Jurisprudences
Succession - Caractériser une donation indirecte
Cass. 1ère Civ., 12 juin 2024, n°22-19.569
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
Pour caractériser une donation, il faut démontrer un appauvrissement et une intention libérale qui ne se déduit pas de l’appauvrissement.
Caractériser une donation
Au regard de l’article 894 du Code civil, une donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille de la chose donnée de manière irrévocable en faveur du donataire qui accepte la donation.
« La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte. »
Ainsi, pour caractériser une donation il faut apporter la preuve d’un élément matériel et d’un élément intentionnel. L’élément matériel consiste en un appauvrissement par le donateur de son patrimoine, et l’élément intentionnel suppose l’intention libérale, c’est-à-dire une intention de gratifier le donataire.
En application de l’article 843 du Code Civil, en principe une donation entre vifs est présumée rapportable à la succession.
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »
Avant 2012, la Cour de cassation admettait que le rapport d’une donation pouvait être dû même en l’absence d’intention libérale.
Toutefois, par un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a admis dans quatre arrêts de 2012 que l’intention libérale doit nécessairement être prouvée pour caractériser l’existence d’une donation, et qu’elle soit ensuite éventuellement rapportable à la succession.
L’arrêt du 12 juin 2024, confirme la position de la Cour de cassation en rappelant que l’appauvrissement du disposant n’est pas suffisant pour caractériser une donation. L’intention libérale doit être prouvée de manière autonome, et non pas se déduire uniquement de l’appauvrissement.
Apport de l’arrêt
Reprise des faits et de la procédure
Des époux communs en bien après leur décès pour l’un en 1996 et pour l’autre en 2007, laissent pour leur succéder 5 enfants.
Entre le 1er novembre 2003 et le 31 octobre 2015, un des enfants occupe l’appartement dont son père avait l’usufruit puis après son décès pour un loyer inférieur au prix du marché.
Les autres héritiers demandent que soit rapportée à la succession, le complément de loyer qu’aurait dû payer cet héritier car ils considèrent qu’il s’agit d’une donation indirecte rapportable à la succession.
La Cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 24 mai 2022 admet que l’héritier doit rapporter la somme de 182 939,64€ au titre du complément de loyer pour l’occupation de l’appartement en considérant qu’il s’agit d’une donation indirecte rapportable puisqu’il s’agit d’une libéralité « qui suppose l’appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier ». La Cour d’appel déduit de l’appauvrissement du disposant, l’intention libérale du défunt d’avantager cet héritier.
L’héritier en question forme un pourvoi en cassation en faisant grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir déduit de l’appauvrissement l’intention libérale du disposant, et donc de lui demander de rapporter cette donation alors qu’au visa de l’article 843 du Code civil, la donation suppose à la fois un appauvrissement sans contrepartie mais aussi une intention libérale.
Pour caractériser une donation, l’intention libérale peut-elle être déduite uniquement de l’appauvrissement du patrimoine du disposant ?
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles au motif que la requalification d’une occupation immobilière en libéralité suppose de démontrer un appauvrissement du patrimoine du disposant ET une intention libérale, qui ne se déduit pas du seul fait de l’appauvrissement. Or, la Cour d’appel n’a qualifié cet avantage de donation uniquement en raison de l’appauvrissement du de cujus, sans apprécier sa volonté de gratifier son héritier.
Position de la Cour de cassation
La position de la Cour dans cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante sur le sujet.
Au visa de l’article 843 du Code civil, la Cour de cassation rappelle qu’un avantage objectif au profit d’un héritier n’est pas suffisant pour exiger un rapport de la donation. Il faut en plus démonter la dimension subjective de cette donation, soit l’intention libérale.
Ainsi, il est nécessaire de rechercher l’intention libérale du disposant pour exiger la requalification puis le rapport d’une donation.
C’est déjà ce qu’avait constaté la Cour de cassation dans un arrêt du 10 février 2021 où le simple fait que l’enfant n’avait pas les capacités financières nécessaires à l’acquisition d’immeubles, pour en déduire que l’enfant avait été aidé par ses parents, n’est pas suffisant pour caractériser la donation rapportable.
Pour conclure, cette décision confirme la position de la Cour de cassation, et rappelle qu’une donation est un acte matériel mais aussi intentionnel. Ainsi, pour obtenir le rapport d’une donation à la succession, il ne faut exclure le développement sur l’intention libérale.
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