Aller au contenu

Droit du patrimoine

Le partage judiciaire - L’application du principe du partage en nature

Cass. civ. 1ere, 5 fev. 2025, n°21-15.932

Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières

Enseignement de l'arrêt

Dans le cas d’un partage judiciaire, le principe est le partage par nature, et la licitation des biens ne peut être ordonnée qu’en cas d’incommodité du partage en nature.

Le cadre légal du partage judiciaire

Définition du partage judiciaire de succession ou de régime matrimonial

Le partage judicaire est une forme de partage subsidiaire, lorsque les héritiers d’une succession ou les futurs époux divorcés n’ont pas trouvé d’accord. 

Il qui ne peut être envisagé que dans trois cas -énoncés limitativement par l’article 840 du Code civil :

  • lorsqu’un indivisaire refuse de consentir un partage amiable,
  • existence d’une contestation sur la manière de procéder au partage ou de le terminer,
  • si le partage amiable n’a pas été autorisé par le juge en raison d’un indivisaire défaillant.

« Le partage est fait en justice lorsque l’un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable ou s’il s’élève des contestations sur la manière d’y procéder ou de le terminer ou lorsque le partage amiable n’a pas été autorisé ou approuvé dans l’un des cas prévus aux articles 836 et 837 ».

Le partage en nature ou la licitation

En principe, le partage judiciaire est un partage en nature, à condition qu’il n’entraine pas une dépréciation des biens ou qu’il porte un préjudice à l’unité économique comme l’indique l’article 830 du Code civil.

« Dans la formation et la composition des lots, on s’efforce d’éviter de diviser les unités économiques et autres ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait la dépréciation. »

Le partage en nature ne suppose pas strictement l’existence de biens de même valeur et de même nature, qui pourront être partagés de manière égale entre les héritiers. La jurisprudence est constante sur la nécessité de privilégier le partage judiciaire en nature, même seulement partiellement. 

L’article 1686 du Code civil rappelle que la vente par adjudication n’a lieu que lorsque le bien n’est pas commodément partagé et sans perte.

« Si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ;

Ou si, dans un partage fait de gré à gré de biens communs, il s’en trouve quelques-uns qu’aucun des copartageants ne puisse ou ne veuille prendre,

La vente s’en fait aux enchères, et le prix en est partagé entre les copropriétaires. »

L’appréciation de la commodité ou de l’incommodité du partage est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond qui peuvent missionner un expert pour déterminer la difficulté du partage par nature. 

Cependant, le juge n’a pas l’autorisation d’attribuer lui-même les biens. Il doit procéder à un tirage au sort en constituant des lots de même valeur, qui pourront être compensé par une soulte. 

Lorsque le partage en nature n’est pas possible, la vente par adjudication s’impose.

« Le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués.

La vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 et, pour les meubles, dans les formes prévues aux articles R. 221-33 à R. 221-38 et R. 221-39 du code des procédures civiles d’exécution ».

L’appréciation concrète du partage en nature par les juges du fonds

Les juges du fonds sont tenus d’apprécier dans chaque situation si le partage en nature est possible sans incommodité ou dépréciation de la valeur des biens. 

Pour ce faire, les juges analysent les caractéristiques matérielles des biens indivis pour déterminer la commodité du partage en nature.

Incommodité matérielle

Il est par exemple courant au cabinet de rencontrer les situations suivantes dans lesquelles les biens ne sont pas commodément partageable : 

  • un terrain divisé en deux qui ne permet toutefois pas de construire séparément,
  • plusieurs indivisaires revendiquant un bien immobilier qui ne peut accueillir qu’une famille,

Toutefois, certains éléments ne peuvent être pris en compte pour écarter le partage en nature comme le simple désaccord supposé ou réel des copartageants, l’existence d’un bail ou le démembrement du bien indivis.

Incommodité économique

Les juges du fond retiennent également des aspects économiques comme une dépréciation des biens en cas de division en nature.

De même, il convient de s’assurer que les travaux à réaliser pour effectuer la séparation ne seront pas hors de proportion avec les ressources de chacun, sans quoi le partage en nature peut être qualifié d’incommode.

La question de l’inégalité de la valeur des lots ne dépend pas à proprement parlé de « l’incommodité économique » et n’interdit pas dans une certaine mesure le partage en nature. Le déséquilibre généré par la constitution et l’attribution des lots est simplement corrigé par le mécanisme de la soulte en application de l’article 826 alinéa 4 du Code civil.

« L’égalité dans le partage est une égalité en valeur.

Chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision.

S’il y a lieu à tirage au sort, il est constitué autant de lots qu’il est nécessaire.

Si la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d’égale valeur, leur inégalité se compense par une soulte ».

L’importance de celle-ci et la capacité des indivisaires à la payer est cependant un sujet bien moins arrêté en jurisprudence. Ces questions donnent lieu à des débats assez denses devant les tribunaux pour aboutir au partage souhaité.

Faits et procédure

Dans le dossier étudié par la Cour de cassation, une société et une caution sont condamnées solidairement par un jugement du 13 décembre 2012 à payer différentes sommes d’argent à une banque. 

La banque a inscrit plusieurs hypothèques sur les biens appartenant en indivision à la caution et sa sœur. La banque assigne les indivisaires en partage de l’indivision et demande la licitation des biens indivis. 

Par un arrêt du 23 février 2021, la Cour d’appel de Lyon ordonne l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision ainsi que la vente par licitation de certains biens indivis en raison de l’absence d’accord amiable entre les indivisaires sur la manière de procéder au partage.

Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation initié par la caution. 

La Cour de cassation dans sa décision du 5 février 2025 casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon en ce qu’elle a ordonné la vente par licitation de certains biens indivis après avoir constaté une impossibilité d’accord amiable entre les indivisaires sur les modalités du partage.

Apport de la Cour de cassation

La Cour de cassation justifie sa décision au visa de l’article 1377 alinéa 1 du Code de procédure civile, alors qu’elle était tenue de chercher « si les biens indivis étaient ou non commodément partageables en nature ».

Bien que le partage en nature soit de moins en moins présent dans les textes législatifs, il reste le principe dans le cadre d’un partage judiciaire. Par cette décision, la Cour de cassation rappelle ce principe et réaffirme l’idée que les juges qui ordonnent une licitation sont tenus de démontrer l’incommodité du partage en nature. 

Il faut préciser que la Cour de cassation limite son contrôle à la motivation des décisions des juges du fonds, comme c’est le cas en l’espèce. 

Ainsi, le simple fait qu’il existe un désaccord entre les indivisaires au sujet du partage des biens indivis, ne signifie pas que le partage en nature n’est pas réalisable, incommode ou qu’il entrainerait une dépréciation des biens indivis en question. 

Cette solution de la Cour de cassation n’est pas nouvelle, puisqu’elle avait déjà pris une décision en ce sens dans un arrêt du 6 mars 2024 n°22-13.883.

Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants

jurisprudences et lois commentées

Droit des successions
Publié le 23 Juin 2025