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Droit de la famille

Gestation pour autrui : l’exequatur d’un jugement « pre-birth order »

CA Paris, Pôle 3, chambre 5, 31 janv. 2023

Unions (mariage / pacs / concubinage), Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

Le juge de l’exequatur d’un jugement d’adoption ou d’un jugement qui produit les effets d’une adoption n’est pas juge de l’adoption. 

La demande de deux pères conduit à admettre sur le territoire français une double filiation paternelle établie par la voie de l’adoption plénière, ce qui ne porte pas atteinte aux principes essentiels du droit français, une telle adoption à l’égard de deux hommes, non mariés étant possible depuis la loi n° 2022-219 du 21 février 2022.

 

Rappel du contexte légal

L’exequatur est une procédure judiciaire qui rend exécutoire sur le territoire français une décision judiciaire prononcée par un juge étatique étranger ou une sentence arbitrale.

Sous réserve des conventions internationales, la liste des conditions de régularité internationale du jugement étranger est établie dans l’arrêt Cornelissen de 2007 et sont au nombre de trois :

« Pour accorder l’exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et l’absence de fraude à la loi » (Civ. 1ère, 20 févr. 2007, Rev. crit. DIP 2007). 

Depuis l’arrêt Munzer, la Cour de cassation a instauré l’interdiction de la révision au fond des jugements étrangers. Cette interdiction concerne naturellement des jugements étrangers en matière d’adoption. Le juge français n’a pas le pouvoir de juger l’efficacité de la décision étrangère au motif qu’il n’aurait pas statué de la même façon que le juge étranger s’il avait été saisi sur le fond.

La particularité de l’affaire commentée réside dans la demande d’exequatur d’un jugement prénatal qui établit la filiation avant la naissance (les  deux hommes ont en effet été déclarés par avance comme les parents de l’enfant à naître). Ce n’est donc pas le jugement ayant déjà prononcé l’adoption à l’égard de l’enfant qui est soumis au juge français.

Les jugements prénataux sont répandus, notamment aux Etats-Unis (en fonction de l’Etat) en matière de gestation pour autrui. L’objectif pour les parties à un accord de gestation est de « sécuriser » l’établissement de la filiation en demandant l’intervention d’un juge. Le juge pourra accorder, selon la loi en vigueur dans chaque Etat, des ordonnances de filiation avant ou après la naissance de l’enfant (« pre-birth and post-birth parentage orders »).

Apport de l’arrêt

Rappel des faits

Un couple d’hommes, de nationalité française, partenaires de PACS, ont eu recours à une gestation pour autrui aux Etats-Unis (Etat de Géorgie).

La Superior Court du comté de Fulton prononce le jugement instituant une filiation entre les enfants à naître d’une mère porteuse et deux hommes, laquelle a ensuite été transcrite sur les actes de naissances des enfants.

En France, les requérants saisissent le tribunal judiciaire de Paris et demandent de déclarer exécutoire le jugement américain sur le sol français. Ils sollicitent que ce jugement produise les effets d’une adoption plénière.

Le juge de première instance déclare exécutoire le jugement prénatal américain, mais donne les effets de l’adoption simple à cette décision étrangère faute pour les requérants de fournir les informations suivantes :

  • L’existence d’un lien biologique entre les enfants et l’un des parents légaux ;
  • Les conditions dans lesquelles la mère porteuse a consenti à l’adoption après la naissance des enfants. 

Les parents légaux ont fait appel de cette décision.

La question est de savoir si le jugement prénatal américain produit les effets de l’adoption plénière en France.

Position de la cour d’appel

Ainsi qu’il a été indiqué en préambule du présent article, le juge de l’exequatur ne peut pas refuser l’efficacité de la décision étrangère au motif qu’il n’aurait pas statué de la même façon, en fait et en droit, que le juge étranger.

Le juge qui décide d’accorder l’exequatur d’un jugement étranger doit donc veiller au respect des conditions posées par l’arrêt Cornelissen, mais il lui est interdit de réviser totalement ou partiellement le jugement étranger.

La cour d’appel de Paris rappelle que « le juge de l’exequatur d’un jugement d’adoption ou d’un jugement qui produit les effets d’une adoption n’est pas juge de l’adoption ».

Absence d’incidence d’un lien biologique entre les parents légaux et les enfants

Le juge américain a établi un lien de filiation entre les enfants et ses deux parents légaux sans considération d’un lien génétique entre eux. 

Si l’exequatur est accordé, l’ordre public international de for (ici l’ordre public international français) ne sera pas violé. La cour d’appel de Paris explique d’abord que le droit français prohibe la gestation pour le compte d’autrui, comme le prévoit l’article 16-7 du code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». 

La cour explique cependant deux éléments complémentaires :  

  • L’établissement de la filiation paternelle à l’égard de deux hommes est possible en droit interne par la voie de l’adoption, aucun des deux n’étant le père, ou l’un étant le conjoint du parent biologique ;  
  • La recherche d’une vérité biologique conduirait à la remise en cause potentielle au fond de la décision américaine, ce qui est interdit au juge de l’exequatur.

Vérification d’un consentement

Il en va de même de l’établissement des conditions dans lesquelles la mère porteuse a consenti à l’adoption après la naissance des enfants. 

L’article 370-3 du code civil prévoit le recueil du consentement du représentant légal de l’enfant, quelle que soit la loi applicable.

« Les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union. L’adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale de l’un et l’autre époux la prohibe.

L’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France.

Quelle que soit la loi applicable, l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier, s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ».

Cependant, il n’appartient pas au juge de l’exequatur de vérifier l’existence d’un consentement. Cela serait une condition en plus à ajouter à celles posées par l’arrêt Cornelissen. 

En l’espèce, la cour d’appel a vérifié que :

  • Le jugement américain institue une filiation entre les enfants à naître de la mère porteuse et le couple français ;
  • Le jugement a ensuite été transcrit sur l’acte de naissance des enfants.

Aucune incidence de l’absence d’un lien matrimonial

En droit interne, la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 a ouvert l’adoption aux couples non mariés,  l’article 343 du code civil étant désormais ainsi libellé : « l’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins ».

La cour d’appel admet que le mode d’établissement de la filiation simultanée prénatale entre deux hommes et un enfant est inconnu en France. 

Elle relève cependant que la demande des deux pères conduit à admettre sur le territoire français une double filiation paternelle établie par la voie de l’adoption plénière, ce qui ne porte pas atteinte aux principes essentiels du droit français, une telle adoption à l’égard de deux hommes, non mariés étant possibles depuis la loi n° 2022-219 du 21 février 2022.

En conclusion, malgré la prohibition de la convention de gestation pour autrui, ce mécanisme trouve une efficacité en droit interne via la force exécutoire des jugements étrangers. En l’état actuel de la jurisprudence, le jugement étranger prénatal instituant une double filiation d’un couple de partenaires peut être revêtu de l’exequatur. Ce jugement peut également produire les effets d’une adoption plénière. 

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