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Droit des successions

Succession - Primes manifestement excessives et intérêt de l’héritier

Cass. civ. 2e, 19 déc. 2024, n°19110

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

L’intérêt des héritiers ne constitue pas un critère d’appréciation du caractère manifestement excessif des primes d’un contrat d’assurance-vie.

Rappel du contexte juridique

Le contrat d’assurance vie est une opération cumulant un intérêt assurantiel et d’épargne, qui est exclu des règles de succession. Ainsi, au moment du décès de l’assuré, le versement du capital et des primes au bénéficiaire est géré indépendamment de la succession du défunt. 
Il en ressort que les primes versées sur le contrat, ainsi que le capital ou la rente payable au décès du souscripteur à un bénéficiaire ne sont soumis ni aux règles du rapport à la succession ni à celle de la réduction pour atteinte à la réserve.

« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».

Cependant en ce qui concerne les primes en particulier, une exception est prévue par l’article L132-13 du code des assurances : lorsqu’elles sont « manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur », la dispense de rapport et de réduction est écartée. 

La règle qui exclut la dispense de rapport et de réduction a pour objectif d’éviter l’utilisation de l’assurance vie comme moyen d’exhéréder un héritier: en plaçant une partie déraisonnable de ses ressources dans le contrat, le souscripteur de l’assurance-vie détourne les règles de sa propre succession.

Ainsi, lorsqu’il apparaît évident que le souscripteur a voulu gratifier une personne, héritière ou non, au détriment de ses héritiers, les règles de la succession s’appliquent afin de préserver ces derniers. 

Pour caractériser juridiquement cette situation, la loi se fonde sur le caractère manifestement exagéré des primes. La jurisprudence a précisé cette notion et les différents critères à retenir :
– le caractère exagéré des primes s’apprécie à la date de leur versement, et non à la date du décès du souscripteur ;

  • l’âge et l’état de santé du souscripteur : plus le souscripteur est âgé, plus la suspicion de gratification du bénéficiaire est élevée, dans la mesure où l’aléa lié au contrat d’assurance devient illusoire. De même lorsque l’assuré est en malade. 
  • sa situation patrimoniale : si le souscripteur dispose d’un patrimoine significatif en parallèle de l’assurance vie (biens immobiliers, épargne …), le caractère exagéré des primes versées n’est pas caractérisé ;

– l’utilité qu’a pour le souscripteur le contrat d’assurance vie : les juges doivent déterminer si la souscription du contrat d’assurance vie par l’assuré s’intègre dans une démarche de gestion de son patrimoine, le contrat lui permettant de diversifier l’épargne financière et ses supports financiers.

Faits de l’espèce

Madame G. décède à l’âge de 83 ans le 3 octobre 2019.

Elle laisse pour lui succéder sa fille, Madame Y.

En 2009, par l’intermédiaire de la Société Générale, Madame G. a adhéré à un contrat d’assurance sur la vie, souscrit auprès de la société Sogecap (l’assureur), sur lequel elle effectue plusieurs versements jusqu’en mai 2011 pour un total de 274 800 euros et dont le bénéficiaire est la Ligue nationale contre le cancer.

Sa fille Madame Y. saisit une juridiction de première instance afin d’obtenir la réintégration d’une partie des primes dans la succession de sa mère.

Position des juridictions

La Cour d’appel

La Cour d’appel retient la qualification de primes manifestement exagérée pour la dernière prime versée sur le contrat d’assurance-vie

Pour une telle appréciation, la Cour d’appel considère que : 

  • le total des primes versées en 2009 et 2010 restait proportionné au patrimoine de la souscriptrice (contrairement à cette dernière prime) ;
  • s’agissant de primes ayant bénéficié, non pas à un héritier mais à un tiers à la succession, il convient de vérifier si ces versements ont porté atteinte à la réserve héréditaire. En l’occurrence, ce dernier versement a eu pour conséquence le placement de la quasi-totalité du patrimoine de la souscriptrice sur un unique contrat d’assurance sur la vie dont le bénéficiaire était la Ligue contre le cancer ;
  • Madame G. bénéficiait par le passé d’une épargne répartie sur différents supports ;
  • en agissant de la sorte, elle ne pouvait ignorer qu’elle privait sa fille d’une part très importante de sa succession, excédant la réserve héréditaire (cette conséquence étant en accord avec les termes du testament rédigé en 2019, par lequel Madame G. a institué la Ligue contre le cancer comme légataire universel). Ce faisant, la Cour d’appel s’intéresse au sort et à l’intérêt des héritiers réservataires.

Ainsi la Cour d’appel considère que quelle qu’ait pu être l’utilité d’un tel placement pour Madame G., ce dernier versement apparaît manifestement exagéré au regard de la situation familiale et patrimoniale de celle-ci.

La Cour de cassation

Devant la Cour de cassation, l’association soutient que :

  • le caractère manifestement excessif de la prime s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité du contrat pour ce dernier ;
  • l’intérêt des héritiers ne constitue pas un critère d’appréciation du caractère manifestement excessif des primes. 

La Cour de cassation confirme ce dernier argument et casse l’arrêt de la Cour d’appel qui s’est fondée sur un critère étranger à l’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées.