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Droit des successions

Conséquence de la renonciation à succession sur le calcul des droits de mutation à titre gratuit

CA Paris, 6 janv. 2025, n°22-12128

Patrimoine - Fiscalité, Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Le mécanisme de la représentation successorale ne permet pas aux héritiers représentés d’appliquer un tarif fiscal vierge, indépendamment des donations reçues antérieurement par leur auteur renonçant.

Représentation successorale et droits de succession

Principes généraux de la représentation successorale

La représentation successorale est définie à l’article 751 du Code civil comme une fiction juridique qui permet aux descendants d’un héritier prédécédé ou renonçant de venir à la succession « aux droits » de ce dernier.

Elle est autorisée en ligne directe et collatérale, pour les prédécédés et, depuis la réforme du 23 juin 2006 (entrée en vigueur le 1er janvier 2007), également pour les renonçants (article 754 du Code civil).

« La représentation est une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté. »

« On représente les prédécédés, on ne représente les renonçants que dans les successions dévolues en ligne directe ou collatérale.

Les enfants du renonçant conçus avant l’ouverture de la succession dont le renonçant a été exclu rapportent à la succession de ce dernier les biens dont ils ont hérité en son lieu et place, s’ils viennent en concours avec d’autres enfants conçus après l’ouverture de la succession. Le rapport se fait selon les dispositions énoncées à la section 2 du chapitre VIII du présent titre.

Sauf volonté contraire du disposant, en cas de représentation d’un renonçant, les donations faites à ce dernier s’imputent, le cas échéant, sur la part de réserve qui aurait dû lui revenir s’il n’avait pas renoncé.

On peut représenter celui à la succession duquel on a renoncé ».

« L’héritier qui renonce est censé n’avoir jamais été héritier.

Sous réserve des dispositions de l’article 845, la part du renonçant échoit à ses représentants ; à défaut, elle accroît à ses cohéritiers ; s’il est seul, elle est dévolue au degré subséquent. »

Conséquences fiscales liées à la renonciation

Que ce soit pour les successions ou les donations, le Code général des impôts encadre l’imposition des transmissions à titre gratuit selon deux éléments clés :

  • L’abattement fiscal, qui réduit la base imposable en fonction du lien de parenté. En cas de représentation, l’abattement du renonçant est partagé entre ses représentants.
  • Le tarif progressif des droits, qui applique à ladite base imposable des tranches d’imposition croissantes selon un barème défini par le lien de parenté. Plus la part nette recueillie est importante, plus le taux est élevé.

Pour calculer les abattements et le tarif progressif applicable, l’article 784 du code général des impôts impose de rapporter les donations consenties dans les quinze dernières années par le défunt.

« Les parties sont tenues de faire connaître, dans tout acte constatant une transmission entre vifs à titre gratuit et dans toute déclaration de succession, s’il existe ou non des donations antérieures consenties à un titre et sous une forme quelconque par le donateur ou le défunt aux donataires, héritiers ou légataires et, dans l’affirmative, le montant de ces donations ainsi que, le cas échéant, les noms, qualités et résidences des officiers ministériels qui ont reçu les actes de donation, et la date de l’enregistrement de ces actes.

La perception est effectuée en ajoutant à la valeur des biens compris dans la donation ou la déclaration de succession celle des biens qui ont fait l’objet de donations antérieures, à l’exception de celles passées depuis plus de quinze ans, et, lorsqu’il y a lieu à application d’un tarif progressif, en considérant ceux de ces biens dont la transmission n’a pas encore été assujettie au droit de mutation à titre gratuit comme inclus dans les tranches les plus élevées de l’actif imposable.

Pour le calcul des abattements et réductions édictés par les articles 779,790 B, 790 D, 790 E et 790 F il est tenu compte des abattements et des réductions effectués sur les donations antérieures visées au deuxième alinéa consenties par la même personne. »

La question en débat concerne le tarif applicable aux représentants d’un héritier renonçant : l’héritier venant par représentation de son propre parent peut-il bénéficier d’un tarif personnel « vierge » ou doit il subir les effets des donations antérieures consenties au renonçant ?

Analyse de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 6 janvier 2025

Les faits

Une femme décède en 2016 en laissant pour lui succéder ses deux enfants.  

Sa fille, ayant bénéficié de plusieurs donations entre vifs de la part de sa mère — lesquelles avaient consommé son abattement fiscal et épuisé les tranches basses du tarif — renonce à la succession. Ses trois enfants viennent alors par représentation.

Dans la déclaration de succession déposée en 2017, les petits-enfants tiennent compte de l’abattement résiduel dont bénéficie leur mère pour la détermination de la part successorale taxable.  

