Divorce - prestation compensatoire et patrimoine professionnel
Divorce – Séparation de corps
Enseignement de l'arrêt
Lorsqu’un époux est chef d’entreprise, exclure par principe soit le patrimoine professionnel soit ses revenus professionnels pour apprécier la prestation compensatoire, sous prétexte d’un double économique, est contestable et maladroit devant le juge du divorce.
Il est plus pertinent et juste économiquement de valoriser le patrimoine professionnel d’un époux au regard de la nature de l’activité de l’entreprise puis en appliquant des décotes.
Rappel des critères pris en compte pour chiffrer la prestation compensatoire
La prestation compensatoire vise à combler la disparité que crée la rupture du mariage dans les conditions de vie des époux.
Cette somme est évaluée en fonction de plusieurs critères contenus dans la loi (ci-dessous) dont la liste n’est pas exhaustive :
la durée du mariage,
l’âge et l’état de santé des époux,
le patrimoine des époux,
les droits à la retraite,
les conséquences résultant des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne, etc.
Cette évaluation s’effectue au jour du divorce. Toutefois, le Juge peut prendre en considération des éléments à venir, s’ils ont un caractère certain pour déterminer le montant de la prestation compensatoire.
Sur les difficultés liées à la prise en compte du patrimoine et des revenus professionnels
Certains auteurs estiment que la comptabilisation des revenus professionnels de l’époux et de la valeur de son patrimoine professionnel ferait doublon dans l’appréciation des critères de la prestation compensatoire.
Exclusion de la rémunération en capital : les dividendes
C’est dans cette logique qu’Alexandra Cousin, Notaire expert, exclue les dividendes des revenus professionnels car ils sont le reflet du patrimoine professionnel.
Elle ne comptabilise donc dans les revenus que les « revenus d’activité » : salaires et rémunérations de gérance.
Dans le divorce du chef d’entreprise, les dividendes seraient donc neutralisés au motif qu’ils seraient déjà pris en compte pour valoriser le patrimoine professionnel.
Le débat, dans lequel le cabinet Canopy Avocats est particulièrement intéressé depuis toujours en raison de sa pratique historique dans les divorces de chefs d’entreprise et de cadres dirigeant est intéressant :
D’un côté, lorsque le chef d’entreprise se verse des dividendes, le poste comptable des capitaux propres se trouve mécaniquement diminué de cette somme, tout comme la trésorerie de l’entreprise. La valorisation de l’entreprise est donc nécessairement impactée, à la baisse, par les rémunérations en capital (dividendes) du chef d’entreprise. En conséquence, exclure les dividendes de l’appréciation de la prestation compensatoire au motif qu’il y aurait un doublon économique pourrait paraitre contestable.
Pour autant, cette première observation ne fonctionne que si la valorisation de la société est antérieure à la distribution des dividendes. Il convient donc d’être attentif aux dates de valorisation et à leur articulation avec les étapes de la procédure de divorce.
En outre, cette méthode pose une difficulté car elle dépend de la gouvernance précise de l’entreprise : l’époux chef d’entreprise ou gérant est-il le seul décideur de ses revenus professionnels et des dividendes ? La trésorerie de la société doit-elle être réservée pour des investissements à venir, provisionnée pour des charges anticipées.
Ce débat est technique et interdit toute règle ou posture de principe. Seule une étude profonde, au cas par cas, de la gouvernance et de la vie de la société permet de répondre.
Méthode de Me Stéphane David, Notaire expert
La méthode de Maître Stéphane David, Notaire expert, prévoir de procéder à un double calcul, elle exclue :
tantôt le patrimoine professionnel pour ne retenir que les revenus (dividendes et salaires)
tantôt les revenus pour ne retenir que le patrimoine professionnel.
Il résulte de cette méthode une fourchette haute et basse dont on peut faire la moyenne.
Toutefois, cette méthode qui revient également à se baser sur l’exclusion des revenus ou du patrimoine professionnel n’est pas applicable à toutes les situations, puisque selon les sociétés, leurs trésoreries ou activités, les dividendes peuvent ne représenter qu’une partie faible de la valorisation de l’entreprise, dont ils sont décorrélés.
Elle peut se révéler très pertinente sur des sociétés importantes, à fort chiffre d’affaires portant une politique de distributions assumée.
Comme notre cabinet l’a beaucoup soutenu dans les commissions d’expert et devant les tribunaux, dans tous les divorces comportant des sociétés, les méthodes d’évaluations doivent être choisis en fonction de la nature et du volume d’activité, puis pondérés entre elles.
Une valorisation nécessairement faite en fonction de la nature de l’entreprise
Détermination de la nature de l’entreprise
Pour prendre en compte ce « doublon économique », il convient avant tout de se concentrer sur la manière d’évaluer son entreprise.
La valorisation du patrimoine professionnel dépend notamment de la nature de l’activité. Il faut notamment distinguer selon qu’il s’agisse d’une entreprise individuelle de l’époux (professions libérales, artisan…) ou d’un grand groupe.
Pour valoriser une entreprise, il faut donc surtout appréhender sa nature exacte et déterminer tous les biens nécessaires à l’activité professionnelle
Ainsi une société Holding détenant des participations dans des filiales, ne doit pas être appréciée de la même façon qu’un fonds de commerce une entreprise individuelle (profession libérale).
