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Droit de la famille

Recevabilité de l’action en opposition au changement de nom

CE 2e et 7e ch. réunies, 25 janv. 2023, n°465061

Etat civil

Enseignement de l'arrêt

La procédure d’opposition au changement de nom prévue par l’article 61-1 du code civil est ouverte aux parties concernées, même lorsque le changement de nom intervient en exécution d’une décision administrative issue d’un degré supérieur de juridiction, et annulant le refus initialement opposé aux parties. 

Procédure à fins de changement de nom

Demande de changement de nom

L’article 61 du code civil dispose que « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom.

La demande de changement de nom peut avoir pour objet d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré.

Le changement de nom est autorisé par décret. »

Il s’agit d’une procédure parfois difficile à mener notamment parce que les services des affaires civiles et du sceau qui instruisent la demande sont très en retard sur le traitement des dossiers (durée d’instruction moyenne de 1 à 3 ans constatés en moyenne par la pratique de notre cabinet).

Elle s’introduit par voie de requête auprès du Ministère de la Justice. En cas d’accord, le garde des Sceaux, Ministre de la Justice, publie un décret au Journal officiel qui acte de ce changement de nom. Une opposition peut être formée dans un délai de deux mois suivant la publication. 

Il arrive que la décision positive ou de refus du ministère de la Justice fasse l’objet d’un contentieux la Cour administrative d’appel, puis le Conseil d’Etat. 

En effet, la procédure afin de changement de nom implique de justifier d’un intérêt particulier au changement du nom indiqué à l’état civil. Il ne s’agit pas d’une erreur (laquelle fait l’objet d’une procédure de rectification administrative spécifique), mais de l’expression de la volonté de la personne (nom portant préjudice, ou usage soutenu d’un nom dans le temps, reprise d’un nom de famille pour éviter l’extinction, etc.). 

C’est en partie en raison des délais de procédure importants que les dispositions relatives au changement de nom ont été modifiées par la loi n° 2022-301, promulguée le 2 mars 2022, pour ce qui est du choix du nom issu de la filiation. 

La loi nouvelle prévoit ainsi un assouplissement des règles liées au port du nom de famille puisqu’elle permet désormais à tout personne majeure de modifier son nom, soit définitivement soit à titre d’usage. Une personne majeure peut désormais choisir entre le nom du père, de la mère, ou les deux noms accolés comme l’évoque l’article 311-21 du Code Civil. 

Cet article dispose en effet que :

« Lorsque la filiation d’un enfant est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers choisissent le nom de famille qui lui est dévolu : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. En l’absence de déclaration conjointe à l’officier de l’état civil mentionnant le choix du nom de l’enfant, celui-ci prend le nom de celui de ses parents à l’égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si sa filiation est établie simultanément à l’égard de l’un et de l’autre. En cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier de l’état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique.

En cas de naissance à l’étranger d’un enfant dont l’un au moins des parents est français, les parents qui n’ont pas usé de la faculté de choix du nom dans les conditions du précédent alinéa peuvent effectuer une telle déclaration lors de la demande de transcription de l’acte, au plus tard dans les trois ans de la naissance de l’enfant.

Lorsqu’il a déjà été fait application du présent article, du deuxième alinéa de l’article 311-23, de l’article 342-12 ou de l’article 357 à l’égard d’un enfant commun, le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs.Lorsque les parents ou l’un d’entre eux portent un double nom de famille, ils peuvent, par une déclaration écrite conjointe, ne transmettre qu’un seul nom à leurs enfants. ».

Opposition au changement de nom

L’article 61-1 du code civil dispose que “Tout intéressé peut faire opposition devant le Conseil d’Etat au décret portant changement de nom dans un délai de deux mois à compter de sa publication au Journal officiel.

Un décret portant changement de nom prend effet, s’il n’y a pas eu d’opposition, à l’expiration du délai pendant lequel l’opposition est recevable ou, dans le cas contraire, après le rejet de l’opposition.”. 

