Dossiers/Fiches
FAMILLE
Filiation : La procréation artisanale ou amicalement assistée
Enfants – Filiation et adoptionFacilitée par les réseaux sociaux, a procréation artisanale présente de nombreux risques juridiques à la fois pour le tiers donneur mais aussi pour le projet parental du couple.
Le don de sperme : cadre légal
Encadrement juridique pour le tiers donneur
La loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a ouvert l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules.
L’assistance médicale à la procréation regroupe des pratiques médicales, cliniques et biologiques permettant de mettre en œuvre un projet parental. En France, uniquement 3 techniques sont autorisées :
- L’insémination artificielle ;
- La fécondation in vitro ;
- L’accueil d’embryon.
La protection du tiers donneur
Il est également possible de recourir à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, avec la possibilité de bénéficier d’un double don de gamète, ovocytes et spermatozoïdes. Afin de protéger les tiers donneurs et leur anonymat, l’article 342-9 du Code civil prévoit deux règles :
« En cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation.
Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. »
Ainsi, aucune filiation ne pourra être établie entre le tiers donneur et l’enfant, de sorte que toute demande en établissement du droit de filiation doit être déclarée irrecevable, et que toute reconnaissance faite à l’égard du tiers donneur doit être frappée de nullité absolue.
Cette règle permet de préserver la paix de la famille, et de ne pas dissuader le tiers de faire don de ses gamètes. Il faut toutefois souligner que cette règle est contraire au principe de vérité biologique, qui guide le droit français de la filiation, et qui est également mis en avance par la Cour européenne des droits de l’homme.
En l’état cependant, aucun des effets de la filiation ne pourra se produire entre l’enfant et le tiers donneur, qui ne pourra pas exercer une quelconque autorité parentale sur l’enfant, ou être condamné à verser une pension alimentaire. L’enfant quant à lui n’entre pas dans la famille du tiers donneur.
Enfin, il est impossible d’engager la responsabilité du tiers donneur en cas de mauvaise qualité de gamète à l’origine d’une maladie ou malformation de l’enfant.
Le droit à la connaissance de ses origines
L’interdiction d’établir la filiation a été fragilisée par la loi de 2021, avec l’introduction du droit à la connaissance de ses origines personnelles à l’article 16-8-1 du Code civil.
« Dans le cas d’un don de gamètes ou d’un accueil d’embryon, les receveurs sont les personnes qui ont donné leur consentement à l’assistance médicale à la procréation.
Le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à l’accès de la personne majeure née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, sur sa demande, à des données non identifiantes ou à l’identité du tiers donneur, dans les conditions prévues au chapitre III du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. »
Désormais, le tiers donneur n’est plus protégé par l’anonymat absolue, et est contraint de consentir à la communication de ses données non identifiantes voire de son identité en cas de demande de l’enfant.
L’enfant peut alors demander le nom, le prénom, la date et lieu de naissance du tiers donneur, ainsi que sa situation familiale et professionnelle, ses caractéristiques physiques, l’état général de sa santé.
Établissement de la filiation de l’enfant
Le consentement au recours d’un tiers donneur
Pour avoir recours à un tiers donneur, sans être mariés, il faut donner son consentement, ce qui permet de s’assurer que celui qui donne son consentement s’engage à devenir parent de l’enfant qui naitra de ce don.
Le mode d’établissement de la filiation
Pour les couples de sexe différents, non mariés, les textes sont silencieux sur le mode d’établissement de la filiation, ce qui suppose que la filiation peut être établi selon les modes habituels. L’homme privilégiera la reconnaissance de l’enfant, et la femme sera nécessairement celle qui aura accouché. Sa maternité s’établira automatiquement.
Pour les couples de sexe différent et mariés, la paternité pourra s’établir par le jeu de la présomption de paternité dans les conditions de droit commun, qui prévoit que le mari de la mère est présumé être le père de l’enfant.
Pour les couples de femmes, elles peuvent établir leur filiation par le biais de la reconnaissance conjointe prévue à l’article 342-11 du Code civil.
« Lors du recueil du consentement prévu à l’article 342-10, le couple de femmes reconnaît conjointement l’enfant.
La filiation est établie, à l’égard de la femme qui accouche, conformément à l’article 311-25. Elle est établie, à l’égard de l’autre femme, par la reconnaissance conjointe prévue au premier alinéa du présent article.
Celle-ci est remise par l’une des deux femmes ou, le cas échéant, par la personne chargée de déclarer la naissance à l’officier de l’état civil, qui l’indique dans l’acte de naissance.
Tant que la filiation ainsi établie n’a pas été contestée en justice dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 342-10, elle fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation dans les conditions prévues au présent titre. »
Un couple de femmes qui a recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, doit préalablement établir auprès d’un notaire, la reconnaissance conjointe des deux femmes, en même temps que l’acte établissement le consentement à l’assistance médicale à la procréation, ce qui permet de consacrer le projet parental commun.
Ainsi, pour établir la double filiation maternelle, la mère qui n’a pas accouché voit sa filiation établie par la reconnaissance conjointe faite devant notaire. Cette reconnaissance est remise à l’officier d’état civil au moment de la déclaration de naissance de l’enfant.
