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Procédure

L'action en exequatur ne se prescrit pas

Cass. civ. 1ère, 11 janv. 2023, n°21-21.168

Procédure et pratiques professionnelles

Enseignement de l'arrêt

Les règles de prescription de l’Etat d’origine sont susceptibles d’affecter le caractère exécutoire du jugement et, par conséquent, l’intérêt à agir du demandeur à l’exequatur et celles de l’Etat requis sont susceptibles d’affecter l’exécution forcée du jugement déclaré exécutoire. En revanche, l’action en exequatur elle-même n’est soumise à aucune prescription.

Rappel des faits

Le litige a pour objet une demande d’exequatur d’un acte suisse de défaut de biens en date du 14 novembre 2022, émanant de l’office des poursuites du district de Lausanne.  

En droit suisse, le créancier qui a participé à une saisie et qui n’a pas été désintéressé intégralement reçoit un acte de « défaut de biens » pour le montant impayé, cet acte valant reconnaissance de dette.  

En l’occurrence, cet acte a été obtenu à la diligence d’une créancière qui avait vainement tenté de recouvrer le paiement de sa créance ; une somme de 619.958,50 francs suisses lui restait due.  

Celle-ci assigne le débiteur en France afin d’obtenir l’exécution de cet acte de défaut de biens.  

Nous savons que dans les relations franco-suisses, les règles de compétence judiciaire et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale sont régies par la Convention de Lugano dont la version la plus récente date du 30 octobre 2007.  

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant accueillie la demande d’exéquatur, le débiteur se pourvoit en cassation en invoquant notamment la prescription, selon la loi française, de la créance constatée par l’acte de défaut de bien.

Apport de l’arrêt

La Cour de cassation précise que : « Si les règles de prescription de l’Etat d’origine sont susceptibles d’affecter le caractère exécutoire du jugement et, par conséquent, l’intérêt à agir du demandeur à l’exequatur et si celles de l’Etat requis sont susceptibles d’affecter l’exécution forcée du jugement déclaré exécutoire, en revanche, l’action en exequatur elle-même n’est soumise à aucune prescription ». 

Le caractère exécutoire du jugement à l’étranger

Il est certain qu’un jugement étranger ne peut être déclaré exécutoire en France que dans la mesure où il l’est également dans l’État où il a été prononcé.   

Le principe, énoncé par l’article 38 de la Convention de Lugano de 2007, est également prévu par l’article 39 du Règlement Bruxelles I bis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.  

Dans le cadre du régime de droit commun de l’exequatur, la Cour de cassation a déjà énoncé que le caractère exécutoire du jugement étranger doit être démontré pour solliciter l’exécution de la décision.  (civ.  1ère 3 octobre 2006, n°04-10.447).  Par conséquent, si le jugement étranger n’est pas ou plus exécutoire, le demandeur à l’action en exequatur n’a pas d’intérêt à agir et peut donc se voir opposer une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile.

L’exécution en France du jugement étranger

En revanche, au stade de l’exécution même en France du jugement étranger, la question d’une éventuelle prescription peut réapparaître, comme le retient l’arrêt du 11 janvier 2023 lorsqu’il pose que les règles de prescription « de l’État requis sont susceptibles d’affecter l’exécution forcée du jugement déclaré exécutoire ».

Ce principe semble être énoncé en ces termes pour la première fois dans le cadre de la convention de Lugano. Il constitue toutefois une simple illustration d’un principe plus général qui s’impose dans le cadre du règlement Bruxelles I bis et du droit commun de l’exequatur :

  • Dans le cadre du Règlement Bruxelles I Bis, l’article 41 indique que la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre requis :

« Sous réserve des dispositions de la présente section, la procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre requis. Une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans l’État membre requis est exécutée dans ce dernier dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans l’État membre requis. »

  • À propos de l’exequatur, la Cour de cassation a retenu que le litige né de l’exécution en France d’une décision étrangère déclarée exécutoire en France est soumis à la loi française quant à la prescription (Civ. 2e, 19 nov. 2009, n° 08-20.501, Civ. 1re, 19 mars 1991, n° 89-83.337).

L’absence de prescription de l’action en exequatur

L’arrêt du 11 janvier 2023 énonce également, toujours à propos de la convention de Lugano, que « l’action en exequatur elle-même n’est soumise à aucune prescription ». Il semble que ce principe soit énoncé en ces termes pour la première fois par la Cour de cassation, étant précisé que la cour d’appel de Paris a anticipé cette solution dans une décision récente dans le cadre du droit commun de l’exequatur (Paris, ch. 3-5, 8 nov. 2022, n° 22/11395).

Cette solution s’impose y compris en application du règlement Bruxelles I bis.

De manière générale, il faut noter qu’il est rare que le demandeur à une action ne puisse pas se voir opposer un délai pour agir. 

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