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Droit des successions

Enregistrement des testaments établis à l’étranger et certificat successoral européen

Cass. civ. 1ère, 13 avr. 2022, n°20-23.530

Liquidation et partage de successions, Patrimoine - Fiscalité, Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

  • L’existence d’un certificat successoral européen n’exonère pas les héritiers de l’accomplissement de certaines formalités administratives pour en obtenir l’exécution. 
  • Le certificat successoral européen n’empêche pas l’accomplissement des formalités de nature fiscale prévues aux articles 1000 du Code civil et 655 du Code général des impôts et prévoyant l’enregistrement des testaments réalisés à l’étranger. 

Le contexte légal du certificat successoral européen

Contexte du certificat successoral européen

Le principe en matière successorale est que le règlement européen n° 650/2012 du 4 juillet 2012 trouve à s’appliquer dès lors que la situation présente un élément d’extranéité, c’est-à-dire que la situation n’est pas cantonnée au territoire français mais concerne également un autre Etat. Ayant pour finalité première la simplification et l’accélération du traitement des successions européennes, le règlement européen a créé un nouvel outil : le certificat successoral européen (Chapitre VI du règlement dit « Succession »). Son régime juridique vise à garantir sa reconnaissance et son efficacité dans chaque État membre de l’UE notamment par une application uniforme.

Objet du certificat successoral européen

Malgré son caractère facultatif, le certificat successoral européen vise à régler rapidement, simplement et efficacement une succession qui s’opère dans l’union européenne. 

Pour les héritiers, légataires, exécuteurs testamentaires et administrateurs d’une succession, le certificat successoral européen permet de prouver leur qualité et d’exercer leurs droits ou pouvoirs dans la succession dans l’ensemble des Etats membres de l’Union Européenne. Sa principale fonction est donc d’être un mode de preuve de la qualité d’héritier qui s’ajoute aux autres modes de preuves de cette qualité dans les Etats membres (certificats nationaux).

A l’égard des autorités des autres Etats membres de l’Union Européenne, ce certificat permet de légitimer les héritiers de la succession instaurant, à leur égard, une présomption d’exactitude. Ainsi, l’héritier qui sera désigné en son sein est présumé bénéficier de cette qualité et des droits et pouvoirs s’y afférant. Cependant, la preuve contraire pourra être rapportée. Il en est de même de son contenu, c’est-à-dire des faits dont il fait état qui, malgré une présomption d’exactitude, peuvent être renversés en cas de preuves contraires. 

En raison du caractère probant du certificat successoral européen, il offre également une protection aux tiers de bonne foi. Ainsi, le tiers à la succession qui s’est fié aux informations figurant dans le certificat est réputé avoir conclu avec une personne dotée d’un pouvoir valable ou encore en raison d’un contenu valide. 

Le principal atout du certificat successoral européen est son efficience indéniable puisqu’il produit ses effets dans tous les Etats membres de l’Union Européenne sans qu’une procédure spéciale ne soit requise comme il serait le cas pour un certificat national classique. Plus spécialement, s’il a été délivré par une juridiction, il est reconnu comme décision de justice dans chaque Etat membre où il est présenté et s’il est établi par un notaire, il produit dans l’Etat membre où il est présenté les mêmes effets que dans l’Etat membre où il a été établi.

Apport de l’arrêt de la Première chambre civile du 13 avril 2022, n°20-23.530

Le contexte

Une personne décède (le 24 septembre 2015) laissant un testament notarié dressé en Allemagne (le 9 octobre 1996) et désignant comme héritier son époux. 

Le service notarial des affaires successorales d’Allemagne établit au profit de l’époux héritier un certificat successoral européen sur le fondement de l’article 67 du règlement des successions n° 650/2012 du 4 juillet 2012. 

Par la suite, l’époux héritier adresse à la banque une demande de règlement de la totalité des liquidités de la succession accompagnée d’une copie du certificat successoral européen. En réponse, la banque exige de l’époux la preuve de l’enregistrement du testament auprès de l’administration fiscale française, pour délivrer les fonds (article 1000 du Code civil). 

