Jurisprudences
Liquidation du régime matrimonial - La qualification du compte épargne temps Suisse
Cass. civ. 1ere, 3 mars 2010, n°08-15.832
Liquidation et partage de régime matrimonial
Enseignement de l'arrêt
Le compte épargne temps suisse est un bien propre par nature, dès lors que le capital n’est pas versé avant la dissolution du régime matrimonial.
Rappel du cadre légal : le compte épargne temps Suisse
Le système de retraite et de prévoyance en Suisse
Le système de retraite et de prévoyance en Suisse est fondé sur 3 piliers :
– 1er pilier : l’Assurance-vieillesse et Survivants (AVS) lors d’un départ à la retraite ou L’assurance-invalidité (AI) en cas d’incapacité de travail, totale ou partielle. Il s’agit d’une prévoyance étatique obligatoire,
– 2e pilier : la prévoyance professionnelle (LPP) alimentée à la fois par l’employeur et le salarié,
– 3e pilier : la prévoyance privée ou individuelle facultative qui comporte notamment les assurances vie, les comptes de prévoyances ou des actions.
Focus sur le 2e pilier
Dans la pratique du droit de la famille de notre cabinet, ce 2e pilier est fondamental pour les divorces ou successions des salariés transfrontalier, franco-suisse.
Cette prévoyance prévoit que le salarié et son employeur versent une cotisation mensuelle à la caisse de pension cantonale référente, finançant les rentes futures qui seront perçues au moment de la retraite. Il s’agit d’un principe de capitalisation.
Lorsque le salarié change d’entreprise ou interrompt sa carrière (hors départ à la retraite), les avoirs cumulés sont déposés sur un autre compte de transition appelé « de libre passage ».
En principe, les avoirs qui se trouvent sur ce compte de libre passage, ne peuvent être retiré avant l’âge de départ à la retraite.
Toutefois, il est possible de retirer une partie de ses avoirs de manière anticipée :
– En cas de retraite anticipée 5 ans avant l’âge légal de départ à la retraite,
– Pour l’achat d’un bien immobilier ou la construction d’un bien immobilier si :
- l’achat est destiné à un usage personnel
- l’achat est la résidence principale
En dessous de 50 ans, le salarié peut retirer tous ses avoirs. Au-delà, seule une partie peut l’être.
– En cas de départ définitif de la Suisse :
- Si le déménagement se fait hors Union Européenne, l’intégralité des avoirs peut être retiré
- Si le déménagement se fait au sein de l’Union Européenne, seule la part subrogatoire des avoirs, c’est-à-dire la partie facultative de cotisation du 2e pilier, peut être retirée
– Devenir travailleur indépendant, permettant de bénéficier d’une retraite anticipée, calculée en fonction de l’âge du salarié. Cette possibilité nécessite l’accord du conjoint.
– En cas de faiblesse des revenus:
- rente d’invalidité incomplète
- OU si le montant du total des avoirs du 2ème pilier est inférieur aux cotisations annuelles
Le compte épargne temps suisse et le régime de communauté
En droit français, le régime légal de la communauté suppose que l’ensemble des biens acquis pendant le mariage sont des biens communs. Il en va de même avec les revenus.
La question se pose donc de savoir, si le compte épargne temps/retraite, qui est alimenté par des biens communs, c’est-à-dire les salaires, est un bien propre ou commun en cas de divorce.
S’agissant des pensions de retraite, la Cour de cassation considère qu’elles relèvent des biens propres par nature en application de l’article 1404 du Code civil.
Forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
Forment aussi des propres par leur nature, mais sauf récompense s’il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.
En effet, la Cour de cassation considère que les pensions de retraite entrent dans la catégorie des créances et pensions incessibles, exclusivement personnelles, de sorte qu’elles doivent être exclues de la communauté en titre.
Cependant, il convient de distinguer entre la pension en elle-même et le versement de cette pension qui peut être considéré comme des substituts de salaires dès lors qu’ils sont versés durant le mariage. Ces versements sont alors qualifiés de bien commun.
Dès lors, lorsque le compte épargne retraite est alimenté par des deniers communs, la communauté a droit à une récompense, comme l’a admis une jurisprudence récente du 2 octobre 2024 (Cour de Cassation 1re chambre civile, 2 oct. 2024, n° 22-20.990 : JurisData n°2024-017348).
La difficulté réside dans l’évaluation de cette récompense : dans la mesure où le compte épargne retraite n’est pas un actif de la communauté, il faut attendre la liquidation de la retraite pour évaluer le montant de la récompense (calculé selon la plus-value au jour du partage).
Faits et procédure
Des époux se marient le 31 juillet 1976 sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Leur divorce est prononcé aux torts partagés par un arrêt du 13 avril 1993. Des différends subsistent sur la liquidation de leur régime matrimonial.
L’époux fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de ses demandes :
– de report des effets du divorce en ce qui concerne les biens,
– de récompense concernant les travaux réalisés sur un des biens communs avec ses deniers propres
– de qualifier de propre l’indemnité de libre passage servie au titre du deuxième pilier du régime de prévoyance professionnelle obligatoire suisse.
Le 3 mars 2010, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu le 28 février 2008 par la Cour d’appel de Colmar, mais seulement sur la qualification de commun de l’indemnité de libre passage du régime de prévoyance obligatoire suisse.
Apport de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle que les droits acquis au titre d’un régime de prévoyance professionnelle obligatoire, et qui sont attribués en fonction de la situation personnelle de l’intéressé sont des biens propres par nature.
Ainsi, seul le capital de la prestation de libre passage, qui est demandé avant la dissolution du régime peut être considéré comme une rémunération, entre en communauté.
En l’espèce, l’époux n’avait pas demandé le versement de cette prestation avant la dissolution de son mariage, de sorte que cette indemnité ne pouvait être qualifiée de substitut de revenus.
La Cour de cassation détermine donc la qualification propre ou commune de cette prestation, en fonction du moment de son versement. Elle considère que le titre acquis au titre du régime de prévoyance professionnelle obligatoire est propre par nature car ils ont un caractère personnel, tandis que le capital lié à leur liquidation peut être qualifié de commun tant qu’il est versé pendant la communauté, puisqu’il s’agit d’un substitut de revenus.
La difficulté d’une telle interprétation peut résider dans la liberté d’action de l’époux, qui peut choisir de conserver ce capital sur un compte bloqué en Suisse.
En l’espèce, l’époux avait pris sa retraite au moment de la dissolution du régime matrimonial, sans pour autant libérer le capital. Ainsi, en reculant le moment du versement de ce capital, l’époux a pu en orienter la qualification.