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Droit de la famille

Exequatur d’un jugement étranger et notion de fraude

Cass. civ. 1ere, 7 mai 2025, n°23-18.558

Droit international privé de la famille, Divorce – Séparation de corps

Enseignement de l'arrêt

La Cour de cassation estime que la dissimulation volontaire des ressources d’un époux constitue une fraude justifiant le refus d’exequatur de la décision prononcée à l’étranger sur ces bases.

Procédure d’exequatur

La procédure d’exequatur permet de rendre exécutoire en France une décision judiciaire ou un acte public étranger, c’est-à-dire de lui conférer la même force qu’un jugement français. Cette procédure est indispensable pour que le jugement étranger puisse produire des effets juridiques sur le territoire français et permettre l’exécution forcée de la décision.

Il s’agit d’une procédure contentieuse dont la compétence territoriale est fixée selon les règles de droit commun. Si le défendeur n’a ni domicile ni résidence connus en France, le tribunal peut être celui du domicile du demandeur ou du lieu d’exécution.  Pour accorder l’exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions cumulatives sont remplies (Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 20 février 2007 / n° 05-14.08), (1ère chambre civile, 29 janvier 2014 / n° 12-28.953).

La compétence du juge étranger pour prononcer la décision à exéquaturer

C’est à dire : 

  • s’assurer que le juge français ne disposait pas lui-même d’une compétence exclusive pour trancher le litige ayant donné lieu au jugement faisant l’objet de la demande d’exequatur ;
  • vérifier que le litige se rattache d’une façon ou d’une autre au pays dont le juge a été saisi ;
  • constater l’absence de fraude du demandeur ayant saisi la juridiction étrangère pour obtenir une décision.

La conformité du jugement étranger à l’ordre public international 

Le juge français saisi de la demande d’exequatur doit vérifier la conformité de la décision à l’ordre public international, lequel peut se définir comme les principes fondamentaux de l’ordre juridique, qui peuvent résulter du droit français mais aussi des textes de l’Union européenne, internationaux ou européens liant la France, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (1ère chambre civile, 15 janv. 2020, n° 18-24.261).

La Cour de cassation distingue l’ordre public international de fond et l’ordre public international de procédure. Le premier renvoie aux droits substantiels tels que l’égalité entre les individus. Quant au second, il a trait aux exigences processuelles fondamentales, notamment le respect du droit au procès équitable.

L’absence de fraude à la loi

Le demandeur ne doit pas solliciter le juge français à la suite d’une procédure viciée par une intention frauduleuse. Celle-ci peut notamment consister en la volonté de contourner les lois françaises en sollicitant un juge étranger pour, ensuite, demander l’exequatur d’une décision qui n’aurait manifestement pas pu être rendue en application de la législation française.

Faits de l’espèce

Des époux se marient en 1998 en Allemagne. 

Le 26 juin 2014, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Perpignan prononce le divorce aux torts partagés des époux et condamne le mari à verser une prestation compensatoire.  

Le 6 octobre 2016, le Tribunal d’instance de Schöneberg (Allemagne) condamne également l’époux à une pension de retraite compensatoire relevant du droit allemand.  

L’épouse saisit les juridictions françaises afin d’obtenir l’exequatur de cette décision, ce à quoi l’époux s’oppose en arguant d’une fraude.  

Dans le cadre de la procédure allemande, l’épouse avait soutenu que le juge aux affaires familiales français n’avait pas tenu compte des droits à une pension vieillesse du mari pour déterminer le montant de la prestation compensatoire

Or, l’époux avait fait connaitre les sommes prévisibles qu’il percevrait au titre de sa retraite allemande de sorte que les juges français du divorce avaient bien pris en compte ces éléments dans le calcul de la prestation compensatoire, quand bien même ceux-ci ne sont pas nommés individuellement.  

L’époux soutient ainsi que son épouse a dissimulé dans le cadre de l’instance allemande, l’obtention d’une prestation compensatoire ayant déjà tenu compte de la disparité des droits respectifs des époux à pension de vieillesse, induisant le juge allemand en erreur.  

La Cour d’appel de Montpellier rejette la demande d’exequatur, estimant que la dissimulation frauduleuse de l’épouse lui a permis de bénéficier d’une double compensation.

L’épouse se pourvoit en cassation soutenant qu’il ne s’agit pas d’une fraude à la loi car elle n’a pas eu la volonté de contourner la loi française. Elle affirme en outre qu’il n’est pas établi que le juge allemand aurait rendu une décision différente s’il avait eu connaissance que les pensions de retraite avaient été pris en compte pour le calcul de la prestation compensatoire.   

Elle affirme enfin qu’il n’y a aucune preuve de manœuvres délibérées, car aucun élément ne montre que l’épouse savait, au moment du divorce, qu’elle pouvait demander une pension de retraite compensatoire ni qu’elle avait l’intention de le faire quand la prestation compensatoire a été fixée.

La question posée à la Cour de cassation est donc la suivante : une décision étrangère peut-elle se voir refuser l’exequatur en France pour cause de fraude, même si les faits incriminés ne relèvent pas d’une fraude à la loi au sens strict ?  

La Cour de Cassation estime que l’épouse a bel et bien induit en erreur le juge allemand, lui permettant de bénéficier d’une double compensation en méconnaissance de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement français du divorce.  

Selon les juges, il n’est pas nécessaire d’établir une modification volontaire du rapport de droit dans le seul but de se soustraire à la loi normalement applicable. Dès lors qu’une dissimulation frauduleuse est constatée devant le juge étranger la Cour d’appel a valablement pu retenir que le jugement a été acquis en fraude et ne pouvait être revêtu de l’exequatur.

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