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Procédure

Sociétés – Désignation d’un mandataire ad’hoc en cas de conflit d’intérêts entre la société et son représentant légal

Cass. com., 9 nov. 2022, n°20-19.077

Procédure et pratiques professionnelles, Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Lorsqu’il existe un conflit d’intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu’il appartient au juge de désigner à la demande de l’associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d’office.

Action individuelle d’un associé dans l’intérêt de la société

Les associés d’une société peuvent initier une action sociale individuellement :

  • lorsqu’ils ont subi un préjudice ; 
  • mais aussi lorsqu’ils considèrent que la société a subi un préjudice. Ils agissent dans l’intérêt de la société à l’encontre de son dirigeant. Cette action est appelée « ut singuli ».

A ce sujet, l’article R223-32 du Code de commerce dispose :

« Lorsque l’action sociale est intentée par un ou plusieurs associés, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l’article R. 223-31, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l’intermédiaire de ses représentants légaux.

Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l’instance, lorsqu’il existe un conflit d’intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux ».

Faits de l’espèce

1- Le 5 mai 2014, la société à responsabilité limitée HEP est constituée entre Madame V, Monsieur V et Monsieur D. Madame V est désignée gérante de cette SARL.

L’objet social de la société HEP est notamment « l’exploitation d’un café, bar, brasserie ainsi que toutes opérations immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à cette exploitation ».

Dans le cadre de son activité, elle conclut un bail commercial le 17 juillet 2014 portant sur un local à usage commercial dans la région des Hauts-de-France.

2- Le 14 mars 2017, Madame V et Monsieur D constituent la SCI des Collières qui acquiert l’immeuble comprenant le local à usage commercial loué par la société HEP pour exercer son activité.

3- Le 1er septembre 2017, Monsieur V (associé de la société HEP) assigne Madame V et la société HEP (représentée par Madame V) aux fins de voir condamner Madame V à payer des sommes en réparation de son préjudice et de celui subi par la société HEP. 

Monsieur V considère que Madame V s’est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué à son devoir de loyauté à son égard, lui créant un préjudice moral, en dissimulant l’information selon laquelle l’immeuble exploité par la société HEP était à vendre et, en se portant elle-même acquéreur par le biais de la SCI des Collières

Madame V a opposé à Monsieur V une fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n’était pas valablement représentée faute de désignation d’un mandataire ad hoc.

Position de la Cour de cassation

1- La Cour d’appel a écarté la fin de non-recevoir tirée de l’absence de représentation régulière de la société HEP et condamné Madame V à 50 000 € de dommages et intérêts au profit de la société.

Elle a considéré que :

  • Madame V avait été assignée à titre personnel et en sa qualité de représentant légal de la société HEP ; 
  • l’absence de mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l’action (dont Madame V ne demandait d’ailleurs même pas la désignation) ;
  • qu’il n’existe aucun conflit d’intérêt entre Madame V et la société HEP dès lors que Madame V ne formule aucune demande à l’encontre de la société.

2- La Cour de cassation – qui s’appuie sur l’article cité précédemment R223-32 du Code du commerce – rappelle qu’il en résulte que l’action sociale qui est exercée par un associé n’est recevable que si la société est régulièrement représentée dans l’instance. 

La Cour de cassation va plus loin : lorsqu’il existe un conflit d’intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu’il appartient au Juge de désigner à la demande de l’associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d’office.

En l’espèce, la Cour de cassation considère que la Cour d’appel aurait dû déduire de cet article qu’elle devait désigner un mandataire ad’hoc pour que la société HEP soit régulièrement représentée en constatant qu’il existait un conflit d’intérêts entre la société HEP, prétendument victime des agissements de sa gérante et celle-ci, même si elle n’avait pas été saisie d’une demande spécifique de désignation d’un mandataire ad’hoc

3- La Cour de cassation considère donc que la SARL n’est pas régulièrement mise en cause, lorsqu’elle est représentée par son représentant légal en situation de conflit d’intérêts.  L’arrêt de la Cour d’appel est donc cassé. 

4- Par cet arrêt, la Cour de cassation vient interpréter l’articulation entre les deux alinéas de l’article R223-32 du Code de commerce.

La représentation de la société par un mandataire ad’hoc devient une condition de recevabilité de l’action en cas de conflit d’intérêts. Les Juges du fond doivent donc apprécier d’office – si ce point n’est pas soulevé – la question de la représentation de la société.

Cette décision concerne une SARL. Il conviendra de surveiller si la Cour de cassation l’étend aux autres formes de sociétés, notamment civiles. Les cas de conflit d’intérêt dans les SCI étant nombreux dans les situations familiales de divorce et de succession, notamment en cas d’occupation par un héritier ou un ex-époux d’un bien appartenant à la SCI et dont l’occupant serait gérant.