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Droit du patrimoine

L’absence de corrélation entre la validité d’une rente en viager et l’état de santé du crédirentrier

Cass. civ. 3e, 18 janv. 2023, n°21-24.862

Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions, Patrimoine - Fiscalité

Enseignement de l'arrêt

  • Un contrat de vente en viager peut être conclu lorsque le crédirentier souffre de pathologies graves.
  • La validité d’une vente en viager doit s’apprécier selon les faits de l’espèce.

La nécessaire présence d’un aléa dans le cadre d’une vente en viager

Définition de la vente en viager

Une vente en viager consiste à vendre un bien immobilier à un prix réglé, sous la forme d’une rente viagère, et éventuellement d’un bouquet, c’est-à-dire d’un capital versé lors de la signature du contrat de vente. 

La caractéristique principale d’un tel contrat est l’aléa : ni le vendeur, appelé crédirentier, ni l’acquéreur, appelé débirentier, ne doivent savoir au moment de la formation du contrat de vente jusqu’à quelle date la rente sera versée. Ils ne peuvent donc pas déterminer par avance le prix de vente du bien.

Ainsi, selon l’article 1964 du code civil en vigueur jusqu’au 1er octobre 2016, applicable en l’espèce : « Le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tels sont : Le contrat d’assurance, Le jeu et le pari, Le contrat de rente viagère. »

Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, l’alinéa 2 de l’article 1108 affirme : « [Le contrat] est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ».

Précisons qu’en l’absence d’aléa, le contrat de vente peut être judiciairement annulé.

Les interrogations soulevées par une vente en viager en présence de difficultés de santé

En l’espèce, un homme a vendu en viager la maison dans laquelle il résidait le 19 octobre 2011, le prix étant réglé grâce au paiement d’un capital et au versement d’une rente viagère

Le vendeur décède trois mois après, le 17 janvier 2012. 

Ses héritiers assignent l’acquéreur afin d’obtenir la nullité de la vente pour défaut d’aléa. 

Par arrêt du 5 octobre 2021, la Cour d’appel d’Orléans a relevé que le vendeur souffrait de graves problèmes de santé dont une insuffisance rénale devenue terminale et a insisté sur les liens entre l’acquéreur et le vendeur permettant au premier d’être informé de ces éléments médicaux.

Les magistrats ont toutefois considéré que le débirentier n’avait pas de connaissances médicales et qu’il ne pouvait donc pas savoir que le crédirentier allait décéder.

Les héritiers du vendeur forment un pourvoi en cassation, considérant que le débirentier avait connaissance du grave état de santé du crédirentier et qu’en raison de leur proximité, il savait que son décès était proche et que la rente viagère était donc dépourvue d’aléa.

La question posée à la Cour de cassation est donc celle de savoir si un contrat de vente en viager, dont la caractéristique principale est l’aléa, peut être annulé lorsque l’acquéreur, sans connaissances médicales particulières, savait le vendeur malade.

La validité d’une vente en viager malgré des pathologies médicales graves

La nécessaire appréciation casuistique d’une vente en viager

Dans son arrêt du 18 janvier 2023, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que selon l’article 1964 du code civil alors applicable, l’aléa existe lorsqu’au moment de la formation du contrat, les parties ne peuvent pas apprécier l’avantage qu’elles en retireront car cet avantage dépend d’un évènement incertain.

Elle motive ensuite sa décision en précisant en premier lieu que le crédirentier était certes âgé de 78 ans et certes atteint de graves difficultés de santé mais qu’il était décédé des conséquences d’une chute, qui n’était évidemment pas prévisible, de sorte que le débirentier ne pouvait savoir que son vendeur décéderait peu de temps après la signature du contrat de vente. 

En deuxième lieu, La Haute juridiction fait une précision factuelle en expliquant que la crédirentière bénéficiait d’une aide médicale à domicile et que l’insuffisance rénale dont elle souffrait ne signifiait pas qu’elle décéderait rapidement. 

En troisième et dernier lieu, la Cour de cassation constate, comme la Cour d’appel, que le débirentier n’avait pas de connaissances médicales et qu’il ne pouvait donc pas savoir que les problèmes de santé du crédirentier auraient un impact sur son espérance de vie.

Ainsi, selon la Cour de cassation, la Cour d’appel pouvait déduire de ces éléments que, malgré le lien de proximité entre le vendeur et l’acquéreur, la vente n’était pas dépourvue d’aléa et que le contrat n’avait donc pas à être annulé.

Elle rejette donc le pourvoi.

La subsistance d’un aléa

Si, dans un premier temps, cet arrêt peut laisser penser que la Cour de cassation fait preuve de souplesse quant à l’appréciation de l’aléa, caractéristique principale du contrat de vente en viager, il n’en est rien en réalité. 

En effet, la Haute Juridiction semble plutôt affirmer que la validité d’un tel contrat doit s’apprécier au regard des raisons concrètes du décès du crédirentier. Ainsi, lorsque son décès a pour origine une cause connue lors de la formation du contrat de vente, il pourrait être annulé. En revanche, lorsque l’origine du décès est différente, le débirentier ne pouvait pas l’anticiper et l’aléa existe donc. 

Cet arrêt peut surprendre un peu plus dans la considération qu’il fait de la compétence médicale du débirentier pour déterminer l’aléa. Comme si le principe même de l’aléa et son ampleur ne dépendait plus seulement du fait générateur du contrat lui-même (quel est le temps de vie du crédirentier) mais d’une appréciation personnelle de l’une seule des deux parties en fonction de ses capacités à lui….

Au temps de la vulgarisation médicale sur internet, à laquelle tout un chacun a accès, il faut toutefois se méfier d’un avis différent de la Cour de cassation dans une autre situation, tant l’appréciation de la situation semble casuistique.

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Publié le 20 Fév 2021