Cet article consacre la possibilité pour tout intéressé de contester le changement de nom qui est accordé au demandeur s’il y trouve un intérêt personnel. 

A titre d’exemple, en cas de relevé de nom d’un ancêtre illustre, un membre de la famille portant déjà le nom dont l’usage demande à être relevé peut ainsi s’opposer au changement de nom accordé au requérant (CE 25 janvier 2023 n°461746). 

Cette opposition doit être formée par voie de requête devant le Conseil d’Etat, avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la publication du décret de changement de nom au journal officiel. 

Spécificités liées à la recevabilité de l’action en opposition

Le conseil d’Etat a récemment été amené à préciser les conditions de recevabilité de l’action à fins de contestation du changement de nom autorisé par décret. 

Dans le cadre de l’espèce ayant conduit à la décision commentée, un contentieux lié à l’usurpation d’un nom de famille est survenu entre les consorts de Rouffignac et les consorts Roffignac. Les premiers accusant les seconds d’usurper leur nom malgré les différences orthographiques, et ont sollicité l’interdiction de l’usage de leur nom de famille. 

Plusieurs décisions ont été rendues dans cette affaire, et aux termes d’un premier arrêt de la Cour de Cassation en date du 7 janvier 1975, 73-13.793, la Cour de cassation avait admis la possibilité pour un enfant d’agir à la procédure à laquelle son auteur n’avait pas été attraite en sa qualité de représentant légal pour former tierce opposition à la décision qui lui interdisait de porter le nom dont il avait l’usage depuis sa naissance. 

Par la suite, un des enfants mineurs au moment de la procédure initiale (mais qui n’avait pas formé opposition dans le délai de 30 ans) et concerné par la procédure d’usurpation a demandé à changer de nom sur le fondement de l’article 61 du code civil afin que le nom dont il avait l’usage en pratique depuis son enfance lui soit accordé, et qu’il puisse porter le même nom que son frère. 

La chancellerie va rejeter la demande de changement de nom et le requérant va former un recours pour excès de pouvoir contre l’administration, et obtenir satisfaction auprès de la cour administrative d’appel de Paris qui va imposer à la Chancellerie dans un délai de trois mois d’établir un projet de décret autorisant le changement de nom (CAA Paris, 9 déc. 2021, n° 20PA02433). 

Le décret litigieux va être prononcé en date du 15 avril 2022 et c’est contre celui-ci qu’un descendant du marquis de Rouffignac va former opposition sur le fondement de l’article 61-1 du code civil. 

C’est donc dans ces circonstances que s’est posée la question de la possibilité pour un tiers de former opposition à un changement de nom, alors même que celui-ci a été rendu possible en exécution d’une décision administrative venant infirmer la position initiale de la Chancellerie.

Le conseil d’état va indiquer  dans un attendu de principe que : “La circonstance que le décret autorisant un changement de nom ait été pris pour l’exécution d’une décision du juge administratif annulant pour excès de pouvoir le refus initialement opposé à la demande tendant à ce changement, quel que soit le motif de cette annulation, y compris si elle est devenue définitive, ne fait pas obstacle à la faculté, pour tout intéressé, de former contre ce décret le recours en opposition régi par les dispositions de l’article 61-1 du code civil et d’invoquer tous moyens à l’appui de ce recours.”

La Haute juridiction va rejeter cette opposition bien que la considérant comme recevable en estimant qu’elle n’est pas fondée. Pour ce faire, le conseil d’Etat indique notamment dans un de ses attendus que : “A la différence de son frère, Mme D n’a pas fait tierce opposition à l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers. Souhaitant toutefois se voir rétablie dans le nom originel de sa famille, recouvrer l’identité qui était la sienne jusqu’à l’âge de six ans et demi et que soit ainsi assurée l’unité du nom au sein de sa famille, elle a, sur le fondement des dispositions de l’article 61 du code civil, demandé à adjoindre à son nom le patronyme  » de E « . Ce motif d’ordre affectif est, dans ces circonstances exceptionnelles, de nature à caractériser l’intérêt légitime requis pour changer de nom”.