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Droit des successions

Rapport des dettes d’héritiers à la succession : modalités de preuve

Cass. civ. 1ère, 12 fév. 2020, n°18-23.573

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Il résulte de la combinaison des articles 864 alinéa 1er et 1353 du Code civil que s’il appartient à l’héritier qui demande le rapport d’une dette par l’un de ses copartageants de prouver son existence, une fois cette preuve rapportée, le copartageant, qui prétend s’en être libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Dans un arrêt du 12 février 2020 n°18-23573, la première chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à statuer sur la question des modalités de rapports des dettes à la succession et notamment de la preuve de leur existence et de leur paiement le cas échéant. 

En l’espèce, dans le cadre des opérations de règlement d’une succession, un litige naît entre deux héritiers. Il s’est avéré que l’un d’eux avait bénéficié d’un prêt par le de cujus à hauteur de 600 000F soit 91 469€ (ce qu’il ne contestait pas). Son cohéritier demande le rapport de cette somme à la succession en qualité de créance.

Portant l’affaire devant la Cour de cassation, l’héritier emprunteur fait grief à la Cour d’appel de l’avoir condamné au rapport à la succession des sommes prêtées prétendant qu’il ne lui appartenait pas comme l’exigeait la Cour, au visa de l’article 1315 du code civil (et nouvellement 1353 du code civil), de prouver l’existence de la dette.

Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Rappel des règles de rapport des créances

Rappelons en premier lieu que la créance due par l’héritier, lorsqu’elle est impayée au décès, peut potentiellement faire l’objet d’un traitement en qualité de donation indirecte (si on arrive à prouver l’intention libérale), ou encore de créance. 

En dehors de cette requalification, les dettes et créances des héritiers font l’objet de modalités de rapport spécifiques dans le cadre du règlement de la succession, par rapport aux donations. 

Si les héritiers font le choix de réclamer le paiement d’une dette et ne sollicitent pas le rapport d’une donation, alors les articles 864 à 867 du code civil prévoient que le rapport des créances est une opération de partage alors que le rapport des donations est une opération préparatoire au partage qui influe sur la détermination de la masse à partager. 

Ainsi, l’article 864 du code civil dispose que « Lorsque la masse partageable comprend une créance à l’encontre de l’un des copartageants, exigible ou non, ce dernier en est alloti dans le partage à concurrence de ses droits dans la masse.

A due concurrence, la dette s’éteint par confusion. Si son montant excède les droits du débiteur dans cette masse, il doit le paiement du solde sous les conditions et délais qui affectaient l’obligation.»

En d’autres termes, la dette de l’héritier, qui est en réalité un actif de la succession lui est allotie « au moins prenant » dans le cadre des opérations de partage.

La preuve de l’existence d’un prêt ou d’une donation au bénéfice d’un héritier

La liberté de la preuve

Quant à la question de la preuve, la Cour de cassation y répond dans un raisonnement en deux temps. 

Elle rappelle tout d’abord que le rapport des dettes est une opération de partage soumis au droit commun et pas une opération de liquidation. Et que par conséquent, il convient d’y appliquer les règles de preuves classiques et notamment l’article 1353 du code civil qui dispose que « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

La Cour indique ainsi que « 4. En matière successorale, à la différence du rapport des libéralités, lequel, régi par les articles 843 à 863 du code civil, intéresse la composition de la masse partageable et constitue une opération préparatoire au partage, le rapport des dettes, prévu aux articles 864 à 867, concerne la composition des lots et constitue une opération de partage proprement dite. Les règles du droit commun de la preuve s’y appliquent. 

5. Aux termes de l’article 864, alinéa 1, du code civil, lorsque la masse partageable comprend une créance à l’encontre de l’un des copartageants, exigible ou non, ce dernier en est alloti dans le partage à concurrence de ses droits dans la masse. A due concurrence, la dette s’éteint par confusion. Si son montant excède les droits du débiteur dans cette masse, il doit le paiement du solde sous les conditions et délais qui affectaient l’obligation.

La charge de la preuve

La Cour tranche ensuite la question de charge de la preuve édictant qu’elle diffère en fonction de l’objet de la preuve : l’existence (i) puis l’extinction (ii) de la créance. 

« 6. Selon l’article 1315, devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. 

7. Il résulte de la combinaison de ces deux derniers textes que s’il appartient à l’héritier qui demande le rapport d’une dette par l’un de ses copartageants de prouver son existence, une fois cette preuve rapportée, le copartageant qui prétend s’en être libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Cet arrêt, dont l’attendu est très clair, vient clarifier une précédente décision en date du 15 mai 2013 n°12-11577, dans laquelle la première chambre de la Cour de cassation indique, au visa de l’ancien article 1315 du code civil (et nouvellement 1353 du code civil) qu’il  appartenait aux cohéritiers « qui en demandaient le rapport, de prouver l’existence, au jour de l’ouverture des successions, des dettes envers leurs auteurs dont ils se prévalaient, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et méconnu le texte susvisé » ;

L’utilisation du lexique « au jour de l’ouverture des successions » pouvait laisser penser que la Cour exigeait du cohéritier non-emprunteur non seulement la preuve de l’existence de la créance, mais également son existence au jour d’ouverture de la succession, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas été payée. 

Le traitement de la créance de l’héritier et de ses modalités de preuve est désormais plus clair : c’est à l’héritier emprunteur de démontrer le paiement de la dette, dès lors que les héritiers non-emprunteurs en ont établi le principe préalablement.

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