« Les testaments faits en pays étranger ne pourront être exécutés sur les biens situés en France qu’après avoir été enregistrés au bureau du domicile du testateur, s’il en a conservé un, sinon au bureau de son dernier domicile connu en France ; et, dans le cas où le testament contiendrait des dispositions d’immeubles qui y seraient situés, il devra être, en outre, enregistré au bureau de la situation de ces immeubles, sans qu’il puisse être exigé un double droit. »

Suite au refus opposé de la banque, l’époux héritier assigne l’établissement bancaire en libération des fonds et paiement de dommages et intérêts.

Réaffirmation de la valeur probante du CSE

La Première chambre civile juge dans cet arrêt que la cour d’appel a justement retenu que le certificat successoral européen a une efficacité probatoire mais ne constitue pas un titre exécutoire (acte juridique permettant l’exécution forcée de son contenu, exemple : décision de justice) suivant le considérant 71 du règlement européen dit « Succession ». 

La Cour de cassation considère que le considérant 10 de ce règlement européen exclut de son domaine les questions fiscales et administratives : « Il appartient dès lors au droit national de déterminer, par exemple, comment sont calculés et payés les impôts et autres taxes, qu’il s’agisse d’impôts dus par la personne décédée au moment de son décès ou de tout type d’impôt lié à la succession dont doivent s’acquitter la succession ou les bénéficiaires. Il appartient également au droit national de déterminer si le transfert d’un bien successoral aux bénéficiaires en vertu du présent règlement ou l’inscription d’un bien successoral dans un registre peut, ou non, faire l’objet de paiement d’impôts ».

La cour d’appel en a exactement déduit que l’exigence d’enregistrement de tout testament établi à l’étranger ne porte pas atteinte au principe d’application directe du règlement européen « Succession » ni ne le prive de son effet utile. Elle considère que l’exigence d’enregistrement du testament ne remet nullement en cause la force probatoire du certificat successoral européen et n’est pas une condition d’exécution des testaments prohibée par le règlement.

L’exigence d’accomplissement des formalités de nature fiscales

Ainsi, par cet arrêt la première chambre civile de la Cour de cassation réaffirme la nécessité de procéder aux formalités de nature fiscale sans distinguer entre les Etats membres de l’UE et ceux tiers à l’UE ; le certificat successoral européen n’exonérant ainsi pas de l’accomplissement de ces formalités. 

En conclusion, la Cour de cassation juge que la banque n’a commis aucune erreur en s’assurant que, en raison des dispositions légales françaises, l’héritier s’est acquitté de formalités d’enregistrement des testaments faits à l’étranger prévues aux articles 1000 du Code civil et 655 du Code général des impôts.

« Les testaments faits en pays étrangers ne peuvent être exécutés sur les biens situés en France, qu’après avoir été enregistrés au service des impôts du domicile du testateur, s’il en a conservé un, sinon à celui de son dernier domicile connu en France ; et dans le cas où le testament contient des dispositions d’immeubles qui y sont situés, il doit être, en outre, enregistré au service des impôts de la situation de ces immeubles, sans que les pénalités prévues aux articles 1727 et suivants soient applicables ».

Réelle efficacité du certificat successoral européen ?

En jugeant que le certificat successoral européen n’exclut pas l’exigence des formalités fiscales nationales, on peut s’interroger sur l’utilité de ce certificat. 

Cette décision peut être mise en parallèle des formalités exigées lorsque le certificat successoral européen concerne des immeubles. Rappelons que le règlement exclut à l’article premier paragraphe 2 point « l » « toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription, ainsi que les effets de l’inscription ou de l’absence d’inscription de ces droits dans un registre » de son champ d’application. Sur ce point, dans une question pendante devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, les conclusions de l’avocat général tendent à admettre que le certificat successoral européen est un titre suffisant pour l’inscription dans le registre foncier d’un Etat membre, ce qui, de facto, anéantirait la règle posée à l’article 710-1 alinéa premier du Code civil selon laquelle : « Tout acte ou droit doit, pour donner lieu aux formalités de publicité foncière, résulter d’un acte reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France, d’une décision juridictionnelle ou d’un acte authentique émanant d’une autorité administrative ».

« Tout acte ou droit doit, pour donner lieu aux formalités de publicité foncière, résulter d’un acte reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France, d’une décision juridictionnelle ou d’un acte authentique émanant d’une autorité administrative.

