Jurisprudences
Indivision – Absence de licitation judiciaire des biens indivis commodément partageables
Cass. civ. 1ere, 5 fev. 2025, RG n°21-15.932
Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières
Enseignement de l'arrêt
Dans le cadre d’une action en partage judiciaire d’une indivision (succession ou divorce), les juges sont tenus de vérifier, en l’absence d’accord des indivisaires sur les modalités de partage, si les biens sont commodément partageables avant d’en ordonner la licitation.
Rappel du contexte légal
L’indivision s’entend de « la coexistence de droits de même nature sur un même bien » (Cass. 3ème civ., 7 juillet 2016 n°15-10.278).
L’indivision peut être le fruit de différentes hypothèses bien connues du droit de la famille et des successions : acquisition par un couple marié ou par des concubins ou partenaires pacsés ; succession ; donation…
L’indivision immobilière entraîne, à l’égard des indivisaires, un certain nombre de droits et d’obligations.
Un indivisaire peut par exemple donner en garantie sa quote-part indivise. C’est cette possibilité et les conséquences qu’elle entraîne qui sont envisagés dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 février 2025.
La sortie de l’indivision
À titre préalable, il est nécessaire de rappeler que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention » (article 815 du Code civil).
Ainsi, chaque indivisaire dispose du droit de provoquer le partage, amiablement ou judiciairement. Il convient cependant d’abord de faire la preuve d’un échec de diligences amiables ; à charge pour l’avocat spécialisé en droit de l’indivision de juger que le volume de ces diligences est suffisant pour entamer une procédure.
Le partage judiciaire est régi par les dispositions des articles 1359 et suivants du Code de procédure civile.
En principe, le juge ordonne le partage des biens indivis et peut, en cas de difficultés, désigner un notaire commis pour procéder aux opérations de partage.
Le partage des biens se fait par attribution à chacun des indivisaires, et en l’absence de consensus, par tirage au sort des lots constitués (articles 1361, 1362 et 1363 du Code de procédure civile).
Lorsque le partage n’est pas possible (impossibilité de partager les biens, ou de composer des lots), le Tribunal ordonne la vente par licitation.
Article 1371 du Code de procédure civile :
« Le tribunal ordonne le partage, s’il peut avoir lieu, ou la vente par licitation si les conditions prévues à l’article 1378 sont réunies.
Lorsque le partage est ordonné, le tribunal peut désigner un notaire chargé de dresser l’acte constatant le partage. »
« Si tous les indivisaires sont capables et présents ou représentés, ils peuvent décider à l’unanimité que l’adjudication se déroulera entre eux. À défaut, les tiers à l’indivision y sont toujours admis. »
L’article 1377 du Code de procédure civile rappelle toutefois que la licitation n’est ordonnée que lorsque les biens « ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». La primauté revient ainsi au partage ou à l’attribution.
Cette licitation peut avoir lieu entre les héritiers uniquement lorsque les conditions de l’article 1378 du Code de procédure civile sont réunies, à savoir :
- les indivisaires sont capables ;
- les indivisaires sont présents ou représentés ;
- et ils ont décidés à l’unanimité que l’adjudication se déroulera entre eux.
A défaut, les tiers sont admis.
L’action oblique des créanciers et la sortie de l’indivision
Le régime général des obligations prévoit que :
« Lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. » (article 1341-1 du Code civil).
Il s’agit de l’action oblique au bénéfice des créanciers.
Appliquée au régime de l’indivision, elle suppose que les créanciers d’un ou plusieurs indivisaires, détenant des droits et/ou garanties sur cette indivision, puissent en provoquer le partage.
En effet la jurisprudence a autorisé de longue date que « l’interdiction faites aux créanciers de saisir la part indivise de leur débiteur ne restreint pas leur droit de prendre des sûretés, notamment une inscription provisoire d’hypothèque judiciaire » (Cass. 2ème civ., 17 février 1983, n°81-15.566).
L’indivisaire a également le droit spontané de constituer une hypothèque sur sa quote-part indivise (Cass. 1ère civ., 20 octobre 1982, n°81-15.560).
S’agissant de la première hypothèse, l’article 815-17 alinéas 2 et 3 du Code civil prévoit que :
« Les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles.
Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui. Les coïndivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis. »
Néanmoins, la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 17 mai 1982, n°81-12.312) pose deux conditions :
- leur(s) débiteur(s) se refuse à exercer l’action en partage ;
- l’intérêt des créanciers est compromis.
Si ces conditions sont remplies, l’action en partage peut être engagée par les créanciers.
Apport de l’arrêt
Rappel des faits
En l’espèce, un jugement du 11 février 2012 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris condamne un homme et une société, en leur qualité de caution, au paiement de diverses sommes à l’égard d’une banque créancière.
En application de cette décision, l’établissement créancier inscrit diverses hypothèques judiciaires sur les biens de la caution personne physique, qu’il détient en indivision avec sa sœur à la suite du décès de leur mère.
L’établissement créancier assigne ensuite l’indivision en compte, liquidation et partage.
Par jugement du 19 septembre 2018, la première chambre civile du Tribunal de Grande Instance de Saint-Étienne ordonne l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision formée entre le débiteur du demandeur et sa sœur, portant sur les biens suivants :
- quatre lots dépendant d’une copropriété,
- un terrain avec maison et dépendances,
- un ensemble de terrains avec constructions anciennes.
Dans son jugement le Tribunal de Grande Instance ordonne également la licitation des biens susvisés.
L’indivisaire débiteur interjette appel de cette décision.
Dans son arrêt rendu le 23 février 2021, la première chambre civile de la Cour d’appel de Lyon confirme l’ensemble des dispositions du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Saint-Étienne.
L’indivisaire débiteur forme alors un pourvoi en cassation.
Position de la Cour de cassation
Dans son arrêt du 5 février 2025, la Cour de cassation ne statue que sur le troisième moyen présenté par l’indivisaire débiteur. Le demandeur fait grief à la Cour d’appel d’ordonner la licitation des biens indivis alors que celle-ci « ne doit être ordonnée que s’ils ne peuvent être facilement partagés ou attribués ; qu’en se bornant à relever pour ordonner la licitation des biens immobiliers indivis, que les indivisaires n’étaient pas d’accord sur la manière de procéder au partage de la succession, sans constater que ces biens n’étaient pas facilement partageable ».
Autrement dit, le demandeur reproche aux juges du fond de ne pas avoir rechercher, après avoir constatés l’absence d’accord des indivisaires sur les modalités du partage, si les biens n’étaient pas facilement partageables plutôt que d’en ordonner la licitation.
Au visa de l’article 1377 du Code de procédure civile, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt rendu par la Cour d’appel.
Elle rappelle que les juges du fond doivent rechercher si les biens indivis étaient ou non commodément partages en nature, et à défaut en ordonner la licitation.
Par conséquent, dans le cadre d’une action en partage judiciaire d’une indivision, qu’elle soit exercée par le créancier de l’indivisaire ou l’indivisaire lui-même, les juges sont tenus de vérifier, en l’absence d’accord des indivisaires sur les modalités de partage, si les biens sont commodément partageables et à défaut seulement, en ordonner la licitation.
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