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Procédure

Open data des décisions de justice - Remise en cause d’une conception traditionnelle de la jurisprudence

Procédure

Enseignement de l'arrêt

L’open Data des décisions de justice va permettre un accès presque complet à l’ensemble des décisions de justice rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire, pour tous et gratuitement.
L’open data devrait ainsi redéfinir le rôle de l’avocat et du magistrat.

L’open Data des décisions de justice

Définition et objectifs

L’open data des décisions de justice est une base de données permettant l’accès à tous aux décisions de justice administratives et judiciaires, de manière gratuite. Les décisions peuvent être consultée directement sur le site internet ou téléchargées. 

Les décisions de la Cour de cassation sont publiées sur l’open data depuis septembre 2021. Il s’agit de toutes les décisions rendues publiquement depuis 1947, dans la continuité de Légifrance. 

S’agissant des décisions de la Cour d’appel, elles sont disponibles sur l’open data depuis le 21 avril 2022. Il est possible de retrouver sur Judilibre tous les arrêts rendus à compter du 15 avril 2022, en audience publique. En revanche, pour les arrêts prononcés avant le 15 avril 2022, ne sont publiés sur l’open data que ceux qui ont été rendus publiquement et qui ont fait l’objet d’un pourvoi.  

Enfin, pour les décisions des tribunaux judiciaires (hors matière pénale), la diffusion des décisions sur l’open data sera finalisée en septembre 2025.

Article 2 : « Pour les contentieux civils, commerciaux et sociaux relevant de la compétence de l’ordre judiciaire, l’ensemble des décisions de justice et des copies sollicitées par des tiers sont respectivement mises à disposition du public et délivrées aux tiers, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 111-13 et L. 111-14R. 111-10R. 111-11R. 111-12 et R. 433-3 du code de l’organisation judiciaire et 726, 1440, 1440-1 et 1440-1-1 du code de procédure civile, au plus tard le :
– 30 septembre 2021 s’agissant des décisions rendues par la Cour de cassation ;
– 30 avril 2022 s’agissant des décisions rendues par les cours d’appel ;
 
– 31 décembre 2024 s’agissant des décisions rendues par les tribunaux de commerce ;
– 30 septembre 2025 s’agissant des décisions rendues par les tribunaux judiciaires et des décisions rendues par les conseils de prud’hommes. »

L’objectif de l’open data des décisions de justice est de faciliter l’accès au droit de tous les citoyens et de renforcer la transparence de la justice.

Fonctionnement de Judilibre

Pour les juridictions de l’ordre judiciaire, l’open data prend la forme d’un moteur de recherche nommé Judilibre. Les nouvelles fonctionnalités de ce moteur de recherche permettent d’optimiser les recherches selon différents critères : 

  • Une recherche par mot-clef sur l’ensemble de la base 
  • Une recherche qui peut être limitée à une chambre de la Cour de cassation 
  • Une recherche qui peut être limitée à certaines juridictions 
  • Une recherche qui peut être limitée à une partie de la décision 
  • Une recherche par nature de contentieux (droit de la famille, droit des affaires etc)

L’un des ajouts majeurs de Judilibre, est son enrichissement avec : 

  • L’ajout des travaux préparatoires pour certains arrêts (rapports et avis des avocats) 
  • L’ajout de lien hypertextes vers les lois appliquées ou des rapprochements de jurisprudence 
  • Le renvoi à la référence des décisions antérieures, notamment celle qui a fait l’objet d’un pourvoi en cassation
  • Le titrage et les sommaires des arrêts publiés
  • Les moyens annexés des décisions de rejet non spécialement motivées 

L’ensemble de ces ajouts sont particulièrement intéressants pour approfondir et compléter les recherches, et ainsi recueillir plus d’arguments pour qu’une jurisprudence soit retenue par les juges. 

A terme, de nouvelles fonctionnalités et enrichissements seront ajoutés.

