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Droit des successions

Assurance-vie : notion de défaut de consentement et nullité de la modification de la clause bénéficiaire

Cass. civ. 1ère, 5 avr. 2023, n°21-12.875

Anticipations de successions, Patrimoine - Fiscalité

Enseignement de l'arrêt

Lorsque la nullité d’une modification de la clause bénéficiaire est invoquée sur le fondement du défaut de consentement, les juges du fond doivent rechercher au-delà de la preuve de l’insanité d’esprit dans l’acte lui-même, s’il ne résultait pas de l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants, que le souscripteur n’avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque, sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires.

Rappel

Le contrat d’assurance-vie

L’assurance vie est un contrat par lequel l’assureur s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une rente ou un capital à l’assuré ou à ses bénéficiaires.

La clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie permet de déterminer à qui, en cas de décès de l’assuré, le capital ou la rente seront versés. Le bénéficiaire peut être une personne physique ou morale. 

Au décès du souscripteur, le bénéficiaire est libre de disposer du capital comme il l’entend. 

La modification de la clause bénéficiaire n’est soumise à aucun formalisme particulier, le souscripteur peut modifier selon ses souhaits, le bénéficiaire de son contrat, jusqu’à son décès. 

En outre, la jurisprudence a précisé que la validité de la modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie n’était pas soumise à sa connaissance par l’assureur lorsqu’elle est réalisée par voie testamentaire (Cass 2ème civ 10 mars 2022). 

Cette modification peut également intervenir par le biais d’avenants. Il s’agit d’un document rédigé en complément à un contrat d’assurance lorsque des modifications y sont apportées. Ces avenants doivent cependant être portées à la connaissance de la compagnie d’assurance-vie avant le décès dans ce cas.

En savoir plus sur la modification du bénéficiaire d'une assurance-vie par avenant

Fondements juridiques

Dans cet arrêt, une action en nullité est intentée afin d’obtenir la nullité d’avenants modifiant les bénéficiaires d’une assurance-vie

Sur le fondement de l’article L132-8 du code des assurances, l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque.

«  Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.

Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis.

Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :

-les enfants nés ou à naître du contractant, de l’assuré ou de toute autre personne désignée ;

-les héritiers ou ayants droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé.

L’assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l’exigibilité.

Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.

En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.

Lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit. »

En l’occurrence, la requérante s’appuie sur l’absence de consentement et plus précisément sur l’insanité d’esprit du souscripteur de l’assurance-vie au moment de la rédaction des avenants sur le fondement des articles 414-1 et 414-2 du code civil.

Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

« De son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé.

Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :

1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;

2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;

3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.

L’action en nullité s’éteint par le délai de cinq ans prévu à l’article 2224. »

Analyse de l’arrêt

Les faits de l’espèce

Un homme veuf et sans enfant souscrit deux contrats d’assurance vie dont les bénéficiaires sont sa nièce, et subsidiairement sa fille. Le 27 octobre 2012 le souscripteur des assurances vie appose sa signature sur deux avenants rédigés par son assistante de vie, et évince les bénéficiaires initiaux de l’assurance-vie

Le souscripteur décède le 23 janvier 2013, les avenants sont adressés à l’assureur et celui-ci verse les fonds aux nouvelles bénéficiaires. 

Une ancienne bénéficiaire engage une action en nullité des avenants et en condamnation des nouvelles bénéficiaires solidairement avec l’assureur, au remboursement des sommes correspondantes, sur le fondement de l’article 414-2 du Code civil. Elle décède le 31 mai 2020 mais l’action est reprise par son ayant droit. 

Le 24 novembre 2020, la Cour d’appel de Paris déclare irrecevable l’action introduite sur le fondement de l’article 414-2 1° du Code civil. Elle considère que l’action en nullité sur le fondement des articles 414-1 et 414-2 du Code civil ne peut être intentée dès lors qu’aucun vice du consentement n’est allégué, et que l’apparence formelle, tremblée et mal assurée de la signature du souscripteur ne peut permettre à elle seule de déduire l’insanité de son auteur. Elle juge que les éléments produits « ne permettaient pas de rapporter la preuve intrinsèque d’une insanité d’esprit, la clause bénéficiaire devant porter en
elle-même la preuve d’un trouble mental
».

Apport de la décision de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 5 avril 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation casse la décision rendue par la Cour d’appel de Paris au visa de l’article L 132-8 du Code des assurances. Elle considère qu’« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s’il ne résultait pas de l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants du 27 octobre 2012 que [P] [U] n’avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

En d’autres termes, la Cour de cassation invite les juges du fond à ne plus simplement rechercher la preuve d’un trouble mental au sein de l’acte en lui-même pour caractériser l’insanité d’esprit comme fondement de l’action en nullité mais à également tenir compte de l’ensemble des circonstances extérieures permettant de déterminer si la volonté du souscripteur a été exprimé de manière certaine et non équivoque. 

Il ne s’agit pas d’une décision isolée, en effet la Cour de cassation s’était déjà appuyée sur la volonté claire et non équivoque du souscripteur exprimée ailleurs que sur le support constituant l’avenant de l’assurance-vie pour inviter les juges à rechercher si celle-ci était caractérisée lorsqu’il n’était pas établi que celui-ci ait eu connaissance du contenu et de la portée exacte du document sur lequel il avait apposé sa signature. (Cass. 1re civ., 25 sept. 2013)

En pratique, cette décision invite la cour d’appel de renvoi, et plus généralement les juges du fond, à rechercher s’il n’existe pas un faisceau d’indices suffisants pour établir que le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie n’a pas exprimé une volonté claire et non-équivoque en modifiant les bénéficiaires de celui-ci. 

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