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Procédure

Recevabilité de la preuve illicite en droit civil : L'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats

Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n°20-20.648

Procédure et pratiques professionnelles

Enseignement de l'arrêt

Dans le cadre d’un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’une preuve ne conduit pas nécessairement à une irrecevabilité. C’est au juge d’opérer le contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence.

Le principe de recevabilité de la preuve avant l’arrêt de l’assemblée Plénière de décembre 2023

En droit civil

Il est de jurisprudence constante que la recevabilité d’une preuve en droit civil est bien moins contraignante par rapport au droit pénal par exemple. Le principe était simple : toute preuve est recevable sauf la preuve déloyale.

La Cour de cassation le consacrait précédemment dans ces termes (Cass. Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606) :

« constitue une atteinte au principe de l’égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme le fait d’interdire à une partie de faire la preuve d’un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions ; que par ailleurs, toute atteinte à la vie privée n’est pas interdite, et qu’une telle atteinte peut être justifiée par l’exigence de la protection d’autres intérêts, dont celle des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence »

Le principe était donc précisément que la preuve déloyale ne peut être admise, sauf si elle est un élément essentiel pour le succès de la prétention et qu’elle reste proportionnée à aux atteintes au regard des intérêts antinomiques en présence. 

En droit social

En matière prud’homale, la recevabilité d’une preuve diffère selon son caractère. 

La preuve illicite qui porte notamment atteinte à la vie privée peut être recevable si elle est indispensable au succès de la prétention et si l’atteinte reste proportionnée au but poursuivi.

La preuve déloyale, qui est obtenue par des manœuvres, mensonges, n’est jamais recevable

A titre d’illustration, une cour d’appel a pu juger recevables des enregistrements sonores dans le cadre de contentieux prud’homaux ; considérant que leur production est recevable dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi.

Ce raisonnement a été validé par la Cour de cassation (Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19523): 

« L’illicéité d’un moyen de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » 

Il existe donc des moyens de contourner les droits fondamentaux en matière de preuve à moins de réunir les conditions suscitées.

Le revirement de jurisprudence de décembre 2023

Les faits

En l’espèce, un responsable commercial travaillant en télétravail, a été licencié pour faute grave le 16 octobre 2016 suite à une mise à pied à titre conservatoire. La cour d’appel d’Orléans du 28 juillet 2020 énonce que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur à payer diverses sommes. 

L’employeur se pourvoit en cassation en faisant grief à la cour d’appel d’avoir déclaré irrecevables les éléments de preuve obtenus par lui, au moyen d’enregistrements clandestins, soit des enregistrements audios obtenus à l’insu du salarié. Pour l’employeur cette preuve est essentielle pour apporter la preuve de ses prétentions et ne porte pas atteinte aux droits du salarié. 

Ainsi, la question était donc de savoir si la preuve déloyale ou illicite est automatiquement écartée des débats ? 

La Cour de cassation répond par la négative en s’appuyant sur l’article 6 §1 de la CESDH et l’article 9 du code de procédure civile et souligne, qu’en droit civil, il est possible de recevoir une preuve illicite dès lors qu’elle est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que les atteintes portées aux droits sont strictement proportionnées au but poursuivi. 

Mais en parallèle, la Cour de cassation avait déjà statué à plusieurs reprises en énonçant que la preuve déloyale est irrecevable dès lors qu’elle a été recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème. 

Il y avait donc une dualité dans la jurisprudence. Pour régler ce conflit, la Cour de cassation s’est donc réunie dans sa formation la plus formelle : en Assemblée Plénière.

Elle décide de s’appuyer sur la jurisprudence européenne qui ne retient pas le principe d’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales, mais qui opère un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits fondamentaux. 

La Cour de cassation décide finalement que, dans le cadre d’un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’une preuve ne conduit pas nécessairement à une irrecevabilité. C’est au juge du fond d’opérer le contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence.

Critiques

L’arrêt est un revirement de jurisprudence qui a un impact considérable sur les atteintes aux droits fondamentaux. Si la preuve déloyale peut permettre de retenir la responsabilité d’un tiers, comment en délimiter les contours ? S’il y a une atteinte à la vie privée, comment évaluer jusqu’à quelle point l’atteinte est proportionnée ou non ? 

Le contrôle de proportionnalité est laissé à l’appréciation des juges du fond, ce qui sera sujet à beaucoup de contentieux car selon le cas, un même juge s’opposera ou non, à la preuve présentée. 

Pour l’avocat spécialisé en droit de la famille, cette jurisprudence nouvelle ouvre des voies ; par exemple dans les cas de violences intra-familiales, par nature confidentielles et difficiles à établir.