Jurisprudences
La prescription de la contestation de l’acte de notoriété acquisitive en outre-mer
Cass. civ. 3eme, 28 nov. 2024, n°23-14640
Patrimoine - Fiscalité
Enseignement de l'arrêt
La loi du 28 février 2017 ne prévoyant pas sa rétroactivité, le régime de prescription de la contestation des actes de notoriété acquisitive ne s’applique qu’à ceux publiés après son entrée en vigueur.
Rappel du cadre légal
L’acte de notoriété acquisitive, aussi appelé « notoriété prescriptive », est un acte établi par un notaire à la demande de celui qui souhaite faire reconnaitre l’acquisition d’un bien immobilier par prescription acquisitive (usucapion) et, donc, se prévaloir de l’article 2258 du code civil.
« La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »
Cet acte reprend les éléments de preuve dont dispose le notaire pour attester d’une « possession prolongée et utile » : témoignages, constats d’occupation, autorisation, factures, documents fiscaux au nom du requérant, etc…
En outre-mer, cet acte de notoriété est fréquemment établi pour prouver la propriété d’un immeuble.
Attention toutefois, il ne s’agit pas d’un acte de propriété mais uniquement d’un mode de preuve de la possession.
Le droit de propriété n’est effectivement acquis grâce à la prescription acquisitive que lorsque les conditions de l’article sont réunies : possession continue, paisible, publique, non équivoque, à titre de propriétaire et pendant une durée minimale de 30 ans.
Ainsi, en l’absence d’acte de propriété à proprement parlé, l’acte de notoriété qui décrit l’immeuble et reprend éventuellement des témoignages, laisse penser que les conditions de la prescription acquisitive sont réunies et, donc, que son détenteur est propriétaire de l’immeuble.
Dans ce contexte, pour éviter que l’acte de notoriété puisse être attaqué pendant 30 ans (durée de la prescription acquisitive), afin de sécuriser le système foncier en Guadeloupe, Martinique, à la Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte, la loi n°2017-256 du 28 février 2017 a prévu que les actes de notoriété dressés avant le 31 décembre 2027 à propos d’un terrain situé sur ces territoires ne pourrait être contesté que dans un délai de 5 ans à compter de la dernière publication de cet acte. Pour que cette prescription abrégée soit retenue, le décret du 28 décembre 2017 précise que l’acte de notoriété doit comporter :
- l’indication de la personne bénéficiaire,
- les éléments d’identification de l’immeuble,
- les témoignages et éléments apportant la preuve des actes matériels caractérisant une possession de l’immeuble concernant répondant aux conditions des article 2261 et 2272 du Code civil,
- la reproduction des dispositions du premier alinéa du texte.
Faits et procédure
En l’espèce, un acte de notoriété est reçu par un notaire en 2011 et publié au bureau des hypothèques au mois de juin 2011 sur un terrain.
La détentrice vend ensuite ce terrain.
Considérant être le propriétaire de ce terrain, au mois de mai 2019, un tiers assigne le vendeur et l’acquéreur en annulation de l’acte de notoriété et en revendication de l’immeuble.
Par arrêt du 24 février 2023, la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion juge la demande irrecevable, considérant que l’acte de notoriété comporte tous les éléments prévus par le décret précité et que l’action aurait donc dû être initiée dans les 5 ans à compter de la dernière publication de l’acte, soit avant le mois de juin 2016.
Le tiers, prétendu propriétaire du terrain, forme un pourvoi en cassation.
Apport de la Cour de cassation
Par arrêt du 24 novembre 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en revenant aux principes de l’application des lois dans le temps : puisque la loi du 28 février 2017 ne prévoit pas de date particulière de ses dispositions ni sa rétroactivité, elle ne s’applique pas aux actes de notoriété acquisitive publiés avant son entrée en vigueur.
L’arrêt de la Cour de cassation ne peut qu’être approuvé. La loi doit être appliquée strictement et, à défaut de dispositions en ce sens, sa rétroactivité ne peut pas être présumée, comme le prévoit l’article 2 du Code civil.
« La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. »
Le tiers qui se considérait véritable propriétaire du bien objet l’acte de notoriété contesté ne pouvait se voir opposer une règle qui n’existait pas encore au jour de la rédaction de l’acte notarié.
Si l’on comprend l’intérêt de protéger le système foncier dans les lieux concernés, le très court délai de contestation de l’acte de notoriété au bénéfice celui qui se prétend le véritable propriétaire d’un bien immobilier peut s’avérer risqué et appelle à l’attention.
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