur soit nécessaire.

Le demandeur au pourvoi invoque dans un premier temps une violation des articles 459 et 468 alinéa 3 du Code civil (ce dernier prévoyant l’assistance du curateur pour que la personne protégée puisse introduire une action en justice). Dans un second temps il invoque une violation des articles L3211-12, R3211-8 et R3211-28 CSP, et les articles 117 et 121 Code de procédure civile. Ces deux derniers articles prévoient respectivement que d’une part, « constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :

  • Le défaut de capacité d’ester en justice ;
  • Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;
  • Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice. ». 

Et d’autre part que « dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. ».

« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :

Le défaut de capacité d’ester en justice ;

Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;

Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice. »

« Dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».

Solution : La qualité pour agir seul devant le juge de la liberté et de la détention du majeur sous curatelle

La question juridique qui se pose devant la Cour de cassation est : le majeur placé sous curatelle a-t-il qualité pour agir seul devant le juge des libertés et de la détention, sans l’assistance de son curateur, aux fins de contestation d’une décision de maintien de soins psychiatriques contraints dont il fait l’objet ? 

La première chambre civile de la Cour de cassation répond par la positive dans son arrêt du 5 juillet 2023, et casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 septembre 2022 au visa des articles 415 et 459 du code civil, et de l’article L3211-12 CSP. 

Elle décide ainsi que le majeur sous curatelle peut saisir seul le juge de la liberté et de la détention afin de contester l’ordonnance de poursuite des soins psychiatriques. 

Rappelant l’article 415 du code civil, la Cour rappelle les trois règles fondamentales que doivent respecter les mesures de protection judiciaire

  • la protection est instaurée dans le respect des droits fondamentaux et libertés individuelles ;
  • la protection a pour finalité l’intérêt de la personne protégée ;
  • elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de la personne. 

L’ordonnance de maintien de soins psychiatriques à l’encontre d’un majeur sous protection judiciaire et sa contestation doivent donc répondre à ces trois exigences, dont le but est de préserver les libertés de la personne protégée. 

La Cour de cassation rappelle ensuite qu’en vertu de l’article 459 du code civil, le majeur protégé peut prendre seul une décision pour les actes relatifs à sa personne. Par exception, il doit se faire assister par la personne en charge de sa protection si l’état du majeur ne lui permet pas de prendre une décision personnelle éclairée. 

En l’occurrence, la Cour considère que la saisine du juge de la liberté et de la détention et l’appel de son ordonnance aux fins d’obtenir la main levée d’une mesure de soins sans consentement constituent des actes personnels conformément à l’article 459 du code civil.

Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants

jurisprudences et lois commentées

Droit de la famille
Publié le 20 Mar 2023

jurisprudences et lois commentées