Jurisprudences
La présence de biens successoraux sur le territoire d’un État membre s’apprécie au jour du décès
CJUE, 7 nov.2024, Hantoch, C-291/23
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
Pour apprécier la compétence subsidiaire fondée sur la présence de biens successoraux dans un État membre en cas de rattachement extracommunautaire, il faut se placer au moment du décès du défunt, et non au moment de la saisine du juge.
Rappel du cadre légal
Le règlement européen n°650/2012, dit « Règlement successions » du 4 juillet 2012 organise les règles relatives à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions internationales et à la création d’un certificat successoral européen.
Entré en vigueur le 17 août 2015, il a vocation à s’appliquer à toute succession ouverte à partir de cette date.
Les dispositions que nous étudions ici sont relatives à la compétence juridictionnelle, autrement dit celles qui permettent de déterminer, dans une succession internationale, le juge compétent pour régler la succession.
L’article 4 du Règlement attribue une compétence de principe aux juridictions du lieu de la résidence habituelle du défunt.
Article 4 du Règlement européen n°650/2012, du 4 juillet 2012 :
« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »
L’article 10 du même règlement comporte une exception à la compétence de principe. Il vise les cas où le défunt avait sa résidence habituelle dans un État tiers au moment du décès.
Article 10 du Règlement européen n°650/2012, du 4 juillet 2012 :
« 1. Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où :
a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès ; ou,
b) le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine, il ne se soit pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle.
2. Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont compétentes pour statuer sur ces biens. »
Cet article est très utilisé par nos avocats spécialisés en successions internationales font fréquemment recours à cette disposition pour permettre aux juges français d’exercer une compétence juridictionnelle en raison de la présence de biens successoraux sur son territoire, sous réserve de liens personnels avec le défunt, à savoir la nationalité du défunt au moment du décès (article 10 alinéa 1-a) ou l’ancienne résidence habituelle dans les 5 années précédant le décès (article 10 alinéa 1-b).
Il est question d’éviter une déconnexion totale entre l’Union et la succession, lorsque le défunt vivait hors de l’UE. L’article 10 assure aussi une continuité de la protection des droits successoraux dans un cadre transfrontalier. Enfin, il maintient un lien raisonnable de compétence dès lors que des éléments de rattachement (nationalité, patrimoine, résidence passée) existent avec un État membre.
Faits et procédure
Les faits
Un double national germano-égyptien vit de longues années en Allemagne, où il fonde une famille.
A la fin de sa carrière, il s’installe durablement en Égypte. Il continue de percevoir une pension de retraite allemande et des remboursements de son assurance maladie. Il conserve également un compte bancaire ouvert auprès d’une banque allemande, sur lequel il perçoit les fonds susmentionnés. Ce compte existe au jour du décès et sera liquidé avant l’introduction de l’instance.
Il décède en Égypte et laisse deux héritiers. L’une est réservataire, l’autre légataire universel.
La procédure
L’héritière réservataire saisit le tribunal régional de Düsseldorf (Allemagne) afin de se voir communiquer certaines informations et payer par son cohéritier une somme d’argent au titre de la réserve.
Elle fonde la compétence internationale des juridictions allemandes sur l’article 10, alinéa 1 du règlement Successions et soutient que des biens successoraux (à savoir le compte bancaire) étaient situés en Allemagne au moment de l’ouverture de la succession, justifiant ainsi la compétence subsidiaire des juridictions allemandes.
La juridiction de renvoi s’interroge car le compte bancaire existait au jour du décès, mais avait été clôturé au jour de l’introduction de l’instance. Si la condition de nationalité de l’article 10 était remplie, il fallait encore déterminer le moment décisif pour apprécier la présence de biens successoraux dans l’État membre du for subsidiaire.
Apport de la Cour de Justice de l’Union Européenne
La Cour de justice précise que la compétence subsidiaire fondée sur la localisation des biens successoraux au sens de l’article 10, alinéa 1, s’apprécie au jour du décès du défunt.
D’un point de vue littéral, la Cour observe que l’article 10, alinéa 1 fait déjà référence de manière explicite au moment du décès pour deux autres critères : la nationalité du défunt (sous a) et sa résidence habituelle antérieure (sous b). Dès lors, en l’absence de mention contraire concernant le critère des biens successoraux, il y a lieu de considérer que ce même moment est applicable à l’ensemble de la disposition.
Ce raisonnement est renforcé par la structure du Règlement qui, dans ses autres dispositions relatives à la compétence (notamment l’article 4), retient également systématiquement le moment du décès comme point de référence.
La Cour insiste également sur le lien logique entre les critères de rattachement et la situation juridique du défunt à son décès. Les compétences juridictionnelles en matière successorale doivent être établies en fonction de la situation du défunt au moment où la succession s’ouvre, et non en fonction d’événements postérieurs. Ainsi, la localisation des biens successoraux, fondement de la compétence subsidiaire, doit être appréciée à la date du décès, c’est-à-dire au moment où le défunt avait encore la propriété juridique de ces biens.
D’un point de vue téléologique, la Cour souligne que cette interprétation assure les objectifs de prévisibilité, de sécurité juridique et de bonne administration de la justice que poursuit le règlement. Ces objectifs seraient compromis si la compétence juridictionnelle pouvait varier en fonction de circonstances postérieures au décès, comme la liquidation ou le déplacement des biens. Cela introduirait une instabilité juridique, incompatible avec le souci de permettre aux citoyens d’organiser efficacement leur succession transfrontière.
Enfin, cette décision complète utilement la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la succession internationale et la compétence des juridictions de l’Union en cas de rattachement extracommunautaire, en précisant le champ d’application concret d’une juridiction subsidiaire, qui demeure une exception au principe de compétence du for de la résidence habituelle du défunt (article 4).
Cette solution garantit la sécurité juridique et la prévisibilité du for compétent dans les successions transfrontalières impliquant un État tiers.
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