Cependant, il appliquent le barème progressif à partir des taux les plus faibles, sans tenir compte des donations reçues par leur mère ; créant ainsi une dissociation dans les effets du mécanisme de la représentation successorale entre abattement et tarifs fiscaux.

L’administration fiscale conteste cette méthode, procède à une proposition de rectification, puis à une mise en recouvrement. Les héritiers, après un recours hiérarchique infructueux, saisissent le tribunal judiciaire de Paris, qui les déboute. Ils interjettent alors appel.

Arguments des parties

Arguments des héritiers contestant le redressement fiscal

Le législateur a expressément souhaité que les représentants se partagent l’abattement du représenté mais que, pour le tarif, les représentants soient taxés individuellement avec leur propre barème fiscal, en fonction du lien de parenté entre eux et le défunt.

S’agissant du rappel fiscal des donations antérieures, il ressort -selon les héritiers- de la doctrine administrative que : 

  • l’abattement applicable au représentant doit tenir compte de celui que le représenté a déjà utilisé dans le cadre d’une donation reçue dans les 15 dernières années ;
  • s’agissant du tarif, la doctrine n’apporte aucune précision, puisque l’article 777 du code général des impôts, contrairement à l’article 779 de ce code, ne prévoit pas de représentation pour le tarif applicable en ligne directe ;

En d’autres termes, les petits-enfants bénéficient de leur propre tarif, en fonction de leur lien de parenté avec le défunt, sans tenir compte des donations consenties à leur auteur ; chaque petit-enfant bénéficie dont d’un tarif personnel vierge, à moins qu’il n’ait lui-même déjà bénéficié d’une donation de la part de ce grand-parent, depuis moins de 15 ans.

En outre selon les appelants, vouloir appliquer les effets fiscaux du représenté reviendrait à faire revivre l’ancien article 785 Code général des impôts, abrogé depuis 2006.

Cet article imposait aux représentants une charge fiscale équivalente à celle du renonçant, même en cas de renonciation. Ce texte, jugé incompatible avec l’article 805 du Code civil, a été abrogé par la loi du 30 décembre 2006, afin d’éviter un cumul artificiel des charges fiscales.

Arguments de l’administration fiscale

Elle soutient que le mécanisme de la représentation implique que les représentants se placent intégralement dans les droits du représenté, tant pour l’abattement que pour le tarif.

Une telle interprétation n’a pas pour conséquence de faire revivre l’article 785, mais d’empêcher le renonçant de transmettre plus de droits qu’il n’en a.

Solution retenue par la Cour d’appel

L’article 777 du Code général des impôts, qui établit le barème progressif applicable aux droits de succession, prévoit que les taux sont déterminés en fonction de la part nette revenant à chaque ayant droit. Toutefois, le texte ne contient aucune indication spécifique quant aux effets de la représentation successorale dans les successions en ligne directe, notamment lorsqu’un héritier renonce.

L’argumentation de la Cour s’effectue alors par analogie avec la situation des héritiers en ligne collatérale.

En effet, l’article 777 précise explicitement, pour les successions en ligne collatérale, que le taux applicable aux transmissions entre frères et sœurs s’applique indifféremment que les bénéficiaires soient vivants ou représentés.

Il résulte tant du texte que des travaux préparatoires de la loi que dans ces situations, le tarif applicable n’est pas personnel au représentant, mais est bien celui du représenté, au même titre que l’abattement.

Contrairement à ce que soutenaient les appelants, l’absence de disposition similaire en ligne directe, ne traduit pas une volonté du législateur de traiter différemment ces successions

  • Cette logique de cohérence conduit à considérer que le représentant doit être taxé selon le tarif applicable à son auteur renonçant, et que les donations reçues par ce dernier sont à prendre en compte, conformément à l’article 784 du Code général des impôts, même si le représentant n’a pas lui-même bénéficié de donation.

Appliquer le tarif comme si la part transmise au représenté s’était simplement « divisée » entre les représentants, comme l’a fait initialement l’administration, reviendrait à méconnaître la lettre de l’article 777 et à réintroduire indirectement les effets de l’article 785, pourtant abrogé.

  • C’est donc à juste titre que l’administration fiscale, dans sa décision de dégrèvement du 6 janvier 2021, a modifié son approche en appliquant à chacun des représentants le barème progressif à partir des tranches encore disponibles, après déduction des tranches consommées par les donations faites au représenté.

Une telle lecture respecte à la fois l’abrogation de l’article 785 Code général des impôts et le principe civil posé par l’article 805 du Code civil, selon lequel l’héritier renonçant est censé ne jamais avoir été héritier. Cela n’empêche toutefois pas de prendre en compte les libéralités antérieures dont ce renonçant a pu bénéficier en qualité de donataire du vivant du défunt.

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