La protection des données et de la vie privée

Les droits protégés

L’enjeu de cette nouvelle base de données est d’assurer la protection de la vie privée et de la sécurité des personnes mentionnées sur les décisions. 

Pour cela deux niveaux de « pseudonymisation » sont mis en place : 

  • les noms de chaque personne physique partie ou tiers seront systématiquement occultée,
  • en complément, le magistrat ou le Président de juridiction aura la possibilité de demander à occulter d’autres éléments d’identification.

Les traitements sont automatisés, mais sont complétés par une vérification manuelle qui sera approfondie en fonction de la nature et de la sensibilité de l’affaire. 

Il sera impossible et interdit de faire du « profilage » des greffiers ou magistrat, c’est-à-dire d’évaluer, analyser, comparer ou prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées, comme le prévoit l’article L111-13 du Code de l’organisation judiciaire

Cependant, il semble que cette interdiction ne soit pas étendue aux avocats, qui ne voient pas leur nom occulter, et dont les données d’identités peuvent être réutilisées.

Les recours

Pour garantir la vie privée, il sera possible d’engager une procédure de demande d’occultations complémentaire ou de levée d’occultation, par courrier ou courriel : anonymisation.sder.courdecassation@justice.fr

Il est également toujours possible de faire une demande de droit d’accès ou de rectification. La demande de droit d’accès permet à toute personne de demander si ses données personnelles sont traitées par un organisme, et la demande en rectification permet de demander la correction des informations personnelles fausses ou incomplètes.

Un outil complémentaire pour les avocats

Une nouvelle approche de la jurisprudence

L’open data est une remise en cause de la conception classique de la jurisprudence puisqu’elle va permettre de rendre accessible de nombreuses décisions de première instance, créant ce que certains auteurs appellent une « jurisprudence horizontale ». 

Les avocats vont devoir s’emparer de ce nouvel outil pour comparer des décisions similaires de première instance, et pouvoir ajuster leurs arguments juridiques et stratégies en fonction de ces nouvelles données. 

L’accès à la jurisprudence est ainsi facilité et accéléré. 

Le Président du tribunal judiciaire de Nanterre met toutefois en garde les avocats : il ne faudra pas faire une production massive des décisions, mais sélectionner les décisions les plus pertinentes. 

Toutefois, il faut également souligner les aspects négatifs d’un tel accès aux décisions, notamment un risque de mimétisme simplificateur. La mobilisation de ces ressources par les avocats et professionnels du droit peut entrainer un manque de discernement entre les décisions importantes et celles qui le sont moins, entrainant ainsi une uniformisation des décisions qui ne laissera plus de place aux différences marquées qui existe aujourd’hui entre les tribunaux de première instance et la Cour de cassation. Il y aussi un risque que les juges identifient une solution majoritaire, à laquelle ils peuvent se conformer automatiquement. 

Il y a donc un risque que soit mise en œuvre une analyse prédictive de la jurisprudence, où les probabilités de succès ou de montant d’indemnisation pourront probablement être définies. 

L’avocat voit son rôle être redéfinit car il prendra en compte des données objectives, au-delà du simple raisonnement juridique et de l’application du droit pur.

Les nouveaux réflexes

Désormais, les avocats doivent informer leur client de la publication de la décision obtenue sur l’open data, lorsque celle-ci respecte les critères de l’article R. 111-11 du Code de l’organisation judiciaire, à savoir : 

  • la décision est rendue publiquement et accessible à tous sans autorisation préalable. C’est le cas de toutes les décisions sauf celle qui sont rendues en chambre du conseil par exemple.
  • A défaut, la décision présente un intérêt particulier, qui n’est pas définit par l’article R. 111-11 du Code de l’organisation judiciaire.

Ils vont également pouvoir accompagner leur client dans le cas où le respect de la vie privée et les données du client ne sont pas respectés, comme indiqué plus haut.