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Droit des successions

Succession – qualification des travaux d’aménagement réalisés par l’usufruitier en donation indirecte

Cass. civ. 1ere, 23 oct. 2024, RG n°22-20.879

Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières

Enseignement de l'arrêt

Les travaux d’aménagements réalisés par l’usufruitier, sans contraintes légales ni contractuelles, et sans en tirer ultérieurement profit, peuvent-être constitutifs d’une donation indirecte au profit du nu-propriétaire.
En cas de qualification de donation indirecte des travaux d’aménagements réalisés par l’usufruitier au profit du nu-propriétaire, ce dernier peut être soumis au rapport de cette donation.

Rappel du contexte légal

Définition et formes de la donation

Une donation consiste à transmettre de son vivant une partie de son patrimoine sans recevoir de contrepartie. Le ou les bénéficiaires (donataires) se voient transférer la propriété du ou des biens de la personne qui réalise la donation (le donateur). 

La donation est un acte qui peut concerner des sommes d’argent, un bien immobilier ou mobilier, un véhicule ou encore une œuvre d’art, etc… 

Elle peut également être combinée à un démembrement de propriété. C’est l’hypothèse assez fréquente de la donation en nue-propriété d’un bien par le donateur qui s’en réserve l’usufruit

Dans tous les cas, pour caractériser une donation, deux éléments doivent être réunis : 

  • un élément matériel : il faut démontrer un dépouillement irrévocable du donateur au profit du ou des donataires ; 
  • un élément moral : il faut démontrer une intention libérale du donateur, qui a souhaité transmettre les fonds ou les biens à titre gratuit (et non à titre onéreux).

Il s’agit ainsi du contrat par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement sans contrepartie et dans une intention libérale d’un bien présent lui appartenant en faveur d’une personne qui l’accepte (article 894 du Code civil).

En principe la donation entre vifs doit être passée devant Notaire (article 931 du Code civil). À défaut d’acte authentique, la donation encourt la nullité absolue.

Trois sortes de donations échappent à ce formalisme : 

  • le don manuel : il s’effectue par la remise de la chose de la « main à la main » ou de compte bancaire à compte bancaire. Ce don doit en principe faire l’objet d’une déclaration auprès de l’administration fiscale, sans que cette condition influe cependant sur la validité de la donation en elle-même. 
  • la donation déguisée : elle suppose que les parties dissimulent l’acte à titre gratuit sous l’apparence d’un acte onéreux. Les parties conviennent en réalité de deux actes : un acte apparent à titre onéreux et une contre-lettre qui est l’acte à titre gratuit correspondant à leur volonté réelle. L’exemple classique est la signature d’une vente en parallèle d’une contre-lettre indiquant que le prix ne sera pas payé. 
  • La donation indirecte : il s’agit d’une donation réalisée par un acte autre qu’une donation (exemple : remise de dette, vente à vil prix, paiement de l’emprunt immobilier d’un enfant à sa place, etc.). 

Enfin, la donation peut être également l’occasion pour le donateur d’anticiper le partage de ses biens entre ses héritiers, et ainsi être réalisée au moyen d’une donation-partage, s’il en respecte les conditions édictées à l’article 1075 du Code civil :

« Toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits. Cet acte peut se faire sous forme de donation-partage ou de testament-partage. Il est soumis aux formalités, conditions et règles prescrites pour les donations entre vifs dans le premier cas et pour les testaments dans le second. »

Sort des donations en matière de succession

Au décès du donateur, les donations subissent un traitement particulier en matière de succession, notamment en présence d’héritiers réservataires.

En effet, pour vérifier que le donateur n’a pas porté atteinte à la réserve héréditaire, les donataires sont soumis au rapport et à la réunion fictive de leurs donations.

Masses d’imputation des donations rapportables

Doivent alors être identifiées les masses sur lesquelles ce rapport s’impute.

Cette imputation varie selon la qualité du donataire : 

  • lorsqu’il est un tiers à la succession, elle s’effectuera sur la quotité disponible ; 
  • lorsqu’il s’agit d’un héritier réservataire, le Code civil pose une présomption d’avancement de part successorale mais qui peut être renversée ;

Autrement dit les donations consenties au profit d’héritiers réservataires sont présumées avoir été faites en avance sur leur part successorale (article 843 du Code civil), sauf preuve contraire.

Article 843 du Code civil :

« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. »

Toutefois, en matière de donation-partage , les bénéficiaires ne sont jamais tenus de rapporter leurs lots et les biens reçus dans la masse successorale à partager entre les ayants-droits. La Cour de cassation a jugé que : « Les biens qui ont fait l’objet d’une donation-partage ne sont pas soumis au rapport qui n’est qu’une opération préliminaire au partage en ce qu’il tend à constituer la masse partageable ». (pièce n°3 Cass. Civ. I, 16 juillet 1997, pourvoi n° 95-13.316)

Valeur à laquelle les donations doivent être rapportées

Enfin, une fois la masse d’imputation déterminée, il convient de s’interroger sur la valeur du bien donné qui doit être rapportée.