Le don de sperme : hors du cadre légal
Malgré de nombreux progrès en la matière, l’accès à l’assistance médicale à la procréation reste difficile notamment en raison de la longueur du processus.
Ainsi, certains couples n’hésitent pas à recourir à la procréation par insémination artisanale également appelée « procréation amicalement assistée ». L’idée est de recourir à un tiers donneur sans passer par l’assistance médicalement assistée reconnue par les textes. Le tiers donneur peut alors être un membre de l’entourage du couple, ou bien un inconnu trouvé sur les réseaux sociaux.
Il convient toutefois de rappeler que cette pratique est en principe interdite par le code pénal à l’article 511-12.
« Le fait de procéder à une insémination artificielle par sperme frais ou mélange de sperme provenant de dons en violation de l’article L. 1244-3 du code de la santé publique est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
En plus du risque pénal, bénéficier d’un don de sperme en dehors d’un cadre légal peut créer un risque juridique à la fois pour le tiers donneur, mais aussi pour le projet parental.
L’absence de protection du tiers donneur
Hors du cadre légal, cette pratique ne permet pas de protéger le tiers donneur de sorte qu’il ne se voit pas appliquer les règles protectrices de l’article 342-9 du Code civil.
En application de l’article 325 du code civil, un enfant ou son représentant peut intenter une action en recherche de paternité.
« A défaut de titre et de possession d’état, la recherche de maternité est admise.
L’action est réservée à l’enfant qui est tenu de prouver qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
La preuve peut être établie par tout moyen en application de l’article 310-3 du Code civil.
« La filiation se prouve par l’acte de naissance de l’enfant, par l’acte de reconnaissance ou par l’acte de notoriété constatant la possession d’état.
Si une action est engagée en application du chapitre III du présent titre, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action. »
Un principe jurisprudentiel affirme à cet égard que l’expertise biologique est de droit en matière de filiation.
Ainsi, il est toujours possible pour la mère de l’enfant de faire une action en recherche de paternité ou en reconnaissance de paternité pour établir un lien de filiation entre l’enfant et le donneur, puisque la filiation biologique dans ce cas est avérée.
Le tiers donneur peut se voir reconnaitre une filiation non désirée, ce qui peut l’obliger à verser une contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant. De plus, l’enfant entre dans la famille du tiers donateur et deviendra son héritier réservataire.
L’absence de protection pour le projet parental
Le couple qui a recours à un tiers donneur hors du cadre prévu par la loi, prend le risque que la filiation de l’enfant soit contestée par le tiers donneur, qui pourra établir sa filiation biologique avec une action en contestation de paternité puis en reconnaissance de paternité.
De plus, pour les couples de femmes, la reconnaissance conjointe auprès du notaire ne sera pas possible, en l’absence du recours à l’AMP avec tiers donneur. La femme qui n’a pas accouché sera donc contrainte de passer par une procédure d’adoption plénière.
Or là encore, il y a un risque que le tiers donneur procède à la reconnaissance de l’enfant dans l’année de sa naissance faisant ainsi échec au projet d’adoption d’un couple de femmes. Ce fût le cas dans une affaire tranchée par la Cour d’appel de Montpellier le 22 février 2023 n°22/04328 où la reconnaissance par le donateur de l’enfant, a contraint la mère à engager une procédure de délégation-partage de l’autorité parentale au profit de sa conjointe.
La Cour d’appel a fait droit à leur demande et imposé une délégation-partage forcée dans l’intérêt de l’enfant pour corréler pluri-parentalité vécue et pluri-parentalité légale.
Un autre moyen pour le donneur de s’opposer à une adoption est de former une tierce opposition au jugement d’adoption. Cette procédure permet à un tiers de faire à nouveau juger les dispositions d’un jugement auquel il était absent et qui lui font grief. Il doit faire la démonstration d’un dol ou d’une fraude de la part des adoptants dans le cas d’un jugement d’adoption.
Ainsi, dans un arrêt prononcé le 15 novembre 2024 n°24.05595, la Cour d’appel de Montpellier a annulé un jugement d’adoption plénière qui avait établi la filiation entre un enfant et la conjointe de sa mère.
En l’espèce, il s’agissait d’un couple de femmes qui avait un projet parental et qui ont eu recours à un tiers donneur trouvé sur internet. A la naissance de l’enfant, le père génétique n’a pas reconnu son enfant mais a entretenu des liens avec lui. En apprenant le jugement d’adoption, il a formé tierce opposition. La Cour d’appel a retenu que le couple avait dissimulé le projet d’adoption au père, qui n’avait pas pu renoncer à sa filiation en raison du principe d’indisponibilité de l’état des personnes.
Les enjeux en matière de filiation sont de plus en plus importants, avec l’émergence de nouveaux projets parentaux permettant de créer de nouvelles familles et une nouvelle vision de la parentalité, impliquant des femmes seules, des couples d’hommes et des couples de femmes.
Ces projets parentaux ne trouvent cependant pas toujours de reconnaissance juridique.
Par Laura De Azevedo et Capucine Bohuon, le 02 juillet 2025