Il peut par exemple y avoir une confusion entre la rémunération et le patrimoine professionnel en présence d’entreprise individuelle.
A l’inverse, en présence d’une holding, l’époux actionnaire est souvent rémunéré en dividendes annuels et substantiels et la valorisation de la Holding est décorrélée de celle des dividendes.
Le patrimoine professionnel est à la fois source de revenus mais peut également être non liquide et indisponible puisqu’il constitue l’outil de travail de l’époux. L’indisponibilité et la non liquidité n’implique pas que ce patrimoine n’a pas de valeur de cession, mais ces éléments doivent évidemment être justement évalués dans leur principe, leur mesure et leur impact sur la valeur de l’entreprise dans le divorce.
Cela nécessite encore une fois d’adapter la méthode d’évaluation à la nature de l’activité et tenir compte, si besoin de la valeur intrinsèque de l’entrepreneur dans sa structure.
Ces analyses permettront d’évaluer la pertinence et le taux de décotes d’illiquidité ou encore de décote « d’homme clé ».
Décote d’homme clé
L’homme-clé désigne une personne dont le rôle est si déterminant dans une entreprise que son absence (décès, invalidité, incapacité) pourrait menacer la continuité ou la valeur de celle-ci.
L’homme-clé est donc le pilier dont l’absence peut fragiliser l’entreprise, et cette vulnérabilité doit être intégrée dans son évaluation.
En effet, la disparition d’un homme-clé peut avoir un impact financier direct : baisse de rentabilité, perte de chiffre d’affaires, difficultés à maintenir les relations commerciales ou le savoir-faire, voire remise en question de la pérennité de l’entreprise.
Lors de l’évaluation de la valeur d’une société, cette dépendance à une personne spécifique peut être prise en compte : une décote peut donc être appliquée pour refléter l’incertitude liée à la continuité de l’activité et au risque de perte de clientèle ou de compétences stratégiques.
Pour déterminer cette décote, les experts et avocats spécialisés en divorce impliquant des sociétés qui valorisent le patrimoine professionnel dans le cadre du chiffrage d’une prestation compensatoire analysent :
le niveau de dépendance de l’entreprise à l’homme-clé,
l’absence d’équipe de management ou de plan de succession,
la nature des relations commerciales (personnelles ou institutionnelles),
l’impact potentiel sur le chiffre d’affaires, la rentabilité et la valorisation globale en cas de disparition de l’homme-clé,
Il ne s’agit que d’une liste limitée, d’autres critères propres à certaines entreprises permettent d’affiner le principe ou pas et l’éventuelle décote de la valeur de l’entreprise dans le divorce.
Les juridictions du fond, notamment la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 7 janvier 2004, ont ainsi admis une telle décote en raison du caractère “indissociable” de l’entreprise et de la personne du dirigeant lors du divorce, ce qui conduit à retenir un abattement sur la valeur vénale des parts ou de l’entreprise (Cour d’appel de Paris, 7 janvier 2004, n° 02/13323).
L’article 764 A du Code général des impôts prévoit expressément que la dépréciation de l’entreprise consécutive au décès du dirigeant peut être prise en compte dans l’évaluation à retenir pour la liquidation des droits de succession, ouvrant la voie à la reconnaissance d’une décote liée à la disparition de l’homme clé.
« En cas de décès :
a. – du gérant d’une société à responsabilité limitée ou d’une société en commandite par actions non cotée,
b. – de l’un des associés en nom d’une société de personnes,
c. – de l’une des personnes qui assument la direction générale d’une société par actions non cotée,
d. – de l’exploitant d’un fonds de commerce ou d’une clientèle,
e. – du titulaire d’un office public ou ministériel,
il est tenu compte, pour la liquidation des droits de mutation par décès dus par ses héritiers, légataires ou donataires, de la dépréciation éventuelle résultant dudit décès et affectant la valeur des titres non cotés ou des actifs incorporels ainsi transmis. »
Cette référence fiscale éclaire la pratique judiciaire dans l’évaluation et la possibilité d’appliquer une décote pour homme clé, y compris dans un contexte de divorce lorsque la situation économique de la société le justifie.
Décote pour illiquidité
La « décote d’illiquidité » est une notion employée également utilisée dans le cadre de la valorisation d’actions ou de titres d’une entreprise dans le cadre d’un divorce notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier la valeur de titres qui ne sont pas facilement cessibles ou dont le marché est étroit, ce qui réduit leur liquidité.
Elle correspond à la diminution appliquée à la valeur théorique d’une entreprise, d’une société ou de titres, afin de tenir compte de la difficulté, du coût ou du délai qu’impliquerait leur cession effective sur le marché, notamment lorsque ces titres ne sont pas cotés et que leur liquidité est donc très limitée ou incertaine
La décote d’illiquidité trouve sa justification, notamment :
lorsque les titres ne sont pas cotés en bourse (absence de marché organisé),
lorsque le marché pour ce type d’actifs est restreint,
lorsque des clauses statutaires limitent la cession (agrément, droit de préemption),
ou encore lorsque la détention du bien est minoritaire, ce qui complique la revente.
La détermination de la valeur d’une entreprise, des revenus qu’elle génère, de la manière dont elle a concouru au niveau de vie des époux pendant le mariage sont des éléments relevant d’une technique juridique, comptable et financière spéciale qui ne doit pas être menée sans des spécialistes du divorce du conjoint chef.fe d’entreprise.