À cet égard, le Code civil distingue très nettement la donation simple, de la donation-partage, et c’est notamment cette distinction sur la valorisation qui explique l’attractivité de la donation-partage.

En effet, dans le cadre d’une donation simple, la valeur qui devra être rapportée par le donataire est celle du bien au jour du partage selon son état au jour de la donation

Article 860 du Code civil :

« Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation.

Si le bien a été aliéné avant le partage, on tient compte de la valeur qu’il avait à l’époque de l’aliénation. Si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation. »

A contrario, la donation-partage a pour avantage de fixer la valeur du bien donné, au jour de la donation si trois conditions cumulatives sont remplies : 

  • tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès du donateur ont reçu un lot et l’ont accepté 
  • aucun lot ne comprend une somme d’argent grevée d’une réserve d’usufruit au profit du donateur 
  • il n’existe pas de clause contraire dans l’acte de donation-partage

Cette fixation de la valeur permet également d’optimiser fiscalement la transmission patrimoniale.

Apport de l’arrêt

Rappel des faits et de la procédure

En l’espèce, un couple consent à ses trois enfants une donation partage avec réserve d’usufruit viager (usufruit transmissible au conjoint survivant, ou tout autre personne, qui ne s’éteint donc qu’au deuxième décès). 

L’une des filles du couple reçoit au titre de cette donation, une maison inhabitée.

Le père décède en 1993, et la mère en 2016. Dans l’intervalle la mère effectue de nombreux travaux dans le bien, objet de la donation, pour un montant total de 922.843,00€. 

Des difficultés interviennent lors du règlement de la succession de la mère, les biens ayant fait l’objet de la donation-partage étant d’une valeur significativement différente, notamment la maison ayant fait l’objet de travaux. 

Dans un arrêt du 30 juin 2022, la Cour d’appel de Dijon considère que les travaux effectués par l’usufruitier sur le bien donné en nue-propriété sont constitutifs d’une libéralité. 

Elle justifie cette décision par le raisonnement suivant : le financement d’une partie des travaux, à hauteur de 660.498,00€ n’étant justifiés par aucune obligation légale ou contrainte de bail, il est constitutif d’un appauvrissement significatif au profit de l’usufruitier, et de facto, d’une intention libérale. 

L’héritière gratifiée forme alors un pourvoi en cassation et soutient que le montant des travaux invoqués constitue des travaux d’aménagement incombant légalement à l’usufruitier et ne peuvent dès lors être constitutifs d’une libéralité.

Décision de la Cour de cassation : autorise la qualification en donation indirecte

Le 23 octobre 2024, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la requérante et précise que :  

« La réalisation par l’usufruitier de travaux d’amélioration valorisant le bien n’est pas exclusif d’un dépouillement dans une intention libérale, constitutifs d’une libéralité, peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge. »

Elle considère qu’en finançant l’ensemble des travaux incombant : 

  • pour partie au nu-propriétaire, aussi appelés « gros travaux » : murs, voutes, poutres ;
  • pour partie à l’usufruitier, aussi appelés « travaux d’aménagement » : électricien, plombier, interphone, restauration de façade, ravalement…

Et ce, sans obligations légales, ni contraintes de bail, et sans pour autant en tirer profit ultérieurement, le donateur s’était appauvri dans une intention libérale, au profit de la nue-propriétaire, de sorte que la somme correspondante devait être rapportée à la succession.

S’émancipant du principe posé par l’article 599 du Code civil selon lequel « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée. », la Cour de cassation considère qu’il ne constitue pas un obstacle à l’identification de l’élément matériel constitutif d’une libéralité. 

Ainsi l’élément matériel -le paiement des travaux- et l’élément intentionnel -l’absence d’obligations d’effectuer ces travaux et de profits qui auraient ou en être tirés ultérieurement- permettent de caractériser l’existence d’une donation.

Pour aller plus loin

L’idée première du donateur est claire dans ce dossier : répartir entre ses héritiers des biens dont la valeur est déterminée, et avantager l’un d’entre eux ultérieurement, en réalisant des travaux apportant une plus-value significative au bien, sans que cette revalorisation soit rapportée au jour de la succession

Que cet avantage soit procuré de façon volontaire ou non, la Cour de cassation a souhaité y rétablir une certaine forme d’égalité entre les copartageants. 

C’est ainsi qu’elle requalifie les travaux effectués par l’usufruitier, en donation, alors même que les deux tiers de ces travaux relevaient bien des charges de l’usufruitier (entretien et aménagements). 

Mais de quel type de donation s’agit-il ? La Cour de cassation ne s’y attarde pas. 

En pratique il ne peut s’agir d’une donation simple consentie par acte authentique, ni d’une donation-partage, d’un don manuel ou encore d’une donation déguisée (en l’absence d’acte apparent). 

Par conséquent, seule la qualification de donation indirecte pourra être retenue pour les travaux d’aménagements effectués par l’usufruitier, sans contraintes légales ou contractuelles, et sans en tirer profit ultérieurement, constitutifs d’un appauvrissement réalisé dans une intention libérale. 

Cette donation doit ainsi faire l’objet d’un rapport à la succession.

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Publié le 18 Fév 2025