Le dépôt au rang des minutes d’un notaire d’un acte sous seing privé, contresigné ou non, même avec reconnaissance d’écriture et de signature, ne peut donner lieu aux formalités de publicité foncière. Toutefois, même lorsqu’ils ne sont pas dressés en la forme authentique, les procès-verbaux des délibérations des assemblées générales préalables ou consécutives à l’apport de biens ou droits immobiliers à une société ou par une société ainsi que les procès-verbaux d’abornement peuvent être publiés au bureau des hypothèques à la condition d’être annexés à un acte qui en constate le dépôt au rang des minutes d’un notaire.

Le premier alinéa n’est pas applicable aux formalités de publicité foncière des assignations en justice, des commandements valant saisie, des différents actes de procédure qui s’y rattachent et des jugements d’adjudication, des documents portant limitation administrative au droit de propriété ou portant servitude administrative, des procès-verbaux établis par le service du cadastre, des documents d’arpentage établis par un géomètre et des modifications provenant de décisions administratives ou d’événements naturels ».

Pour les auteurs, un certificat successoral européen établi hors de France et à valeur authentique comportant les indications exigées par le droit français pour la publicité foncière pourrait, à lui seul , permettre directement l’exécution des formalités de publicité foncière de sorte que le certificat successoral européen n’écarte pas par principe la réalisation des formalités de publicité foncière. Il doit spécifiquement et de manière supplémentaire satisfaire aux conditions exigées par les règles foncières françaises en respectant notamment les règles prévues pour les actes étrangers aux articles 509-2 ou 509-3 du Code de procédure civile selon lesquelles :

« Sont présentées au directeur de greffe du tribunal judiciaire les requêtes aux fins de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire, sur le territoire de la République, des titres exécutoires étrangers en application : 

– des articles 45 à 58 et 61 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ;

– des articles 44 à 57 et 60 du règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux ; 

– des articles 44 à 57 et 60 du règlement (UE) n° 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés ;

– de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, faite à Lugano le 30 octobre 2007.

Sont présentées au président du tribunal judiciaire ou à son délégué les requêtes aux fins de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire, sur le territoire de la République, des titres exécutoires étrangers en application :

– du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 ;

-des articles 26 et 27 du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.

Les requêtes présentées devant le juge sont dispensées du ministère d’avocat. » (Article 509-2 du code de procédure civile) et « Par dérogation aux articles 509-1 et 509-2, sont présentées au président de la chambre des notaires ou, en cas d’absence ou d’empêchement, à son suppléant désigné parmi les membres de la chambre les requêtes aux fins de certification, de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire, sur le territoire de la République, des actes authentiques notariés étrangers en application :

– de l’article 60 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ;

– de l’article 59 du règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux ;

– de l’article 59 du règlement (UE) n° 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés ;

– du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

– du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ;

– de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, faite à Lugano le 30 octobre 2007.

Pour l’application du règlement précité du 12 décembre 2012, ainsi que de la convention précitée du 30 octobre 2007, l’élection de domicile est faite dans le ressort de la cour d’appel où siège la chambre des notaires.

Par dérogation à l’article 509-1 sont présentées au notaire ou à la personne morale titulaire de l’office notarial conservant la minute de l’acte reçu les requêtes aux fins de certification des actes authentiques notariés en vue de leur acceptation et de leur exécution à l’étranger en application :

– du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées ;

– des articles 59 et 60 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ;

– des articles 58 et 59 du règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux ;

– des articles 58 et 59 du règlement (UE) n° 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés ;

Par dérogation à l’article 509-1, sont présentées au notaire ou à la personne morale titulaire de l’office notarial ayant reçu en dépôt la convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel prévue à l’article 229-1 du code civil les requêtes aux fins de certification du titre exécutoire en vue de sa reconnaissance et de son exécution à l’étranger en application de l’article 39 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000. ».

Ainsi, même s’il ne permet pas aux ayants droit de faire l’économie de l’accomplissement des formalités de nature fiscale pour donner effet à la succession qu’il vise, le certificat successoral européen ne doit pas être écarté, car sa valeur probante produit ses pleins effets en évitant notamment d’avoir à rechercher des actes étrangers.