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Droit des successions

Succession : évaluation du préjudice économique de l’enfant dont un parent est décédé

Cass. civ. 2e, 19 janv. 2023, FS-B, n° 21-12.264

Liquidation et partage de successions, Enfants - Autorité parentale (résidence, pensions, etc.)

Enseignement de l'arrêt

Il ne doit pas être tenu compte de la séparation des parents pour déterminer le préjudice économique de l’enfant dont le parent est décédé.

Principe d’indemnisation du préjudice lié au décès d’un proche

Lors du décès accidentel d’un proche, se pose la question de l’indemnisation du préjudice des proches, mais également de la victime elle-même.

Le droit de la responsabilité a donc consacré de longue date différentes actions au carrefour du droit des successions qui permettent de solliciter une indemnisation tant au nom de la victime, que de ses proches victimes collatérales à la suite du décès.

L’action en responsabilité directement ouverte aux héritiers au nom de la victime

La Cour de cassation a consacré depuis un arrêt de la 2ème chambre civile en date du 20 mars 2008, 07-15.807 que les héritiers ont la possibilité d’exercer une action en responsabilité afin d’obtenir l’indemnisation non pas de leur préjudice mais celui de leur auteur prédécédé. 

La deuxième chambre civile a indiqué dans un attendu de principe que « Mais attendu que les ayants droit d’une victime décédée des suites d’une maladie causée par l’amiante sont recevables à exercer, outre l’action en réparation du préjudice qu’ils ont subis du fait de ce décès, l’action en réparation du préjudice subi par la victime résultant de sa maladie ».

Cet arrêt de principe, rendu dans un contexte d’indemnisation du préjudice d’un salarié décédé d’un cancer lié à l’amiante, est venu consacrer l’autonomie de l’action directe menée par les héritiers mais au nom de leur auteur.

L’action en responsabilité ouverte aux héritiers en réparation de leur propre préjudice

Une seconde action en responsabilité est également ouverte aux héritiers de la personne décédée, pour l’indemnisation de leur propre préjudice.

Cette action autonome est consacrée tant en droit civil qu’en droit pénal.

  • En matière civile, cette action en responsabilité est prévue par l’article 1240 du code civil ;

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

  • L’action pénale trouve son fondement dans l’article 706-3 du Code de procédure pénale.

« Toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :

1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l’article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts ;

2° Ces faits :

-soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;

-soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;

3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.

La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime. ».

Précisions sur les modalités d’évaluation du préjudice de perte de revenus des enfants mineurs

La Cour de cassation est récemment venue préciser les conditions d’évaluation du préjudice de perte de revenus subi par un enfant mineur. 

Dans le cas d’espèce analysé, une femme est assassinée et laisse pour lui succéder ses enfants. 

Sa fille mineure, dont la résidence est transférée au domicile de son père suite au décès, va solliciter sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénal précité l’indemnisation de son préjudice de perte de revenus. Les premiers juges du fond vont accueillir sa demande et lui octroyer une indemnité. 

Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) interjette appel de cette décision. La Cour d’appel va faire droit à ses demandes, considérant que l’obligation à la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant par le père ne cesse pas (même si la pension alimentaire n’est plus due puisqu’il accueille directement son enfant), et que le revenu disponible de l’enfant mineure avait augmenté depuis le décès. 

La Cour de cassation casse cette décision, en appliquant dans son attendu de principe les préconisations de la nomenclature dite « Dintilhac ». 

Elle indique notamment que « le préjudice économique d’un enfant résultant du décès d’un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci » […] Elle précise également qu’« en cas de décès du parent chez lequel vivait l’enfant, le préjudice économique subi par ce dernier doit être évalué en prenant en considération, comme élément de référence, les revenus annuels de ses parents avant le décès, en tenant compte, en premier lieu, de la part d’autoconsommation de chacun d’eux et des charges fixes qu’ils supportaient dans leur foyer respectif, et, en second lieu, de la part de revenu du parent survivant pouvant être consacrée à l’enfant ». 

En effet, il doit être rappelé que la nomenclature Dintilhac qui sert de base de travail à tout le droit de la responsabilité et de l’indemnisation (bien que n’étant pas une source normative), prévoit spécifiquement des conditions de détermination du préjudice lié à la perte de revenu de l’enfant mineur, sans que la séparation de ses parents soit un paramètre à intégrer. 

Il est ainsi prévu que : « Le décès de la victime directe va engendrer des pertes ou des diminutions de revenus pour son conjoint (ou son concubin) et ses enfants à charge, c’est à dire pour l’ensemble de la famille proche du défunt. Ces pertes ou diminutions de revenus s’entendent de ce qui est exclusivement liée au décès et non des pertes de revenus des proches conséquences indirectes du décès.

Pour déterminer la perte ou la diminution de revenus affectant ses proches, il y a lieu de prendre comme élément de référence, le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe en tenant compte de la part d’autoconsommation de celle-ci et du salaire qui continue à être perçu par son conjoint (ou concubin) survivant. »

En d’autres termes, pour indemniser l’enfant ayant subit une perte de revenus du fait du décès de l’un de ses parents, les revenus de l’autre parent séparé ne sont pas en prendre en considération pour évaluer le préjudice en comparaison avec la pension alimentaire « perdue ». Les revenus doivent être considérés de la même manière que les si les parents n’avaient pas été séparés.